L’Angleterre a trouvé sa “juste cause”

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L’Angleterre a trouvé sa “juste cause”

31 octobre 2006 — Sortie de crise? Peut-être, mais par le haut, par le Très-Haut… Nous parlons de la crise que connaît le Royaume-Uni depuis l’aveugle engagement de Blair derrière les Américains en Irak. La crise climatique pourrait être, pour ce même Royaume-Uni, le moyen de sortir de cette crise de confiance qui ressemble par instants à une crise de système. Mais sans Blair au bout du compte puisqu’il devrait nous quitter au printemps prochain — mais sa sortie pourrait en être facilitée par les flonflons et la gloriole.

Les effets médiatiques du rapport Stern, présenté publiquement hier, ne laissent aucun doute. Il s’agit d’un très grand événement de communication, par conséquent un très grand événement de gouvernement. Cela est d’autant plus évident qu’il y a certainement une matière où le gouvernement britannique est passé maître, et c’est celle de la communication et de l’exploitation médiatique.

(Qu’il s’agisse, en plus, d’un très grand événement tout court dans la mesure où il fait passer la crise climatique dans le domaine très concret de l’économie et dans la mesure où il soulève des problèmes de civilisation considérables, nous n’en doutons pas un instant. Nous avons toujours considéré la question de la crise climatique, depuis qu’elle est posée, comme une question de civilisation complètement fondamentale.)

Lisez ces quelques paragraphes du Guardian, et vous sentez la jubilation de l’action politique dans l’unité retrouvée. «In a clear sign that the issue unites No 10 and the Treasury…» (c’est-à-dire Blair et Brown), écrit le journal, ce qui nous en dit des tonnes sur le reste, où les deux hommes s’affrontèrent et s’affrontent, et notamment l’Irak.

«The UK is to use the warnings of irreversible climate change and the biggest economic slump since the 1930s, outlined in yesterday's Stern review, to press for a new global deal to curb carbon emissions.

»The government is urgently pushing ahead on the issue because the existing Kyoto protocol runs out in 2012, and there is no binding agreement to extend it. Downing Street is seeking the outline of a package with the G8 industrial nations and five leading developing countries by next year, or 2008 at the latest.

»Tony Blair will lobby the German chancellor, Angela Merkel, to put the need for international cooperation on climate change at the heart of Germany's G8 presidency when it begins in January.

»In a clear sign that the issue unites No 10 and the Treasury, Gordon Brown will also be pushing for a radical rethink of the United Nations and the World Bank which, he believes, are not equipped to oversee a carbon trading scheme, including the principles on which carbon emission allocations would be handed out to individual countries.

»Downing Street sources said the prime minister wanted a framework that included a target for stabilising CO2 emissions, a global scheme to cap and trade carbon emissions, a global investment fund for new green technologies and action to stop deforestation. The agreement would include three countries that were not part of Kyoto — the United States, China and India.

»Launching the review into the economics of climate change by the Treasury economist Sir Nicholas Stern, the prime minister said: “Without radical measures to reduce carbon emissions within the next 10-15 years, there is compelling evidence to suggest we might lose the chance to control temperature rises.” The review said a ‘business as usual’ model could result in temperatures rising by 5C above pre-industrial levels, leading to a cut of 5-20% in global living standards.

»Mr Brown, who shared a platform with Mr Blair at yesterday's launch, said it was no longer enough for economic policy to be based around growth and full employment. “In the 21st century, our new objectives will be threefold: growth, full employment and environmental care.”»

Curieux sentiment : ce rapport d’apocalypse est du miel pour le monde politique britannique, le New Labour et le gouvernement. Il devient le symbole de la possible unité retrouvée ; pour Blair, c’est la voie inattendue pour terminer son mandat de Premier ministre sur une note prestigieuse ; pour Brown, c’est l’occasion de commencer le sien, au printemps 2007, avec une autorité inespérée.

Mais tout cela est de la petite cuisine politicienne. L’ironie est que cette cuisine porte sur la crise la plus grave que la civilisation ait eu et ait à affronter, et qu’elle va permettre sans doute (grâce aux qualités de communication des Britanniques) à cette crise d’être considérée dans toutes ses implications et dans son extrême urgence. Certains pourraient conclure, en philosophant autour de l’évidence, que les voies de la sagesse sont, comme celles du Seigneur, absolument impénétrables.

On verra.

Puisque “The devil is in the details”…

… On verra car, en attendant, on comprend que le rapport Stern et l’action qu’il préconise portent sur une matière absolument explosive. Le défi est de plusieurs ordres.

• La crise climatique elle-même, son déroulement, son extension, son accélération, ses effets.

• Les implications politiques du débat autour de l’éventuelle décision de l’affronter avec des mesures extrêmes.

• Les implications pour notre civilisation, au niveau du mode de vie, de l’organisation politique, du système lui-même, des mesures qui seraient prises et des mesures qui s’imposeraient.

Il y a là bien plus de questions posées que de réponses envisagées. Les Britanniques veulent une décision de lutte générale contre le réchauffement climatique pour 2008, — c’est-à-dire une décision globale, universelle, une globalisation sans exception de cette croisade.

2008 ? GW Bush sera toujours aux commandes — et l’on sait que la position des USA (de Washington en l'occurrence) tient une place centrale dans la problématique de la lutte contre le réchauffement climatique. Les Britanniques arriveront-ils à le convaincre ? Arriveront-ils à emporter l’adhésion du monde politique washingtonien, dont on sait l’éclatement et la multiplicité des intérêts, avec la puissance des intérêts pétroliers à l’intérieur de ce monde — dont on sait qu’ils (ces intérêts) s’opposent à toute idée de restriction ou de contrôle de l’activité économique ?

Même idéologiquement, il existe d’énormes obstacles. Les courants extrémistes américanistes, qui dominent la scène washingtonienne, les néo-conservateurs et d’autres, sont hostiles à cette sorte d’intervention comme ils sont hostiles à toutes sortes de régulation.

Enfin, il y a la psychologie. Comment parvenir à faire basculer l’intérêt du monde washingtonien de l’obsession irakienne et de l’obsession terroriste à la préoccupation urgente et massive de la crise climatique ? Comment envisager la place de la crise climatique dans la psychologie washingtonienne ? On sait que la psychologie washingtonienne a besoin d’un ennemi pour s’intéresser à une crise. Dans cette crise climatique, on ne trouve pas vraiment d’ennemi ; et s’il en faut vraiment un, alors ce serait plutôt du côté du Corporate Power, qui rechigne à toutes restrictions dans ses activités, qu’on le trouverait. Il y a de quoi déstabiliser la fragile psychologie washingtonienne.

Cette situation implique que la renaissance de la vie politique britannique et la mobilisation contre la crise climatique passent par un risque majeur qui concerne (notamment) les relations spéciales du Royaume-Uni avec les USA. On dira : quelle importance par rapport à l’enjeu, qui est (qui serait) le sort de la planète ? Les Britanniques, justement, ont un proverbe pour cela : “The devil is in the details”.

Cela ne signifie pas que l’alerte à la crise climatique risque d’être étouffée, ou de se perdre dans les méandres byzantins des relations USA-UK en crise. La crise climatique, c’est comme le diable : une fois sortie de sa bouteille, nous ne nous en débarrasserons plus. Cela signifie plutôt que cette alerte, à laquelle le système politique britannique à bout de souffle semble décidé à lier son sort, peut conduire à bien des remous politiques, et rapidement.