Le revers de la médaille

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Le revers de la médaille


7 novembre 2006 — Le monde civilisé (see BHL) se réjouit de la victoire annoncée, style-tsunami, des démocrates. (Au reste, le tsunami pourrait être moitié coup d’épée dans l’eau. Aux dernières nouvelles, les républicains remontaient. Le prodigieux pas en avant de la démocratie que constitue la condamnation de Saddam l’aurait peut-être été aussi pour l’Amérique — suspens…)

Quoi qu’il en soit, il paraît infiniment probable que le Congrès aura, demain, une allure différente ; et assez probable, surtout, que la Chambre des Représentants sera à majorité démocrate. Le monde civilisé respirera mieux. Ce constat vaut essentiellement pour la vertueuse Europe, ses ors et ses pompes, qui se demande désespérément comment s’aligner plus encore sur l’Amérique sans trop avoir l’air. BHL dit qu’avec les démocrates, c’est possible. BHL pense trop vite.

La médaille a un revers. Perspicaces et près de leurs sous, les Britanniques l’ont repéré. Bronwen Maddox, du Times, nous le dit sans ambages. Ce revers se nomme “globalisation” ; avec les démocrates, la globalisation, déjà décédée récemment, sera enterrée sans plus de façon.

«If the Democrats win back the House of Representatives today, that is the end of the enthusiasm in the US for free-trade deals — to its own cost, to that of developing countries and, most certainly, to Europe.

»Not that enthusiasm has been high. The Administration, to its credit, has been keen on free trade, but has pushed it with failing energy at an unwilling and distracted Congress.

»The bigger problem is that across the US there is growing opposition to trade deals, from people who feel that they lie on the wrong side of globalisation.

»In neither the Republican nor Democrat leadership is there a sign of the drive to buy back this support, which would be needed if free-trade policies are ever to revive.

»The first casualty would be President Bush’s “fast-track” negotiating power, which gives him congressional authorisation to conclude trade deals. It runs out next summer and a Democratic House would almost certainly not renew it.»

Dans le cas de figure le plus généralement admis, les élections devraient acter le retour ultra-rapide de l’Amérique vers toutes les formes possibles de protectionnisme. Les démocrates feront le travail, — bonne occasion de sembler changer quelque chose à Washington, — mais s’ils échouaient les républicains feraient de même. Ce qui se passe est simplement que le bon peuple n’en veut plus.

«Will Marshall, president of the Progressive Policy Institute, a Democratic think-tank, points out that it used to be unions who were the main, organised opposition to free-trade agreements. But now, a much wider group of people feel that their jobs are under threat from globalisation.

»“The outsourcing panic created a deep impression,” he says, even though the numbers directly affected by the loss of these jobs were comparatively small — in the hundreds of thousands…»

Tout de même : Maddox, qui est de la bonne école (le Times appartient à Rupert Murdoch) s’étonne de telles attitudes alors que l’économie US, c’est bien connu, marche du tonnerre de Dieu. («The dismay at globalisation is something of a paradox, as it has risen during a period when the US economy has been growing strongly (and has expanded by a quarter in the past eight years).»)

Cet étonnement avec ces remarques sur les paradoxes («something of a paradox») ne cesseront jamais de nous étonner. Est-il si paradoxal de comprendre qu’une économie qui marche soi-disant du tonnerre de Dieu mais selon un mode radicalement inégalitaire quant à la distribution de l’argent provoque le mécontentement chez l’électeur moyen. Alors, on s’explique en déroulant une fois de plus l’évidence, cadeau habituel de la globalisation :

«But wages for a large slice of the US workforce have stayed the same in that period, or have fallen by several percentage points. Rising property values, for some, have cushioned the blow.

»Insecurity about jobs has risen; so has resentment of widening income inequality. Polls show that Americans are less confident that hard work may put them at the top of the tree, and more fear that their children will be less well off.»

Comme il n’est pas question de toucher aux inégalités intérieures, le coupable est tout trouvé : c’est la globalisation. D’ailleurs, la globalisation est également coupable, effectivement ; cela est donc demi-justice. Ainsi les élections du 7 novembre devraient-elles engendrer, derrière les grandes crises en cours (Irak et compagnie), un grand mouvement de repli économique des USA, complétant le repli sécuritaire et culturel depuis le 11 septembre 2001.

L’Amérique devenue vertueuse et cadenassée

La brave Europe attend ces élections avec tant de zèle et tant de fièvre. Elle croit voir déjà s’éloigner l’ombre épouvantable de l’Amérique bushiste, qui l’obligea à tant de contorsions pour rester alignée. La réalité devrait être plutôt de voir succéder à cette Amérique-là, une Amérique d’un Bush de plus en plus impuissant mais une Amérique de plus en plus fermée à la globalisation et à tout le reste qui va avec, libre-échange compris. Le bilan pourrait s’avérer bien décevant et la pilule fort amère, pour divers “acteurs” européens qui attendent avec impatience le retour de l’Amérique selon leur coeur :

• Pour la Commission européenne, bien sûr, parce qu’elle a axé toute sa politique, sous la direction évidemment éclairée de Barroso, sur les principes ultra-libéraux impliquant notamment le libre échange. La politique de restriction qu’imposera la puissante Chambre des Représentants, surtout si elle devient démocrate, compliquera encore les ambitions européennes. Peter Mandelson sera de plus en plus vexé de l’incompréhension américaine et ainsi de suite.

• Pour les élites européennes, type-BHL, qui attendent fiévreusement le retour de leur référence idéologique libérale d’une part, de leur référence internationaliste d’autre part. Ils vont se trouver confrontés à une Amérique encore plus refermée sur elle-même.

• Pour les Britanniques, certes, qui vont voir le climat (!) s’assombrir encore plus sur leurs relations avec les USA dans le domaine économique, alors qu’ils veulent enrôler ces mêmes USA dans leur croisade contre le réchauffement climatique qui implique une entente économique renouvelée.

• A noter que cet avertissement général concernant le libre échange confirme certaines prévisions déjà faites, concernant notamment les règlements ITAR. Pour l’armement également, le protectionnisme US va se resserrer (si c’est possible).

• D’une façon générale, on comprendra qu’une telle orientation signifierait effectivement l’enterrement de la globalisation, après ses longues funérailles.

• Il n’est pas sûr que les Français, dans le secret de leur inconscient, n’esquissent pas un sourire de satisfaction, eux à qui on fait tant reproche de leur “patriotisme économique”.

Ces prévisions concernant l’attitude des démocrates rencontrent d’autres constats déjà faits, par exemple dans le cas d’Hillary Clinton, qui s’est révélée une nationaliste économique dans la question de la gestion des ports US par une société de Dubaï.

On ne fait que retrouver une des vieilles tendances démocrates, celle qui apparaît lors des revers extérieurs ou de crises diverses, qui est une tendance isolationniste correspondant à une attitude similaire chez les conservateurs (républicains) classiques. (En 1972, le candidat démocrate George McGovern avait comme programme un repli isolationniste correspondant à un retrait du Viet-nâm.) Cela ne signifie pas la fin de la politique extérieure belliciste ou le retrait précipité d’Irak ; cela signifie que, là où cela peut être fait, les démocrates feront tout pour cadenasser l’Amérique, cette fois au nom de la sécurité de l’emploi, voire au nom de la souveraineté US et de la sécurité nationale (arguments employés par Hillary lors de l’affaire des ports US).