Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
1182
12 novembre 2006 — Depuis le 26 octobre et le discret mais déjà fameux “mémo England” (mémo adressé par Gordon England, n°2 du Pentagone, aux ministres et chefs d’état-major des trois armes suite à une rencontre le même jour), le bruit a envahi Washington. Le Pentagone va demander pour 2007 un budget supplémentaire, hors budget normal (le budget FY2007 qui dépasse les $500 milliards) de $160 milliards. La procédure des “
La nouvelle a fait peu à peu son chemin. Elle a pris peu à peu de l’extension, c’est-à-dire qu’elle est apparue dans toute son importance, à mesure qu’on arrivait au terme du débat électoral, jusqu’aux élections du 7 novembre. La nouvelle avait d’abord été donnée par InsideDefense.com puis aussitôt développée le 3 novembre par la Lettre d’information Daily Briefing du site GovExec.com («The military services and defense agencies have requested as much as $160 billion in supplemental spending for the remainder of fiscal 2007 — a staggering figure that would bring wartime costs this year to $230 billion.») Les commentaires du site reflétaient évidemment une certaine nervosité, surtout du côté du Congrès (alors encore à majorité républicaine) — mais pas seulement…
«Several senior lawmakers, including Senate Budget Chairman Judd Gregg, R-N.H., Senate Defense Appropriations Subcommittee Chairman Ted Stevens, R-Alaska, and Senate Armed Services Airland Subcommittee Chairman John McCain, R-Ariz., have become increasingly frustrated by the Defense Department's reliance on massive emergency spending bills, which bypass the authorization committees.
»Military officials, too, have expressed concern that emergency spending hinders their ability to do long-term budget planning and, ultimately, could drive up costs of weapons systems.
»“For all its flaws, [the Pentagon] used to have the most disciplined and orderly long-term budget planning process” in the federal government, said Gordon Adams, Office of Management and Budget associate director of national security during the Clinton administration. “This kind of practice over the last five years has killed it.”»
Depuis, la nouvelle a pris de l’ampleur en étant mise dans son contexte. Les élections ont eu lieu, avec le résultat révolutionnaire qu’on sait. Le secrétaire à la défense Rumsfeld a donné sa démission, remplacé par Robert Gates. On commence à mesurer l’importance de cette demande des services et ce qu’elle signifie en fait de perturbations du processus budgétaire normal et de signification de la véritable situation du Pentagone. Le 9 novembre, Defense News écrit :
«The Pentagon faces “terrible budgetary problems,” said Korb, a former Pentagon official in the early 1980s. The Defense Department is making plans to seek “$160 billion in emergency supplements and [Donald] Rumsfeld has let the services make their case directly to the Office of Management and Budget. This is a process getting out of control.”
»Korb was referring to the Pentagon’s plans to seek close to $200 billion to pay for war related costs in the next two years, in addition to the regular defense budgets. In recent months the military services have been asked by Rumsfeld to directly make their case with the White House — an approach that many say is a departure from the usual budget process.
(…)
«But defense analysts argue paying for the broader war on terrorism is a predictable and long-term expense that should be in the regular budget. Steve Kosiak, a budget analyst at the Center for Strategic and Budgetary Assessments, call England's memo “disturbing” guidance.
»“The only way to come up with $160 billion is if you take a supremely broad view of the” war on terrorism, he said. “Clearly, this does not reflect the cost of ongoing military operations.”»
Le même jour, le magazine Forbes aborde le même sujet sans donner d’informations supplémentaires mais en s’attachant notamment aux réactions des nouveaux maîtres de Washington, les démocrates majoritaires dans les deux chambres du Congrès. L’article concluait surtout que les démocrates n’avaient pas encore pris la mesure de la situation.
«While House Speaker-to-be Nancy Pelosi, D-Calif., has vowed not to undercut the troops in the field, defense experts said that she and other Democratic leaders probably hadn't anticipated the massive request.
»“I'm not sure they've grasped the potential size of this forthcoming supplemental request. We'll just have to see whether they can choke down that amount of dough,” said Tom Donnelly, a defense expert at the Center for Strategic and International Studies in Washington.
(…)
»While a good chunk of the $160 billion request will be used to replace worn equipment, it also covers additional systems, armor and weaponry and thus is a blueprint for pressing on with the current troop levels in Iraq and strategy in the War on Terror.
»“It's not just going to be ‘I broke my tank, and I want to fix it,’” Donnelly said.»
Tout juste peut-on observer une attitude de principe des démocrates. On dira qu’elle est logique, naturelle et normale. On dira également qu’elle est prudente tout en faisant observer que les démocrates semblent vouloir exercer un contrôle beaucoup plus rigoureux sur le processus budgétaire du Pentagone. Le même article de Defense News note :
«Key Democratic lawmakers already are signaling that the Pentagon’s budget would be subject to closer scrutiny and that some of the priorities could change.
»“The first thing you have to do is take care of the troops and take care of their families,” said Rep. Ike Skelton, D-Mo., who’s likely to become chairman of the House Armed Services Committee. “Fancy weapons systems” are nice, but well-trained personnel are essential, he said during a Nov. 8 conference call with reporters.».
Bien sûr, les démocrates sont parfaitement informés de ce qui se passe. Ce n’est pas par hasard si, parmi les experts cités, le plus alarmiste est Lawrence Korb, du Center for American Progress, qui est un think tank de Washington proche du parti démocrate. Ses mots — rappelons-les — sont sans nuances, comme, semble-t-il, la situation le requiert : «The Pentagon faces terrible budgetary problems. The Defense Department is making plans to seek $160 billion in emergency supplements and Rumsfeld has let the services make their case directly to the Office of Management and Budget. This is a process getting out of control.»
La procédure des “
Il est évident que le Congrès démocrate va se saisir de l’affaire. Il est fort possible qu’il en fasse une affaire politique, contre l’administration Bush, parce qu’on ne voit pas comment il pourrait en être autrement. On peut se demander si c’est bien un hasard si le mémo de England a été diffusé le 26 octobre ; budgétairement cela s’explique ; l’on peut ajouter : politiquement, devant la perspective d’un probable changement de majorité le 7 novembre, cela s’explique peut-être aussi… En d’autres termes : la direction républicaine n’a-t-elle pas voulu mettre le Pentagone à l’abri du nouveau congrès démocrate, à la veille d’un probable changement de majorité ?
L’essentiel dans ces nouvelles est bien dans ce qu’elles nous disent de la situation du Pentagone. Cette incroyable somme de $160 milliards mesure l’ampleur de la crise. L’appréciation de Kolb, qui concerne le processus suivi par le Pentagone, pourrait aussi bien concerner, d’une façon plus générale, la situation du Pentagone : hors de contrôle. La situation du Pentagone est hors de contrôle au niveau technique du processus budgétaire mais elle l’est aussi au niveau politique, par rapport au contrôle que le pouvoir législatif doit exercer sur le département de la défense (comme sur toute autre activité du gouvernement). Dans ce cas, l’aspect budgétaire a nécessairement une considérable dimension politique, d’autant qu’il est renforcé par la décision de Rumsfeld du mois de septembre de laisser les services libres de plaider leur cause budgétaire directement auprès de l’OMB (administrateur du budget), à la Maison-Blanche.
La question du Pentagone est aujourd’hui directement posée comme un cas d’extrême urgence, d’une part, comme un cas qu’on a de plus en plus tendance à juger insoluble, d’autre part. Il est bien sûr difficile de penser que Robert Gates y pourra quelque chose, si tant est qu’il essaie quelque chose. Cette hypothèse est en général écartée : Gates est au Pentagone pour que Rumsfeld n’y soit plus et pour tenter d’activer en Irak le “plan Baker” ou ce qui en fait fonction, — s’il y a un “plan Baker” ou quelque chose qui en fasse fonction. Il est acquis que l’essentiel de la gestion du Pentagone sera laissé à Gordon England, dont on loue les qualités de gestionnaire et de diplomate. Pour England, qui vient de l’industrie en passant par un séjour à la tête du sous-ministère de la Navy, on verra. En attendant, on se permettra d’être sceptique. Ce n’est que le nième “excellent gestionnaire et diplomate”, après les McNamara, Brown, Augustine, Perry, etc., que l’on coltine avec le Pentagone tandis que le Pentagone poursuit imperturbablement son chemin.
Mais avec ces $160 milliards supplémentaires demandés par le monstre pentagonesque et le nouveau Congrès démocrate qui a mandat du peuple en colère d’agir vite (pour nettoyer les écuries d’Augias de l’ère GW), il semble bien que l’on arrive à un point décisif. Il semble bien que l’affrontement soit devenu inévitable. Ce sera donc le Congrès contre le Pentagone. La partie sera intéressante, et l’on ne peut vraiment rien dire d’autre.
Si l’on raisonne dans les termes d’une cohérence démocratique du pouvoir cette fois appuyée sur une situation politique (les élections du 7 novembre) qui oblige à appliquer cette cohérence, il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur. C’est le Congrès. Cela étant affirmé hautement, on ne voit pas comment le Congrès pourrait l’emporter. (Pour finir et en s’en tenant à la bataille bureaucratique qui est le seul domaine d’excellence de la chose, au contraire de la bataille militaire comme il est à nouveau démontré en Irak, on ne voit pas qui pourrait l’emporter contre le Pentagone.)