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13 novembre 2006 — On doit espérer, pour le sérieux de l’Amérique américaniste et pour l’équilibre nerveux de Washington, que les tendances actuelles ne vont pas se poursuivre. Il s’agit bien de tendances psychologiques qui affectent l’image de GW Bush dans le public.
Ce président, qui aurait pu tenir un rôle honorable dans certaines circonstances, s’est vu soudain affublé d’une dimension historique pour laquelle il n’était évidemment pas fait. C’est un cas classique de dépassement de ses propres compétences (très vite fait avec GW) qui conduit le sujet à passer d’un comportement honorable ou acceptable à un comportement catastrophique. C’est le cas de GW depuis le 11 septembre 2001, avec le cas aggravant d’un entourage particulièrement pressant (surtout du côté des néo-conservateurs) qui basait son influence sur l’encensement outrancier et complètement absurde du Président. (On rappellera un article d’un professeur de l’Université de Virginie, en avril 2002 dans le Weekly Standard, qui jugeait GW supérieur à Nietzsche parce qu’à la notion du “par-delà le Bien et le Mal” du philosophe allemand, il avait riposté avec succès en établissant à leur place respective ces notions de Bien et de Mal en politique d’une manière impérative.)
Cette image grossière et abusive, pour ne pas dire stupidement caricaturale, de GW-Président se plaçait évidemment dans le cadre du virtualisme triomphant. C’est évidemment cette image qui s’est brutalement volatilisée le 7 novembre après avoir subi des tensions de plus en plus fortes à mesure de la détérioration de la situation en Irak, de l’effondrement de l’image de puissance militaire des USA, des innombrables erreurs, maladresses, faux-pas, mensonges, etc., de l’administration. Cet effondrement de la perception de GW est essentiellement psychologique mais il est aujourd’hui d’une force considérable. Deux sondages de ces derniers jours en témoignent.
• D’abord un sondage de Newsweek effectué les 9-10 novembre et publié le 11 novembre. Il donne la plus mauvaise cote du Président, cas unique dans une période considérée comme une période de guerre générale (la “guerre contre la terreur”). Les perspectives que découvre ce sondage sont encore plus catastrophiques.
«President Bush’s job approval rating has fallen to just 31 percent, according to the new Newsweek Poll. Bill Clinton’s lowest rating during his presidency was 36 percent; Bush’s father’s was 29 percent, and Ronald Reagan’s was 35 percent. Jimmy Carter’s and Richard Nixon’s lows were 28 and 23 percent, respectively. (Just 24 approve of outgoing Secretary of Defense Donald Rumsfeld’s job performance; and 31 percent approve of Vice President Dick Cheney’s.)
»Worst of all, most Americans are writing off the rest of Bush’s presidency; two-thirds (66 percent) believe he will be unable to get much done, up from 56 percent in a mid-October poll; only 32 percent believe he can be effective. That’s unfortunate since 63 percent of Americans say they’re dissatisfied with the way things are going in the country; just 29 percent are satisfied, reports the poll of 1,006 adults conducted Thursday and Friday nights.»
• Un sondage de MSNBC qui est décrit avec moult précautions comme n’ayant aucune valeur scientifique, mais qui n’en décrit pas moins une tendance psychologique très forte de l’Amérique portant sur l’hypothèse de l’impeachment du président. (A propos du sondage, portant pourtant sur 360.000 contacts téléphoniques, «MSNBC notes that it is “not a scientific survey” and includes a link to a separate page that explains in some detail how a randomly selected sample of “1,000 people can be more representative than” an informal online survey of hundreds of thousands.») Le résultat est impressionnant pour son indication psychologique : 87% des personnes interrogées ont répondu d’une façon ou l’autre par la positive à des questions portant sur la possibilité de l’impeachment.
Si ces tendances psychologiques se poursuivent et se traduisent par des jugements aussi abrupts du public, la situation va devenir extrêmement délicate et embarrassante, et encore plus pour le système lui-même que pour GW. Risquer d’avoir un président dont l’estime et la popularité dans le public seraient réduites à des chiffres ridicules, plutôt pour incompétence et piètre niveau intellectuel (selon le jugement du public), constitue un cas très embarrassant.
On pourrait se retrouver dans une situation où le Congrès démocrate lui-même serait amené à soutenir une entreprise de restauration de l’image de GW. D’une certaine façon, on peut considérer qu’il a déjà commencé à le faire.
L’acceptation sans discuter des démocrates d’une démarche dite de “bipartisanisme rénové”, notamment avec une promesse — par ailleurs de pure forme — d’une coopération Congrès-administration, avec la rencontre Pelosi-Bush dans le bureau ovale également, peut être déjà considérée comme une amorce de cet effort. Il y a dans cette démarche l’agrément d'une crainte commune que le système soit trop discrédité, — et comment pourrait-il l’être plus qu’en subissant la perception du public d’un Président mis au niveau d’un idiot pathologique ? D’autre part, sur la question de l’impeachment, qui resurgit au premier plan dans les milieux démocrates, la direction démocrate — Howard Dean, le président de parti, et Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre — a été catégorique : il n’est pas question d’y revenir. Opposition déterminée certes mais pas de manœuvre de déstabilisation du pouvoir.
Nous ne sommes pas au bout de nos surprises de la victoire démocrate du 7 novembre et de la mise à nu parallèle de l’extrême faiblesse et de l’absence de substance du pouvoir républicain avec GW Bush comme président. C’est le véritable enseignement du scrutin : le démenti apporté à ceux qui voyaient dans l’administration Bush l’installation d’un pouvoir fort aux USA. Une telle opération est très difficile, voire impossible en-dehors des normes légales aux USA ; dans tous les cas, elle ne peut être envisagée qu’autour d’un président d’une stature respectable (un Franklin Delano Roosevelt avait été soupçonné de vouloir établir un pouvoir personnel, notamment en 1936-37, et avec lui l’hypothèse était acceptable). L’extraordinaire faiblesse, voire l’absence complète de personnalité de GW Bush, son inexistence hors de l’image fabriquée après le 11 septembre, constituent un élément contribuant à rendre l’hypothèse dérisoire dans son cas. L’administration elle-même a constitué des pôles de puissance qui ont fait croire à une organisation conséquente mais ceux-ci n’ont eu comme effet que de renforcer ou de créer certains centres de pouvoir autonomes (le Pentagone, par exemple, mais aussi le Home Security Department créé après l’attaque 9/11) sans établir une puissance collective de pouvoir.
L’autre élément est l’aspect psychologique. L’apparence d’arbitraire et de puissance de l’administration GW Bush a été établie essentiellement grâce à la puissance et à l’influence psychologique, par le biais du conformisme américaniste (cas de la presse, mais aussi du Congrès dans les années 2001-2005). Ce fut en fait une acceptation de soumission volontaire et anticipée au soi-disant pouvoir central, une sorte de manifestation postmoderne, par une démarche allant au-devant de la sollicitation, du Discours de la servitude volontaire de La Boétie.
Cette attitude a complètement basculé avec le 7 novembre. Le processus inverse a lieu désormais. L’apparence de puissance de l’administration GW se défait comme on détricote un vêtement de laine. La psychologie, sous la forme autant du conformisme que de l’influence, avec des sentiments comme la colère populaire révélée le 7 novembre, exerce une pression de plus en plus redoutable pour accroître le discrédit et l’affaiblissement de l’administration.
Ce processus doit apparaître de plus en plus dangereux à toutes les parties prenantes du système, y compris les démocrates vainqueurs triomphants. L’effondrement de l’apparence de puissance de ce président affecte l’institution de la présidence, donc le système. Toutes ces parties prenantes seront amenées à tenter de protéger d’une façon ou d’une autre ce qu’il reste d’apparence de puissance de l’administration GW Bush.
On mesure la difficulté qui attend les démocrates dans l’exploitation de leur triomphe : comment en tirer le maximum de fruits tout en sauvegardant l’équilibre du système, c’est-à-dire en n’attaquant pas trop GW ? Dans cette problématique, la protection de la soi-disant stature du Président, ou ce qu’il en reste dans le cas de GW, tient une place importante. L’exercice sera d’autant plus difficile pour les démocrates que, du côté de GW, ce sera sans doute l’irresponsabilité de plus en plus accentuée, ce qui signifie une vulnérabilité grandissante à la désaffection et au mépris populaires.