E Pluribus, Unum”, pour combien de temps?

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E Pluribus, Unum”, pour combien de temps?

3 février 2007 — Pour compléter notre premier F&C du jour, nous nous attachons à l’un des aspects de la situation américaine par rapport à la crise climatique. Nous mentionnions cet aspect dans cet article, en promettant d’y revenir :

«Il s’agit de la crise centrifuge de dévolution qui menace de s’étendre à partir de cette crise climatique, que les pouvoirs régionaux et le pouvoir législatif envisagent d’une façon diamétralement opposée à la voie choisie par le gouvernement fédéral. Cette menace, alimentée par les pressions fusionnelles des crises washingtoniennes actuelles, qui isolent le pouvoir fédéral et le mettent en état d’antagonisme avec le reste, est pleine de potentialités déstabilisatrices. Elle annonce une crise spécifique.

»Surprise, surprise, — oh non, pas tant que ça, — ce sont les Britanniques qui en sont les pyromanes… Nous voyons cela par ailleurs.»

Nous y voici, — et nous y voici, précisément, parce que certaines nouvelles d’origine britannique sont suffisamment peu ordinaires pour que nous nous attardions à la chose.

C’est le Times de Londres qui développe ces nouvelles. Il présente l’initiative remarquable de deux ministres britanniques, en mission officielle aux Etats-Unis pour discuter avec des gouverneurs de plusieurs Etats de l’Union d’une matière internationale de première importance, avec des ramifications concrètes précises. Il s’agit de la lutte contre les émissions de CO2 et les dispositions dans les échanges commerciaux qui en découleraient, à mettre en place avec l’UE, ce qui représente un effort complexe d’arrangements internationaux où les Etats de l’Union figureront quasiment comme des interlocuteurs souverains de l’UE.

Le texte (d’aujourd’hui) précise le sens révolutionnaire de cette action : “… bypassing President Bush”. Cerise sur le gâteau : les Britanniques espèrent agir en ce sens comme représentants l’UE, entraînant l’UE dans cette même politique de “doubler” le président.

«Britain is to spearhead a new drive against climate change by bypassing President Bush and urging US states to join directly with Europe’s own carbon trading scheme.

»David Miliband, the Environment Secretary, and MPs will travel to America in a fortnight for talks with states and the Democratic-controlled Senate which back limits on US greenhouse gas emissions. The Government hopes that nine northeastern states and California can eventually join the European Union’s carbon trading scheme in the first step towards a global scheme. The schemes are likely to prove far more effective by working together.

(…)

»Mr Miliband told The Times last night: “The science is moving faster than the politics now. In 2007 we need significant progress at the international level. The UK is showing leadership with its Climate Change Bill, the EU is showing leadership and we hope that other legislatures across the world will take similar action.”

»California and the nine northeastern states, frustrated by President Bush’s lack of action, have already set up their own carbon trading schemes. Arnold Schwarzenegger, the Governor of California, and George Pataki, Governor of New York, announced they would like to see ways to link up with the EU trading schemes. Despite good-will on both sides, the issue is fraught with difficulties, with the European Commission still having to resolve various legal issues.

»Although there are signs that Mr Bush himself is finally beginning to shift ground, recognising climate change as a “serious problem” in his State of the Union speech last month, he still opposes capping carbon emissions. Mr Miliband will address the Washington Legislators Forum, which has been convened to take advantage of the opportunity created by the Democratic takeover of Congress last month.

»Stephen Byers, the former Trade Secretary, will lead a discussion on how US states that have already set limits on greenhouse gases could be invited into the EU scheme. He said last night: “Some of the proposals will bypass the White House, others will engage with sympathetic Republicans. We are seeking to put pressure on President Bush.”»

La destructuration de “Unum

Lors de sa rencontre avec Barroso et une délégation de l’UE, le 9 janvier, et alors qu’on parlait des négociations commerciales USA-UE, Bush avait dit un peu sarcastiquement et abruptement, — ou peut-être pour exorciser d’une façon prémonitoire une crainte à venir ? — cette phrase dans le style habituel des présidents US rencontrant les représentants de l’Europe institutionnelle : «I have to be bold. But while you have to report to 27 MS [Member States], Sue Schwab reports only to me.» (Schwab est la représentante US aux négociations commerciales avec l’UE.) Le paradoxe est que dans la situation qu’on décrit plus haut, où l’on va parler de matières commerciales dans la logique des dispositions à prendre contre la crise climatique, l’UE parle pour tous les Etats-Membres sans guère de problèmes de consultation alors que les USA se trouvent bien divisés, et d’une façon à la fois logique, inhabituelle et inquiétante.

Les Britanniques ont grand espoir de forcer la main de GW Bush. Ce n’est pas la première fois. (Blair nous a habitués à cette sorte de phantasme.) Un autre article du Times nous annonce en titre que GW va rejoindre la croisade («Bush takes his place on the bandwagon») mais la chose nous apparaît bien sollicitée. Le contenu de l’article est largement en retrait du titre et les perspectives restent très très modestes après l’annonce, quatre heures après la fin de la conférence de Paris sur la crise climatique, que GW confirme son refus de toute contrainte pour les émissions de CO2 (AP le 2 février : «Despite a strongly worded global warming report from the world's top climate scientists, the Bush administration expressed continued opposition Friday to mandatory reductions in heat-trapping “greenhouse” gases.»)

Le schéma déjà rencontré reste plus que jamais d’actualité et le trait en est désormais forci. Il y a une rupture de facto aux USA entre le pouvoir fédéral et des pouvoirs à tendance centrifuge (les Etats et le Congrès dans ce rôle spécifique qu’il jouerait de soutenir les Etats). Les projets britanniques impliquent l’exploration d’accords commerciaux entre ces interlocuteurs régionaux et l’UE, sur une matière absolument fondamentale ; nous ne sommes pas loin du domaine de la sécurité nationale au sens élargi, qui est un domaine traditionnellement réservé à la prérogative du pouvoir fédéral. De tels accords seraient, pour notre époque, une jurisprudence dans l’esprit de la chose. Comme nous l’avons déjà observé, le rôle du Congrès est, dans ce cas, centrifuge, puisqu’il soutient les Etats contre le centre fédéral.

Il s’agit de l’évolution d’une situation qui doit être située dans son contexte, qui en favorise les traits les plus déstructurants. Un président isolé, en butte à une hostilité générale, dans une situation de quasi-illégalité et de crise constitutionnelle sur le point d’éclater, sur le point lui-même de lancer (ou soupçonné d’être sur le point de …) une guerre folle contre l’Iran. Le président est affaibli, le président est en situation de délégitimation, et avec lui le pouvoir fédéral souffre d’une désaffection montante. Les Etats sont furieux de devoir combler, avec leur Garde Nationale, les trous en forces armées d’un Pentagone qui reçoit des sommes pharamineuses et conduit des projets grandioses et inutiles avec un don rare pour le gaspillage et la corruption, et n’est pas capable de trouver 150.000 hommes pour mener une guerre haïe par toute l’Amérique. Ce contexte va puissamment renforcer les initiatives sur la réduction des émissions de CO2, comme autant d’actes d’autonomie par rapport au pouvoir fédéral.

Le temps travaille pour cette déstabilisation parce que la crise climatique, comme nul ne l'ignore, est là pour durer très, très longtemps. Sans solliciter l’argument, on peut avancer l’hypothèse qu’il y a là les germes d’un mouvement de déstructuration fondamentale des Etats-Unis.

Peut-être se justifierait-il de prendre date, — en savourant l’ironie que cette dynamique a pour origine le zèle entreprenant des “cousins” britanniques, adorateurs des “special relationships”.