Zbig entre deux eaux

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Zbig entre deux eaux

5 février 2007 — Il est arrivé d’étranges aventures à Zbigniew (Zbig) Brzezinski, l’ancien conseiller à la sécurité nationale (directeur du NSC) du président Carter et l’un des “pères vénérables” de la communauté de sécurité nationale à Washington. Ces aventures, largement illustrées sur notre site, méritent un supplément d’enquête. Elles dévoilent certains aspects du profond désarroi et de possibles manigances de l’establishment washingtonien. D’autre part, elles ouvrent certaines perspectives inattendues par l’introduction d’un facteur également inattendu.

Rappelons les événements, — tels que nous les avons vécus, nous, sur le site dedefensa.org.

• Le 1er février, nous indiquons, avec la citation de quelques extraits dans notre Bloc-Notes du jour, l’accès au site The Washington Note qui publie le texte intégral de l’intervention de Zbigniew Brzezinski devant la commission sénatoriale des relations extérieures. Brzezinski lira ce texte plus tard dans la journée, devant la commission du Sénat.

• Si nous remarquons la puissance générale de la critique, nous l’apprécions mal en ne la situant pas dans son contexte. Et nous ratons l’essentiel.

• Le lendemain 2 février, le site WSWS.org rend compte de la démarche de Brzezinski, en appuyant sur le fait que Brzezinski laisse clairement entendre que l’administration GW prépare éventuellement une ou des provocations pour justifier une attaque contre l’Iran. Un passage du texte de WSWS.org :

«Most stunning and disturbing was his description of a “plausible scenario for a military collision with Iran.” It would, he suggested, involve “Iraqi failure to meet the benchmarks, followed by accusations of Iranian responsibility for the failure, then by some provocation in Iraq or a terrorist act in the US blamed on Iran, culminating in a ‘defensive’ US military action against Iran that plunges a lonely America into a spreading and deepening quagmire eventually ranging across Iraq, Iran, Afghanistan and Pakistan.” [Emphasis added].»

• Le lendemain (3 février), WSWS.org revient sur l’affaire pour dire sa stupéfaction que l’extraordinaire “hypothèse” de Brzezinski ait été ignorée par l’essentiel de la presse comme il faut des USA.

• Là où l’intervention de Brzezinski est reprise dans un certain détail, parfois avec un retard, on trouve en général des pudeurs révélatrices. C’est le cas de ce texte de Associated Press du 3 février, repris par CommonDreams.org. Si l’hypothèse de la provocation de l’administration est reprise, la précision qu’elle pourrait constituer en une attaque terroriste-bidon sur le sol des USA est écartée (effectivement, curiosité : pourquoi avoir éliminé cet élément du passage du texte de Brzezinski évoqué plus haut?) :

Brzezinski «set out as a plausible scenario for military collision: Iraq failing to meet benchmarks set by the administration, followed by accusations Iran is responsible for the failure, then a terrorist act or some provocation blamed on Iran, culminating in so-called defensive U.S. military action against Iran».

• Parmi les commentaires postés sur le forum de CommonDreams.org attachés à ce texte, on en trouve un intéressant, qui a remarqué l’omission. Nous soulignons (en gras) le passage qui nous intéresse.

Optimismwill nous dit, le 4 février à 08H01 :

«What the AP report leaves out, not surprisingly, is that ZB said the terrorist provocation might come on U.S. soil. This is a very significant statement, coming from a man who, in THE GREAT GLOBAL CHESSBOARD, written a few years before 9-11, called for a New Pearl Harbor to justify invading the “New Eldorado” of gas and oil in the Mid East/Central Asia. Here is an insider admitting that 9-11 might have been an inside job, and also claiming the Bush Administration is capable of doing it (again).

»Congress and the Democrats?: Don’t bet on them. They’re making opportune noises, but won’t do anything. The American people? Sadly, don’t bet on them either: until after the fact, when the soldiers in Iraq are massacred, and the economy tanks. Then we might see some movement.»

Le “politically correct” écarte la “démonisation”

Cette remarque soutient l’essentiel de notre commentaire direct. («Here is an insider admitting that 9-11 might have been an inside job, and also claiming the Bush Administration is capable of doing it (again ).») En quelques mots, Zbigniew Brzezinski a donné le crédit essentiel d'une possible existence à l’hypothèse d’une manigance — quelle qu’elle soit, peu importe — autour de l’attentat du 11 septembre 2001. L’hypothèse devient, en un sens, et sans que ce jugement ne la décrédibilise fondamentalement (ni ne la crédibilise outre-mesure, d’ailleurs), “politically correct”. Elle n’est plus, pour employer un autre langage, plus pompeux et emphatique, du domaine de l’“indicible”. Quoi qu’on pense du caractère assez méprisable de ces catégories imposées par le conformisme des forces du pouvoir et du terrorisme de la pensée qui les soutient, il n’empêche qu’elles sont les barrières à franchir pour qu’une idée, une thèse, une théorie, passent du domaine maudit de la dissidence, du non-conformisme, au domaine de l’approbation officielle d’en débattre. Sans sacrifier au mépris qu’il est sain d’avoir pour cette manœuvre, il faut en relever l’efficacité dans ce cas, — non pas tant pour le triomphe ou l’institutionnalisation d’une possibilité, que pour le désarroi que cette institutionnalisation sème dans le monde officiel et dans son univers virtualiste. Il est utile de savoir retourner contre lui les armes de contrainte de la psychologie dont use le système.

Ce qui nous importe est donc le silence contraint qui a accueilli en général les propos de Brzezinski sans que ces propos puissent pourtant être passés tout à fait sous silence, — Brzezinski étant ce qu’il est. L’écho dans les canaux de l’information officielle a été dérisoire mais tout le monde à Washington sait bien ce que Brzezinski a dit. Le pendant de ce silence est l’absence de critiques de son intervention, notamment du passage incriminé, et de mise en cause et de contradiction de ce passage. C’est aussi révélateur. On se tait parce qu’on sait qu’il a raison. L’establishment est complètement sur la défensive, mais une défensive contrainte, presque paralysée.

Il en ressort deux conséquences importantes.

• La “démonisation” systématique des recherches faites sur les hypothèses de complot ou de complicité du pouvoir dans l’attaque du 11 septembre est décisivement mise en cause. Cela ne donne pas la clef de la vérité de 9/11 mais place ceux qui s’en occupent dans une position beaucoup plus libre pour poursuivre leurs travaux. C’est important pour la déstabilisation constante que ces travaux font peser sur l’establishment encore plus que pour le résultat éventuel de ces travaux.

• Un doute fondamental est désormais porté sur l’attitude et l’action du gouvernement, comme une ombre inquiétante. Cela vaut hier pour 9/11 et demain, voire tout à l’heure, pour son action face à l’Iran. Pendant de la mise en cause de la démonisation mentionnée plus haut, il s’agit d’un pas de plus dans la désacralisation du pouvoir US considéré comme sacré et universel («Nous sommes tous des Américains») au lendemain de 9/11.

Reste maintenant l’énigme Brzezinski. Pourquoi a-t-il dit ce qu’il a dit ? L’homme n’est pas devenu un dissident du régime ni un adepte des thèses de complot (à moins qu’il n’en sache beaucoup sur l’attaque 9/11). Sans doute a-t-il répondu à son tempérament, — très vif comme l’on sait, — en même temps qu’à des informations précises qu’il possèderait sur certaines intentions ou possibilités d’intention de l’équipe GW dans la crise iranienne. S’ensuit un réflexe également vif, où se mêlent une colère et un mépris certains, contre l’administration Bush et sa politique infantile et brutale, et un accès de sincérité qui rencontre et exprime cette colère et le désir de Brzezinski de tout faire pour saboter l’action de cette administration.

Exactement, — de la sincérité. Il ne faut jamais désespérer des réactions humaines les plus inattendues, mais aussi les plus fortes quand elles ont lieu, même dans l’atmosphère délétère de tromperie et de montage où nous baignons. L’accès de sincérité est la bombe par excellence dans cet univers clinquant de conformisme et de virtualisme. La sincérité fait bien des dégâts, quel que soit l’homme qui y cède, et d’ailleurs sans que lui-même n’en acquiert pour autant des vertus exceptionnelles.

Tout cela est humain : dans l’atmosphère des contraintes terribles pesant sur les psychologies, certaines d’entre elles, les plus corsées ou les plus vives, cèdent parfois à la révolte, — à la sincérité, qui est aujourd’hui la plus terrible des révoltes parce qu’elle engendre une conviction dévastatrice face à la dialectique molle et contrainte de ceux, — la plupart chez ceux qui y adhèrent — qui suivent le conformisme et le virtualisme. Cet accès de sincérité est également le signe du caractère insupportable qu’atteint aujourd’hui la situation générale du système, avec les pressions qu’il impose aux psychologies.