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197815 février 2007 — Il faut apprécier la thèse : le discours de Poutine à Munich nous aurait réservé le privilège de découvrir le hideux visage d’un nouveau vilain. Le loup s’était jusqu’alors déguisé en mère-grand, et nous autres, pauvres petits chaperons rouges pas assez regroupés autour du chaperon rouge-en-chef, qui allions nous y laisser prendre. Le loup s’est montré à visage découvert. Vade retro, Satanas, nous avons l’Iran à attaquer.
Voilà l’argument principal d’un des columnists attitré du Times, Gerard Baker, présenté dans ses fonctions comme “US Editor”, — ce qui doit signifier : Editor délégué par les USA, non? Non finalement, car Baker est, comme on ne le dit pas assez, “plus américaniste que les américanistes”.
Mais nous allons nous concentrer sur un aspect du billet de Baker, en date de cette Saint-Valentin d’hier. C’est son interprétation principale qui nous intéresse, qui concerne les petits chaperons rouges (européens) regroupés certes autour du chaperon rouge-en-chef, mais pas encore assez au goût de Baker.
(Cette “interprétation principale” est résumée par ce passage qui est l’entame du texte de Baker, avec la remarque soulignée en gras par nous, très étonnante lorsqu’on sait que Poutine n’a exclusivement et explicitement parlé que des USA dans la partie du discours qui nous importe, — comme si l’attaque était contre les Européens autant que contre les USA, ou comme si dire “les USA”, c’était dire “les USA et l’Europe”, — bref, comme si l’Europe était après tout une partie des USA… : « On Saturday President Putin delivered the most aggressive verbal assault on the US and its European allies that a Russian leader has uttered since the Cold War ended 16 years ago.»)
Les extraits ci-dessous sont choisis parce qu’ils concernent le véritable message de Baker, c’est-à-dire le message des USA : Européens, regagnez la demeure commune, made in USA.
«…US officials noted pointedly that it was Europeans, including some leaders of the eastern European countries that used to live under the Russian heel, who were present at the weekend conference, who were most angered by Moscow’s new tone. German government officials were privately furious with the Russian leader’s remarks.
»Coming as it did on German soil, just minutes after Chancellor Merkel had given a warm diplomatic overview of transatlantic relations, Mr Putin’s speech was considered a breach of the normal diplomatic protocols. It was more than discourteous, however. The Munich conference, the most important annual transatlantic security policy forum, originated in the darkest days of the Cold War.
»Chancellor Merkel, who lived under Soviet domination of eastern Europe as an East German citizen in the 1980s, is under no illusions about the political instincts of Mr Putin, the former KGB agent. But she and her aides had not imagined that the Russian leader would deliver such a blunt attack in the midst of her efforts to improve relations among European countries and were puzzled by the tone. US officials believe the speech was intended to represent Russia as a muscular new power in the world, after its long decline and humiliation since Cold War days. Bolstered by increased energy prices in the past five years, a continuing healthy economic expansion and signs that its old adversary in Washington has run into serious global trouble, the Russian leadership seems eager to show that it is back as an actor on the world stage.
»The sudden apparent deterioration in US-Russian relations, especially with a man of whom President Bush has spoken so warmly, did not seem to alarm Americans, however.
»The Munich event has been dominated for the past few years by transatlantic splits as the US found itself under attack from its old allies over the war in Iraq. Throughout that time, Donald Rumsfeld, the former defence secretary, played the role of principal villain at the conference.
«This year Europeans were presented with a new villain, and perhaps in the process were reminded that, for all its faults, America may not after all really be the most threatening nation on earth.»
Pour comparaison édifiante, nous nous reportons à un texte que Baker jugerait irréprochable puisqu’il vient de l’International Herald Tribune (de Judy Dempsey, le 11 février). Texte à propos puisqu’il concerne les réactions US et européennes au discours de Poutine qui, nous dit Judy, sont différentes («Europe and U.S. take different views of Putin speech»). Jusqu’ici, ça colle avec Baker.
Le reste, par contre, nous fait réfléchir. L’on y découvre que les Européens, et précisément les Allemands, n’ont pas été trop troublés par le discours, qu’ils en ont même parfois rajouté ; au contraire, c’était aux Américains d’être choqués par l’“arrogance” de Poutine.
Deux extraits choisis :
«When the German foreign minister, Frank-Walter Steinmeier, talked Sunday about the trans-Atlantic relationship at the annual Munich Security Conference, he made no mention of the speech that President Vladimir Putin had given the previous day.
»Putin's speech had become the talk of the conference, invoking for some the rhetoric of the Cold War. But others heard Putin as speaking for a confident, stable and rich Russia no longer saddled with high debts and the chaos of the mid 1990s.
»Steinmeier, who was in Moscow last week, kept off the subject of Russia and instead did his own bit of bashing of the U.S. record on climate change and questioned whether NATO should be dabbling in energy security issues.
»But for many U.S. delegates, Putin's speech had exuded confidence and arrogance…
(…)
»Several German delegates were highly critical of Putin's disdain for the media and the murder of journalists. In comments on the murder last October of the Russian investigative journalist Anna Politkovskaya, Putin said that many journalists had been killed in Iraq.
»But the delegates praised him for other reasons.
»“He was good on Iran,” said Ruprecht Polenz, chairman of the Foreign Affairs Committee of the Bundestag, or lower house of the German Parliament. “And many would agree with Putin over his opposition to U.S plans to deploy the antimissile defense shield in Poland and the Czech Republic.”»
Voilà notre religion qui n’est pas faite du tout. L’un dit blanc (les Européens, — les Allemands essentiellement, — réagissent avec fureur contre Poutine), l’autre dit noir (les Européens, — les Allemands essentiellement, — prennent le discours de Poutine avec philosophie, ils en sont même secrètement satisfaits et certains s’en servent même pour répéter des anti-américaneries qu’ils n’osent dire eux-mêmes). Le contraste est si marqué qu’il n’est pas question de contraste ; des déclarations sont là, pour accentuer le différend (involontaire) entre les deux auteurs et les différences (volontaires) entre leurs deux textes.
Mais on sait bien ce qu’il en est. Baker n’est pas un journaliste ni un chroniqueur, ni un commentateur ; c’est un obligé, un propagandiste pro-américaniste et il fait son travail, c’est-à-dire qu’il suit les consignes. (Rapporté par Judy dans l’IHT, l’avis de Bruce Jackson, président du Project of Transitional Democracies, néo-conservateur notoire, agitateur et lobbyist avec pignon sur rue, ancien vice-président de Lockheed Martin, — son avis pourrait servir de consigne : «Putin missed a chance to broaden a dialogue. [He] came out, guns blazing. Putin ran at the United States. He did more to unite Europe and the U.S. than we could ever have done»).
Ce qui nous importe n’est pas tant ce lièvre (Baker) si facile à lever, c’est justement qu’il soit si facile à lever. Nous importe le constat, une fois de plus fait, qu’il est permis d’écrire à propos d’événements précis dans un sens qui bafoue absolument la vérité sans la moindre vergogne ni le moindre tracas, pourvu que le support (le média) soit prestigieux, le nom assez connu et le mensonge dans la ligne officielle. C’est une leçon de plus, pour renforcer l’idée que la rigueur et la moralité de jugement de la presse dite “de référence” en Occident, particulièrement dans le monde anglo-saxon, n’ont plus aucune existence.
On dira avec raison que la chose a toujours existé, et nul n’en disconviendra. Elle était plus discrète (les événements le permettaient), en un sens plus élégante ; elle est devenue criante et sans vergogne, et le lièvre effectivement plus facile à lever. On n’écrit pas cela pour s’enorgueillir d’un tableau de chasse aisément rempli mais pour observer que cela nous laisse bien plus de liberté pour opérer, — c’est-à-dire pour considérer qu’aujourd’hui l’information est une munition pour une bataille et nullement un fait objectif qu’il s’agit de restituer, et qu’il importe que nous aussi en usions de la sorte. Par bonheur, — merci à nos amis libéraux et postmodernes, — Internet existe, ce qui permet de transcrire ces préceptes dans la réalité de la communication.
Ces constats ne sont pas nouveaux. Nos lecteurs savent depuis longtemps que nous avons choisi une attitude de doute systématique vis-à-vis des informations officielles et des représentants patentés de l’establishment, et que nous nous servons de ce doute pour leur retourner leurs impolitesses. Nos lecteurs lisent chaque jour que nous en tirons les conséquences, dans nos analyses comme dans les jugements que nous portons sur ces lambeaux d’autorités grimés en défenseurs de la civilisation, — une civilisation qui accouche de cela, au bout du compte, c’est plutôt à laisser qu’à prendre. Il est bon de rafraîchir sa mémoire et notre mémoire à tous. C’est fait aujourd’hui avec Baker et sa lecture du discours de Poutine.
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