Iran, USA et les amis : on va parler dans la confusion

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Iran, USA et les amis : on va parler dans la confusion


28 février 2007 — On annonce des rencontres sur la question de la stabilisation de l’Irak, auxquelles participeront notamment Américains et Iraniens. Cela permet d’observer qu’il s’agit là d’une concession majeure de l’administration GW, faite aux énormes pressions qui pèsent sur elle à propos de la guerre en Irak (et des contacts, ou plutôt de l’absence de contacts avec l’Iran à ce propos). C’est rejoindre, dans l’esprit, la proposition du groupe Baker-Hamilton, le Iraq Study Group, pour des conversations régionales sur l’Irak, avec l’Iran (et la Syrie) notamment.

Le cas est si complexe, les susceptibilités et les réticences tellement grandes, que les interprétations et les appréciations peuvent être radicalement différentes, voire opposées, même en rapportant de simples précisions US. Nous en voyons un exemple dans les deux journaux britanniques auxquels nous nous référons et qui ont choisi de mettre en évidence cet événement en s’appuyant sur une déclaration de Rice au Congrès. Sur un point important, ils sont en contradiction sans qu’on puisse accuser l’un ou l’autre d’erreur. La contradiction ne fait que refléter les oppositions, la confusion, les tensions et les pressions au sein de l’establishment US. Pour le Guardian de ce jour, «[The White House press secretary, Tony Snow] also indicated there would be no bilateral contact between the US and Iran». Pour le Financial Times d’aujourd’hui également, «US officials did not exclude the possibility of bilateral discussions with Iran on the subject of Iraq, but would refuse to discuss the nuclear issue …»

Voici les deux versions de l’événement en général, qui n’excluent évidemment pas d’autres versions encore, ni d’autres prolongements contradictoires. Elles permettent de situer l’événement tout en suggérant les limites de son appréciation pour l’instant.

• Le Guardian :

«The Bush administration gave up one of the central tenets of its Middle East strategy yesterday, reversing its much criticised effort to isolate Iran and Syria by inviting both states to negotiations on stabilising Iraq.

»The initiative, announced last night by the secretary of state, Condoleezza Rice, in testimony to the Senate appropriations committee will see America and Britain join Iraq and its neighbours in talks to try to rein in the country's sectarian violence.

»The proposed meeting was widely seen as an attempt to neutralise criticism of George Bush's strategy on the war — most notably his refusal to open talks with Tehran and Damascus.

(…)

»Ms Rice yesterday said representatives from Iran and Syria would be invited to a “neighbours meeting” to discuss efforts to stabilise Iraq. “I am pleased to announce that we are also supporting the Iraqis in a new diplomatic offensive: to build greater support, both within the region and beyond, for peace and prosperity in Iraq,” she said. “We hope these governments seize this opportunity to improve their relations with Iraq and to work for peace and stability in the region.”

»In Baghdad, the Iraqi foreign minister, Hoshiar Zebari, said the meeting would include Iraq; its six neighbours; the five permanent members of the UN security council — the United States, Britain, Russia, China and France; members of the Arab League; and the Organisation of the Islamic Conference.

»The first meetings between ambassadors could be held within the next fortnight, with more senior officials, such as foreign ministers, to gather in April.»

• Le Financial Times :

«Condoleezza Rice, US secretary of state, on Tuesday welcomed a diplomatic initiative by the Iraqi government to call at least two international conferences on its future that would provide an opportunity for the US to tackle its disputes with Iran and Syria over the Iraqi insurgency.

»“We hope that all governments will seize this opportunity to improve the relations with Iraq and to work for peace and stability in the region,” Ms Rice told a Senate hearing.

(…)

»“In the conduct of diplomacy, you need to have a certain amount of flexibility if you are going to achieve the goals that you want to achieve,” Sean McCormack, State Department spokesman, told reporters.

»The first conference is planned to be held in Baghdad at the level of ambassadors in mid-March, bringing together Iraq and its neighbours and the five permanent members of the United Nations Security Council.

«A second meeting, to be attended by foreign ministers is scheduled for April outside Iraq…»

Et le “surge” ?

Nous avons l’impression, en faisant ce commentaire, de tremper le doigt de pied dans une eau bouillonnante et boueuse, où l’interprétation est maîtresse et la réalité lointaine inspiratrice. Il est difficile de parler d’une diplomatie apte à débloquer la situation ni de voir une quelconque perspective d’arrangement pour une “initiative” irakienne, applaudie par les USA et assortie de multiples réserves, et qui concerne un nombre important de participants. Il suffit pour l’instant de constater ce projet officiel de réunion des Iraniens, des Syriens, des Irakiens et des US (avec les autres), dans la même salle, à la même table, et qui se parleront. L’événement se résume à cela, — mais ce n’est pas rien en termes de signification politique.

Au moment où Cheney fait un voyage martial et triomphal ponctué d’un attentat dans son “voisinage proche” commis par des gens remarquablement informés, Rice annonce la nouvelle d’une rencontre avec (notamment) les Iraniens. Il importe de s’en tenir à ce fait brut pour le commenter, lui seulement, hors des finesses diplomatiques et politiciennes. (Tout en se demandant, pour l'anecdote, si Bagdad sera encore aux mains des “gentils” en mars, lieu et date prévus pour la première rencontre préparatoire.)

• L’administration GW est vraiment à bout de souffle. Elle est “overextented”, “overstretched”, comme on dit des forces US, entre la catastrophique situation irakienne et les projets qu’on lui prête d’attaque massive de l’Iran. Il faut cela pour qu’elle ait adopté l’idée de la rencontre.

• La situation sur le terrain, en Irak, ne semble guère avoir été affectée par le “surge” des forces US annoncé le 10 janvier par GW. Au contraire, on annonce une résurgence des attentats à Bagdad. C’est l’un des aspects les plus pressants de l’“overstretch” signalé plus haut, qui accentue horriblement la faiblesse de la position de GW et de ses boys. On est donc conduit à lâcher du lest.

• Les conférences envisagées constituent une officialisation de l’entrée dans le jeu irakien, au niveau diplomatique des “interlocuteurs valables” pour les USA, des Iraniens. Non seulement la crise iranienne a été infectée par sa “régionalisation” à l’Irak, mais elle atteint le paradoxe déjà mentionné lors de la publication du rapport de l’Iraq Study Group (ISG). Les USA demandent de l’aide (la réunion sera interprétée comme cela) à un pays qu’ils menacent implicitement d’attaquer, sans qu’il y ait une cause commune pour les deux démarches (ce qui pourrait faire penser à une manœuvre acceptable du type “la carotte et le bâton”), mais avec deux causes étrangement contradictoires. D’un côté, on exige de l’Iran l’abandon de son programme nucléaire militaire, de l’autre on lui demande de l’aide pour l’Irak. On ne doute de rien.

• Par ailleurs, l’étendue du registre des pays impliqués signale une poussée vers l’internationalisation du problème irakien, avec plusieurs cercles d’intervention (le cercle des “voisins proches” avec notamment la Syrie et l’Iran, le cercle des “voisins éloignés” avec les pays arabes importants de la région, le cercle de la “communauté internationale” avec les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité). Il s’agit d’une internationalisation qui n’est pas à l’avantage de Washington, avec notamment la présence de partenaires exigeants, qui ont condamné initialement l’invasion de l’Irak. Les USA n’ont guère de possibilité de manipuler cette sorte de réunions, avec des pays (la Russie) qui ne se gênent plus pour dire “non”.

• Pour en terminer sur ce fait du jour, on ne peut qu’observer une complication supplémentaire de la situation. C’est un reflet assez fidèle de la complication de la situation à Washington, avec une administration extrêmement affaiblie mais qui refuse de céder à moins d’y être contrainte (comme dans le cas présent). C’est aussi un reflet de la complication des positions extérieures, chaque pays concerné jouant sur un double registre, reflet du double langage impliquant la prise en compte de ce qu’il reste des susceptibilités d’“hyperpuissance” sur le déclin de Washington d’une part, la prise en compte de plus en plus exigeante de la réalité des événements d’autre part.