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4 mars 2007 — Surprise à Washington, où l’on apprend que Condi Rice a nommé un archi-neocon au poste de conseiller du secrétaire d’Etat, — un poste occupé précédemment, jusqu’à la fin de l’année dernière, par un confident de Rice et un homme de tendance “réaliste”, Philip Zelikow. Le nouveau conseiller est Eliot A. Cohen, un numéro remarquable dans la galerie des idéologues vitupérant qui caractérisent ce groupe néo-conservateur. L’un de ses grands titres de gloire est, avec son livre Supreme Command, d’avoir gagné l’attention de GW Bush à l’été 2002. Cohen y plaide la thèse que les grands dirigeants civils de guerre, comme Winston Churchill, sont de bien plus fins stratèges que leurs généraux, dans le genre jusqu'au-boutistes et radicaux ; GW adopta la thèse et le fit bien savoir et voir à ses généraux, avec l’invasion de l’Irak.
Jim Lobe trace un portrait rapide de Cohen (le 3 mars sur Antiwar.com). Le gros trait suffit pour situer le personnage.
«…Like Cheney, Cohen was a founding member in 1997 of the Project for the New American Century whose positions on how to prosecute the ‘war on terror’ – including the invasion of Iraq and cutting ties to the Palestinian Authority (PA) under Yassir Arafat – he has consistently endorsed.
»Although lacking in any regional expertise or policy-making experience, Cohen has written prolifically in recent years on U.S. policy in the Middle East.
»Cohen first gained national prominence shortly after the 9/11 attacks when he published a Wall Street Journal column entitled “World War IV” – a moniker quickly adopted by hard-line neocons like former CIA director and fellow-DPB member James Woolsey, former Commentary editor Norman Podhoretz, and Center for Security Policy president Frank Gaffney (on whose board Cohen also sits) – to put Bush's ‘war on terror’ in what he considered to be the appropriate historical context and to define its enemy as “militant Islam.”
»After defeating the Taliban, he argued, Washington should not only “finish off” Iraq's Saddam Hussein, whom he accused of having “helped al Qaeda,” but also seek to overthrow “the mullahs” in Iran whose replacement by a “moderate or secular government would be no less important a victory in this war than the annihilation of [Osama] bin Laden.”»
Pourquoi Condi Rice a-t-elle enrôlé Cohen, elle qu’on dit de plus en plus éloignée, mais toujours prudemment, des thèses néo-conservatrices ? Parce que, disent les commentateurs, Condi est prudente (pardi). Explication, toujours par Jim Lobe :
«Some analysts here, however, said they thought the appointment was designed instead to reduce or pre-empt criticism from neoconservatives and other hawks in and outside the administration for the direction she hopes to take U.S. policy, particularly in the Middle East. With no operational responsibilities, the State Department Counselor can be used – or ignored – at the secretary's discretion.
»“Condi may feel she needs to have a neocon right next to her to protect her flanks,” said Chris Nelson, editor of the widely read Washington insider newsletter, The Nelson Report. “And, if she's really planning to put her foot down on the Israelis, which [Washington] will have to do if it wants to get a real process with the Palestinians underway as part of a bigger regional deal with the Saudis and Iranians, then a guy like Cohen up there on the [State Department's] seventh floor who is in on it and can claim influence on the outcome can help.”
»Bringing on Cohen could help inoculate her from criticism by the Cheney camp,” agreed Steven Clemons, director of the American Strategy Program at the New America Foundation in a reference to the vice president and the neoconservatives and other hawks who surround him. “One of the things that's been consistent is that Rice never takes Cheney head-on and is very careful not to take on people who might antagonize him.”»
L’argument semble acceptable. Nous y ajouterons, pour notre part, un puissant bémol, appuyé sur le fait que les neocons ne sont pas des imbéciles, qu’ils savent lire, et qu’ils ont lu comme vous et moi cet article de Jim Lobe, le Nelson Report ou bien les déclarations de Steve C. Clemons, et toutes les autres supputations dans le même sens qui se publient à Washington. Cela implique que la tactique de Condi Rice peut se retourner contre elle dans la mesure où elle est éventée et mise en pleine lumière, — et tout se passera comme si c’était le cas, même s’il n’y a pas intention tactique de Condi.
Cela signifie que si Cohen sert d’“alibi” à Condi, il n’est pas non plus dépourvu de moyens d’action pour faire pression sur elle. Si Cohen, dans un cas bien précis ou dans une circonstance plus générale, décide d’alerter ses partisans, voire Cheney, à propos du comportement de Rice, il peut le faire. Il n’y manquera pas et l’on ne serait pas étonné qu’il installe dans son bureau une ligne directe avec le cabinet du Vice-Président. Il peut aussi, à une occasion choisie, démissionner avec pertes et fracas, en dénonçant la dérive “réaliste” de la secrétaire d’Etat et en sabotant une initiative politique dans ce sens. Dans cette sorte de situation, Condi sera en position de faiblesse, soupçonnée de faiblesse d’âme et de caractère, — péché épouvantable dans la capitale américaniste. Cela signifie qu’il n’est pas assuré que l’habileté de la manœuvre n’ait pas son revers, et que si Condi a pris des gages, les neocons en ont fait autant.
Par ailleurs, on ne voit pas comment un homme comme Cohen, qui est ce qu’on connaît de lui et qui, semble-t-il, n’a pas changé, irait aider Condi Rice à faire pression sur les Israéliens, comme le suggère le Nelson Report («And, if she's really planning to put her foot down on the Israelis, which [Washington] will have to do if it wants to get a real process with the Palestinians underway as part of a bigger regional deal with the Saudis and Iranians, then a guy like Cohen up there on the [State Department's] seventh floor who is in on it and can claim influence on the outcome can help»)
L’événement nous en dit beaucoup sur la situation politique à Washington et sur l’état de l’administration GW (donc le pouvoir américaniste), — d’autant plus si on l’ajoute à ce qu’on suppute de la situation au Pentagone. Il nous confirme que le pouvoir à Washington est toujours à prendre, qu’il est toujours l’objet d’une lutte féroce, et qu’il est finalement, sur la durée, plus un lieu de désordre qu’une référence d’autorité qui pourrait, notamment, conduire vers un changement de politique. Aucune faction n’arrive à prendre définitivement le dessus et le “politically correct” reste l’orientation radicale instaurée depuis le 11 septembre 2001, le Radical Chic en vogue à Washington.
Le remplacement d’un réaliste comme Zelikow par un extrémiste comme Cohen, même avec l’interprétation tactique qu’on en donne, n’est pas un signe d’apaisement à cet égard. Ce n’est pas non plus un signe encourageant pour le jugement qu’on peut avoir du caractère de la secrétaire d’Etat qui, après six années passées au pouvoir et un accès sans limites auprès du président, en est encore à peaufiner sa réputation à Washington et à se garder des manigances du clan Cheney, — ou bien, à capituler devant ce qu’il reste des neocons.