Ils ont “cochonné” la puissance US

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Nous empruntons à un texte de Laurent Muriawec, «Tournants et virevoltes de la Maison-Blanche» qui nous est signalé très judicieusement par notre lecteur “Geo”, sur notre ‘Forum’ du 7 mars, ces quatre derniers paragraphes.

«Mais si la pression exercée par Blair et quelques autres, et par les nouvelles majorités démocrates du Congrès, peut avoir gain de cause, c’est aussi, c’est surtout en raison de la banqueroute intellectuelle de la Maison-Blanche : Bush peut, en l’espace de quelques semaines, virevolter d’une option à son contraire, d’un rejet tranché du Plan Baker à son acceptation partielle, puis revenir en arrière, demi-tour, droite ! Il peut zigzaguer de la promotion privilégiée de la démocratie, version Sharansky, à l’amadou distribué par Baker aux potentats saoudiens. Passer des initiatives tendant à saigner les entreprises iraniennes, à la préservation des espaces dont les ayatollahs ont besoin. L’incohérence aliène les uns comme les autres. Elle interdit la constitution d’une stratégie.

»A la vérité, il n’y a plus d’administration Bush : il y a une demi-douzaine de centres de pouvoir en concurrence qui ne s’inquiètent plus, comme ce fut naguère le cas, des velléités éventuelles du patron. Lequel a essentiellement abdiqué, sauf coups de menton épisodiques, et plus spasmodiques qu’efficaces. A laisser à tout le monde la bride sur le cou, quitte à resserrer les rênes de temps à autres, Bush a gaspillé son autorité, ses équipes rivales se sont éparpillées, il s’est condamné lui-même à ne pas avoir de politique. Plus s’aggravent la confusion et le va-et-vient des politiques antinomiques, plus s’alourdit le climat d’opinion aux Etats-Unis: là où une politique déterminée gagnerait à Bush le soutien populaire dont il a besoin pour faire passer ses choix, le trouble nébuleux qui entoure son action accroît la consternation de l’électorat, qui lui retire donc son soutien. Bush perd ainsi sur tous les tableaux.

»De Washington émanent donc plusieurs courants différents. Mlle Rice va discuter avec l’Axe du Mal, cajoler le Saoudien et flatter le Palestinien ; Bob Gates au Pentagone va gérer en tâchant de s’épargner les dégâts, mais il est un partisan connu et traditionnel du “dialogue” avec l’Iran ; Steve Hadley, au Conseil national de sécurité, va aiguiller les dossiers sans trop se soucier de leur contenu ; la CIA mènera sa propre politique pro-sunnite et pro-saoudienne, en sabotant tout le reste pour ne pas courir de risque. Le directeur national du renseignement fera ceci, les diplomates feront cela. Bush fera de temps en temps des discours au ton martial qui rappelleront ses engagements antérieurs périmés, la crédibilité en moins. La bureaucratie fera ce qu’elle voudra. Le Congrès taillera des croupières au président en se servant des armes dont il dispose – il peut couper les fonds, convoquer les responsables, les mettre sur le gril et, le cas échéant, les envoyer à fond de cale en faisant des journalistes ses acolytes. La presse et les médias continueront leur implacable travail de démolition de Bush. Dormez, bonnes gens – pendant ce temps, les ayatollahs de l’apocalypse, les prédicateurs saoudiens et les amis des Talibans dans l’armée pakistanaise auront leurs aises. Bush envoie la balle en touche ou dans les tribunes, en espérant que le coup de sifflet final retentira avant qu’elle ne soit remise en jeu.

»Il est certes possible que le président prenne un énième tournant, lequel rectifiera les erreurs mais pas les conséquences délétères du tournant précédent – l’accumulation des inconséquences, cependant, a tant réduit la marge de manœuvre de Washington qu’elle laisse l’Irak en proie aux tourments, l’Iran largement libre de ses mouvements, et le Moyen-Orient dans la confusion et la montée des périls. La dernière année de la présidence de George W. Bush s’annonce mal.»

Bien sûr, on peut différer sur le fond de l’analyse, — ce que nous faisons avec une joyeuse alacrité. La menace posée par les mollahs, les visions crépusculaires et apocalyptiques du domaine, les analyses tétanisées de la puissance du terrorisme, etc., tout cela ressort de la culture néo-conservatrice classique. Mais tous les chemins mènent à Rome lorsque Rome devient aussi immanquable.

Le fait est que, la rage aidant, l’analyse de l’état du pouvoir à Washington est bien vue. Ces quelques mots sont judicieux (sauf, peut-être, ce qu'il est implicitement dit du rôle de GW, in illo tempore, lorsqu'on s'imagine qu'il dirigeait) : «A la vérité, il n’y a plus d’administration Bush : il y a une demi-douzaine de centres de pouvoir en concurrence qui ne s’inquiètent plus, comme ce fut naguère le cas, des velléités éventuelles du patron. Lequel a essentiellement abdiqué, sauf coups de menton épisodiques, et plus spasmodiques qu’efficaces.»

Muriawec exprime ce qu’on pourrait apprécier comme le dépit et la colère d’une partie de la tendance néo-conservatrice devant la décadence accélérée du projet initial proposé par cette tendance, et que l’administration GW avait accepté en grandes pompes. Tout cela, qui paraissait clair et assuré au départ, a sombré dans l’incompétence, la corruption et l’inefficacité stupéfiante de la puissance US. Le choc et la rancoeur donnent la lucidité du jugement. On appréciera cette analyse de Muriawec comparée aux appréciations fascinées qu’il donnait en 2002 de cette même puissance US, et des perspectives qu’elle ouvrait. C’est une bonne mesure du chemin parcouru. Muriawec exprime sans aucun doute le vrai sentiment des néo-conservateurs, qu’on pourrait résumer par cette exclamation d’un colonel belge faite au roi Baudouin, en octobre 1960, devant le chaos sanglant des premiers mois de l’indépendance accordée au Congo par la Belgique : «Sire, ils vous l’ont cochonnée» — dans ce cas, bien sûr, parlant de la puissance US, avec le “Roi” comme premier responsable.


Mis en ligne le 8 mars 2007 à 06H47