De Schröder à Merkel, et retour

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De Schröder à Merkel, et retour

14 mars 2007 — Fin de semaine agitée pour Merkel: elle reçoit demain Poutine et elle va vendredi en Pologne. Dans les deux cas, un sujet central de discussion, pressant et imprévu : le déploiement des missiles anti-missiles (BMD) américanistes en Europe, ce que nous nommons la crise euromissiles-II. Les deux rencontres n’étaient pas prévues pour cela (elles avaient été fixées avant que l’affaire des BDM prenne l’allure d’une crise euromissiles-II).

Hier, Merkel a fait des déclarations sur ce sujet, en insistant pour que l’OTAN se saisisse de l’affaire, comme l’UE l’a déjà fait. Cette intervention permet de mieux saisir la complexité de l’affaire, surtout lorsqu’il est question de l’OTAN. Comme on voit ci-dessous, avec cet extrait d’un article de l’International Herald Tribune (IHT) de ce matin, — d’une part le ton se durcit, d’autre part on est de moins en moins d’accord…

«Chancellor Angela Merkel, sharpening her government's opposition to Poland's decision to accept part of a U.S. missile shield on its territory, said Tuesday that the issue should be submitted to NATO and not decided on a bilateral basis with Washington.

»Merkel is to meet in Hannover on Thursday with President Vladimir Putin of Russia, whose aides have threatened to withdraw from the Intermediate-Range Nuclear Forces Treaty if deployment so close to Russia's borders proceeds. On Friday, representing the European Union presidency, she will travel to Poland where she will discuss the plan with Prime Minister Jaroslaw Kaczynski.

»“We, and I, will say that in Poland we would prefer a solution within NATO and also an open discussion with Russia,” she told ZDF public television.

»Immediately countering Merkel's call for the debate to move to Brussels, a NATO spokesman said Tuesday the alliance would not interfere in negotiations between the United States and Poland or the Czech Republic, which has also agreed to deploy parts of the shield.

»“NATO must first agree on the threats and, to the extent possible, a common approach,” said James Appathurai, the alliance spokesman. “NATO is in no way engaging in these bilateral talks.”»

Les derniers développements montrent que l’OTAN est de plus en plus au centre de la polémique, ce qui est assez naturel puisque les Allemands veulent porter la question des BMD devant cette instance. Ce qu’ils veulent, c’est une pression à la fois sur les USA et sur la Pologne pour obtenir des aménagements décisifs dans le programme, qui satisfassent Moscou.

Comme l’explique une source à l’OTAN, non seulement l’OTAN mais les Américains n’en veulent pas. Ce sont toujours les mêmes arguments, répétés ad nauseam, sur le frein, la lenteur qu’apporterait un processus OTAN, et laissant entendre ce que chacun sait, comme alternative : la rapidité avec laquelle le Pentagone est capable d’agir, de réaliser un programme, de réussir des essais de missiles anti-missiles, de gagner une guerre et ainsi de suite. En quelque sorte, les USA ne veulent pas que quoi que ce soit, et surtout pas l’OTAN, n’interfère sur le bon déroulement de leur maladresse systématique, entêtée, profonde et durable.

«NATO diplomats said that the United States was pursuing bilateral agreements because it did not want to become bogged down in protracted debate within the alliance. “We saw what happened during 1999 when the U.S. was trying to get support from the alliance to stop Serbia's policy of ethnic cleansing in Kosovo,” said a senior NATO official who asked not to be identified because he was not authorized to speak on the matter. “Later, we saw how NATO was almost torn apart over the Iraq war when the U.S. sough support. The point is, the U.S. does not want endless delays, nor does Poland or the Czech Republic.”»

Evidemment, la véritable crainte est ailleurs. Si cette affaire vient devant l’OTAN, les divisions existantes entre les pays de l’OTAN éclateront au grand jour. S’il y avait processus classique et s’il y avait vote, la loi de l’unanimité prévalant, le projet BDM n’a pas une seule chance. De toutes les façons, on voudrait éviter cette extrémité car l’unité d’apparence importe avant tout. Il n’empêche, si l’Allemagne arrive à ses fins, les USA (et la Pologne) se sentiraient contraints d’attendre que se déroulent les délibérations de l’OTAN, tandis que les Allemands oeuvreraient pour “encommissionner” l’affaire et la faire traîner le plus loin possible. C’est en ce sens que l’avis exprimé ci-dessus est justifié.

D’autre part, car rien n’est vraiment simple, l’OTAN en rajoute dans la complication. Le soi-disant mécontentement du secrétaire général de l’OTAN, répercuté par le Financial Times et repris par nous-mêmes hier n’implique rien de moins que le constat d’une surenchère dans l’autre sens, parce que tous les pays de l’Alliance ne sont pas “couverts” par le réseau BDM en projet. Cette logique bureaucratique des intérêts particuliers (celle de l’Alliance en tant que telle dans ce cas plus que celle des pays en question, — l’Italie, la Grèce et la Turquie par exemple) en rajoute certes dans l’absurdité de cette affaire puisqu’elle implique qu’il faudrait une ou deux bases supplémentaires vers le flanc Sud.

(Rajoutons encore, en passant, pour cette chronique étrange du chaos occidental : l’article de l’IHT cité ici précise que les Britanniques et les Danois poursuivent des négociations de leurs côtés pour recevoir “leur part” du système [«Britain and Denmark are also holding talks with Washington on accepting parts of the grid.»]. On sait par ailleurs que le général Obering, qui dirige la Missile Defense Agency au Pentagone a décrit le déploiement d’une base BDM au Royaume-Uni comme une véritable provocation contre la Russie. Tout cela est étrangement coordonné et fait preuve d’une surprenante anti-diplomatie vis-à-vis des Russes. “Surprenante”, est-ce si sûr? Dans tous les cas, personne ne s’étonnera outre-mesure de cette absence de logique, de coordination, d’habileté, etc. C’est la marque de fabrique du système.)

Contradictions et incertitudes de l’Organisation

Il est intéressant de noter que toutes les nouvelles, toute l’agitation concernant cette affaire euromissile-II, viennent désormais d’Europe de l’Ouest, du monde transatlantique en général. Du côté russe, ce qu’il importait de dire a été dit et l’on attend la suite des événements.

L’insistance de Merkel auprès de l’OTAN répond à une poussée générale en Allemagne, de la droite à la gauche, de la CSU au SPD. Elle met a contrario en évidence, du côté de l’OTAN, les éléments suivants, déjà esquissés ou identifiés ici et là, et qui sont et seront amenés à prendre une importance grandissante.

• La position de l’OTAN est difficile, ambiguë, incertaine. Quand elle ne cède pas à la stupidité du maximalisme automatique et irresponsable de quasiment exiger des bases supplémentaires à celles qui sont projetées, elle joue dans la plus complète irresponsabilité : ce ne sont pas nos affaires puisque ce sont des affaires bilatérales.

• Drôle de contradiction : d’une part le secrétaire général de l’OTAN qui proclame que tous les pays de l’OTAN doivent être protégés par le système, — donc, qu’ils en sont partie prenante, et l’OTAN avec eux ; d’autre part le porte-parole de l’OTAN qui proclame que cette affaire n’est pas du ressort de l’OTAN , mais du bilatéralisme qui retrouve soudain toutes ses vertus dans les affaires transatlantiques.

• Conclusion de l’épisode : il y en a un des deux qui parle trop et trop vite, et il y en a un des deux qui aurait mieux fait de se taire. Ou bien est-ce qu’entre le 11 mars (publication de la déclaration du secrétaire général) et aujourd’hui (publication de la déclaration du porte-parole), quelqu’un a fermement fait savoir à l’OTAN qu’elle devrait s’occuper de ses seules affaires, et que le réseau BDM n’en fait pas partie ? Qui aurait pu dire une chose pareille, de façon aussi péremptoire, jusqu’à faire tourner les langues sept fois et plus dans les bouches ? Devinette ouverte à tous.

• Conclusion (suite) : dans tous les cas, — puisque la devinette n’en est pas vraiment une et que tout le monde a deviné, — nous avons un signe de plus que les Américains ne veulent pas entendre parler de l’OTAN pour les BMD.

Les Allemands, eux, ne jurent que par l’OTAN, en plus de l’UE qui est déjà impliquée, dans cette même affaire. Leur but, c’est d’obtenir un soutien collectif à leur profonde défiance, pour ne pas dire leur hostilité de plus en plus agressive aux projets USA-Pologne, et Tchéquie comme porteuse d’eau, de déploiement des missiles. Les Allemands ont de plus en plus une position complètement contradictoire de celle de l’Amérique, sans parler de celle de la Pologne.

L’enjeu se précise, inexorablement. Les Russes observent et doivent sourire sous cape. Certains Européens ne doivent pas être vraiment mécontents. D’autres ne se sont encore aperçus de rien. Les Américains, eux, n’y voient qu’une chose : attaquons, attaquons, — comme la lune.

Méditons, à nos soirs de veillée de ce printemps précoce, sur l’étrange destin de madame Merkel. Elle prit ce 1er janvier la présidence de l’UE pour relancer la Constitution et l’union de l’UE, — et nous lui souhaitons bonne chance, désormais, avec l’UE coupée en deux entre pro-polonais et pro-américanistes d’une part, et le reste de l’autre. Elle arriva au pouvoir auréolée d’un merveilleux destin de réconciliatrice entre l’Allemagne et les USA après le désastreux et scandaleux épisode Schröder, — et elle est en train de nous préparer pire encore…

«The participation of Poland and the Czech Republic is emerging as a major controversy in Germany.

»Putin has said he believes a defense system based so close to its borders would be directed against Russia — despite strenuous denials by Warsaw, Prague and Washington.

»He has won support from Germany's Social Democrats, who are coalition partners with Merkel's conservative Christian Democrats. The Social Democrats have started to appeal to anti- American sentiments, echoing former Chancellor Gerhard Schröder's 2002 election campaign in which he attacked U.S. plans to invade Iraq. In a speech in Dresden on Sunday, Schröder said the missile defense project amounted to “a policy of encirclement against Russia.”»