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84117 mars 2007 — La mission en Europe du lieutenant-général Obering, de l’USAF et directeur de la Missile Defense Agency, touche à sa fin. C’est un franc succès. Selon le texte de Defense News que nous mettons en ligne par ailleurs, les officiels américains jugent que «l’Europe s’ouvre à la défense anti-missiles» («U.S.: Europeans Opening To Missile Defense»).
Nous conseillons à nos lecteurs de lire ce texte comme la lumineuse illustration de la nouvelle situation du monde. Nous parlons souvent, avec intérêt, inquiétude et gourmandise, de cette nouvelle situation. Il est bon d’en trouver des signes si évidents, si rassurants, si pleins d’ironie remontante en un sens. L’étonnant dans ce texte est le début en fanfare, où l’Europe semble décrite comme fiévreusement enjouée et extatiquement satisfaite du formidable cadeau de l’Oncle Sam, — pensez, un réseau anti-missiles, tout neuf, qui fait “papa, maman” et ainsi de suite… Début suivi d’une litanie de points rappelant les innombrables motifs de crainte, d’insatisfaction, de prudence inquiète, de protestations qui ont accompagné cette offensive US massive en Europe.
• Rappelons la fanfare :
«European countries are coming round to accepting a need for a missile defense system, prompted by Iran’s launch of long-range weapons last summer, senior U.S. defense officials said here March 16.
»The Pentagon’s Missile Defense Agency Director Lt. Gen. Henry Obering told reporters he expected statements of support in Europe in the coming year for U.S. deployment of advanced radar and missile interceptors in Poland and the Czech Republic.
»A consensus is building on a ballistic missile threat, with estimates by intelligence agencies that Iran could have an intercontinental capability by 2015, Obering said.»
• Quant à la litanie, on mentionne à la queue leu leu les réactions furieuses des Russes, les inquiétudes générales en Europe devant ces réactions russes parce que l’Europe reçoit beaucoup de gaz russe, la réaction de Chirac, la réaction du secrétaire général de l’OTAN, les réactions des pays périphériques non couverts par le réseau, etc. Tout ce petit monde est angoissé, inquiet, contestataire, etc. devant les propositions US, l’attitude polonaise et les perspectives de cette affaire. L’article se termine par des avis d’un spécialiste français de la question iranienne, Pierre Conesa, de “Société de Stratégie“, mettant en évidence une argumentation expliquant la position de l’Iran.
D’une façon assez caractéristique, comme peuvent le lire nos lecteurs, cet article est conçu selon une structure involontairement ironique (ou volontairement? — espérons-le pour la gloire de l’esprit critique) puisqu’il enchaîne sur les affirmations triomphales du Pentagone et alentour tous les faits qui les contredisent de façon systématique. (Avec, comme dernière ligne ce propos qui reprend le thème du triomphe, tombant ainsi comme un cheveu bien lustré dans la soupe précédemment décrite : «[U.S. defense undersecretary for policy] Edelman said by and large, the U.S. Missile Defense Agency has met people’s concerns in its information meetings.»)
Ainsi est bien mise en valeur l’étrange irréalité du propos qui célèbre l’unanimité montante de l’enthousiasme européen pour le projet US, par rapport à la réalité de cet “enthousiasme”.
Encore une fois est mis en évidence cet autisme colossal, véritablement à l’échelle d’un continent et d’une pseudo-civilisation, que représente l’attitude courante du Pentagone. L’impression prévaut, lorsque la soldatesque bureaucratie fait sa tournée dans les terres extérieures et nous en rend compte, d’une monumentale incapacité d’assimiler les faits de la vie réelle. Cet autisme américaniste reçoit chaque jour sa ration d’appréciations («Now we are passing through a period of America's simultaneous withdrawal and resentment at the world», constate Tony Judt, avec la modération extrême qui le caractérise.)
Les réactions européennes ne jouent donc qu’un rôle très restreint dans l’évaluation générale que Washington fait de cette affaire. La peinture générale complètement surréaliste d’un alignement sans faille des différents pays “consultés” ne laisse aucun doute, dans l’esprit US. Le “by and large” de la citation déjà faite («[U.S. defense undersecretary for policy] Edelman said by and large, the U.S. Missile Defense Agency has met people’s concerns in its information meetings.») donne même l’impression que les pays consultés en redemanderaient. La déformation des réseaux intérieurs de communication, leur orientation systématiquement déformée sont ici déployées sans la moindre limitation.
L’affaire des BMD se joue donc, du point de vue US, simplement et uniquement au niveau intérieur, — où, d’ailleurs, les choses se présentent de la meilleure des façons possibles («Eric Edelman, U.S. defense undersecretary for policy, said he believes the deployment plan has bipartisan support in Congress»). Il paraît hors de question d’infléchir de quelque façon que ce soit les plans des BMD en cours de développement et toute considération politique de prudence ou de retenue semble devoir être écartée. La “narrative” officielle est donc : techniquement, le système va se développer selon les plans prévus et avec l’efficacité annoncée, et l’argent suivra sans problème ; stratégiquement, il est plus que jamais nécessaire, le développement des redoutables missiles iraniens étant désormais considéré comme une chose acquise («A consensus is building on a ballistic missile threat, with estimates by intelligence agencies that Iran could have an intercontinental capability by 2015, Obering said»). En bref, il n’est plus temps de perdre du temps en vaines palabres.
On peut conclure du constat de cet extraordinaire traitement virtualiste de la situation quelques points :
• L’espoir ou la demande de certains pays européens (l’Allemagne notamment) que la question des BMD passe sous le contrôle de l’OTAN est sans espoir de rencontrer le moindre début de compréhension du côté US. L’affichage de ces certitudes du bonheur européen avec les BMD implique que le passage par l’OTAN et toutes ses complications est sans le moindre intérêt, et s’avérerait même contre-productif. L’argument donné en général est que les USA retrouveraient les contraintes qu’ils connurent lors de la guerre du Kosovo.
• Les “pays-frères” choisis, notamment la Pologne et la Tchéquie, vont être fortement poussés à durcir leur opposition à ceux des pays européens, — l’Allemagne au premier rang, — qui s’opposent au projet.
• L’attitude de ces pays a également toutes les chances d’évoluer vers une hostilité grandissante systématique à l’encontre des organisations telles que l’OTAN et l’UE, dans la mesure où ces organisations seront de plus en plus perçues comme des freins au développement du programme BMD. La logique de la recherche d’accords bilatéraux (avec les USA), déjà très forte chez les Polonais, va se renforcer et se poursuivre.
L’attitude psychologique ethnocentrique du Pentagone est un élément déterminant de la crise et elle ne fait que se confirmer de jour en jour. La “narrative” virtualiste qui est en train de se développer implique des appréciations et des décisions qui seront complètement en décalage avec la situation européenne et ont toutes les chances (!) de l’aggraver.
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