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17581er avril 2007 — La campagne électorale pour les présidentielles est entrée en France dans sa dernière phase. La rhétorique est désormais à visage découvert et exprime les orientations fondamentales de la campagne. Cela est encore plus vrai pour Sarkozy, dont le travail de ces 4-6 derniers mois a été de complètement redéfinir sa candidature devant les évidences électorales et populaires, devant les évidences françaises. (Peut-être, — on peut rêver, — devant les évidences de ses propres convictions? C’est son affaire.) En un sens, le “corps électoral” a bien manœuvré, avec sa tactique nietzschéenne.
Soudain, le Financial Times et Bruxelles découvrent avec horreur le monstre qu’ils ont cajolé et couvert de tendres encouragements. La surprise est de taille, malgré la petite taille de l’individu.
• Jeudi, c’était le FT qui réagissait au discours très volontariste du candidat de l’UMP, la veille à Lille. (A Lille, en plus, à trois encablures de Londres et à deux de Bruxelles. La provocation ajoutée à l'infamie.)
«Nicolas Sarkozy has underlined his determination to block foreign takeovers of strategic French companies by fiercely condemning last year’s acquisition of Arcelor, Europe’s biggest steel group, by Lakshmi Mittal, the Indian billionaire, as a “waste”.
»The presidential frontrunner voiced a sharp protectionist twist to his industrial policy at a campaign rally in Lille on Wednesday night. His comments are likely to shock many of his admirers in the US and UK, who see him as France’s best hope for reform.
»Blaming the euro for low wages, promising to reintroduce “community preference” in the European Union and to combat “social, monetary and ecological dumping”, Mr Sarkozy launched an attack on “free trade”, which he called a “policy of naivety”.
»“Look at the waste of Arcelor, which we sold off on the cheap because we believed that the steel industry was history. They got it wrong. They lied,” said Mr Sarkozy to a cheering crowd at Lille’s Palais des Congrès. “If I am president, then France will have a real industrial policy.”»
Le FT commence à envisager qu’il a peut-être été la dupe d’une manœuvre qui est d’abord le résultat de la nécessité française. Il redécouvre ce qu’il savait déjà et qu’il avait mis de côté en croyant à une passade sans conséquence : «Mr Sarkozy is one of the few French politicians to call himself an economic liberal. Yet his record as finance minister in 2004 was notably dirigiste. He intervened to save Alstom, the engineering group, from bankruptcy and brokered an all-French merger of Aventis and Sanofi to avert a takeover by Switzerland’s Novartis.»
• Vendredi nous réserve le plus beau dans cette affaire : les cris d’orfraie de la Commission qui se découvre absolument violentée. La Commission, c’est-à-dire Neelie Kroes, Néerlandaise, Commissaire à la concurrence, consultante de son état auprès de divers groupes importants, dont l’américain Lockheed Martin. Neelie Kroes, signale à nouveau le FT, est absolument choquée et effondrée devant l’effroyable vérité.
«The European Union’s competition commissioner on Friday expressed her “shock” at the protectionist rhetoric of Nicolas Sarkozy, the leading challenger for the French presidency, saying it was in France’s interests to promote the European single market and cross-border investment.
»“I was really shocked when I read the Financial Times this morning that one of the candidates was pleading for more national champions and more protectionist action,” Neelie Kroes said at a press conference in Berlin.
»“It is outdated to talk about national champions. It is outdated to talk about protectionism.”
»Ms Kroes was reacting to the FT’s report of a speech Mr Sarkozy gave in Lille this week in which he condemned the takeover of Arcelor, Europe’s largest steel maker, by Lakshmi Mittal, the Indian steel magnate, as a “mistake”. “Look at the waste of Arcelor, which we sold off on the cheap because we believed the steel industry was history. They got it wrong. They lied,” Mr Sarkozy said. He described unrestricted free trade as a “policy of naivety” saying he would implement a “real industrial policy” if elected president.»
La malheureuse Kroes, lectrice attentive du FT, étouffe d’indignation devant des mots tels que “protectionnisme”, “politique industrielle”, devant les incroyables références du candidat de l’UMP … Celle-ci, par exemple, complètement “outdated” : «Mr Sarkozy said General Charles de Gaulle had developed French nuclear industry because he had a strategic vision for his country rather than because the market demanded it.»
Que dire sinon que “la force des choses” est toujours solide au poste et que, selon le mot du Général (dans ses Mémoires de guerre) : «Tout peut un jour arriver, même ceci qu’un acte conforme à l’honneur et à l’honnêteté apparaisse, en fin de compte, comme un bon placement politique». (Mais nous l’avons déjà cité, ce mot, et en le renversant, comme il devrait l’être également dans cette circonstance, ce qui donne : “Tout peut un jour arriver, même ceci qu’un bon placement politique apparaisse, en fin de compte, comme un acte conforme à l’honneur et à l’honnêteté.”)
Sarko a achevé sa mue. Il n’est ici ni question de vertu, ni de grands sentiments, ni de réflexions précises et décisives. Nous sommes au niveau des nécessités. Sarko est une puissante machine à débiter de la politique ; cela peut donner le pire ou le meilleur, selon l’impulsion que suit la machine. Il faut avouer, d’autre part, que jouer la carte de l’exaltation de la nation dans cet océan de molle complaisance et d’abêtissement conformiste qu’est le monde transatlantique et néo-libéral qui règne en Europe, est d’un excellent tonus électoraliste. Cela correspond bien mieux au caractère de la machine.
S’il continue dans cette voie, Sarko a de solides chances d’être élu et d’être bien élu car ce ne serait alors plus le Sarko imposé par le monde médiatique comme lui-même avait machiné son lancement. Peut-être cette mue électoraliste est-elle en train de se faire transmutation fondamentale. Il nous semble hors de question, après une telle campagne tonitruante qui ne va faire qu’en rajouter dans les semaines restantes, qu’un candidat devenu Président sur une telle rhétorique (l’hypothèse d’un Sarko élu) puisse changer un iota dans la politique que la pression des circonstances et l’évidence française lui imposent. Restera alors à la machine à se transformer en caractère, qui sera évidemment celui de sa fonction, — puisqu’en l’occurrence, la fonction régalienne suprême balaiera tout le reste.
Sarko a également l’avantage tactique d’avoir des soutiens inattendus et d’une formidable puissance. Avoir contre lui à la fois le FT et Neelie Kroes relève d’une inspiration tactique qu’on pourrait qualifier, dans l’enthousiasme du moment, de géniale. Quelle meilleure recette pour triompher en France aujourd’hui? La stupidité abyssale, à la fois tactique et fondamentale, de l’intervention de la Commissaire européenne, l’inculture extraordinaire dont cette Commissaire-là témoigne en faisant publiquement le procès d’une irrésistible orientation française, sa “naïveté” en un sens (comme Sarko parle de “politique naïve” en parlant du laisser-faire libéral avec la foi dans les vertus du marché), — tout nous montre la rupture de ces gens-là avec la réalité des peuples. Cela est trop beau pour être vrai et il faut se pincer pour y croire.
Il faut hautement proclamer, pour la bonne marche du business, que la Kroes devrait être rétribuée comme consultante des candidats nationaux (c’est-à-dire les candidats à tendance nationale) en France. Cela ferait un équilibre : consultante de Lockheed Martin et consultante d’un candidat français protectionniste. Ainsi devient-on une “bonne Européenne”, tendance FT revue Sarko.
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