L’esprit primaire finit par lasser

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L’esprit primaire finit par lasser


5 avril 2007 — Il nous semble assez naturel de mettre en parallèle, comme les reflets d’une même tendance, la libération des 15 Britanniques par l’Iran et la visite de la Speaker (présidente de la Chambre des Représentants US) Nancy Pelosi en Syrie. Cette tendance peut être exprimée par deux points, qui se complètent :

• Une pression générale, nullement machinée par des diplomaties ou des intérêts mais reflétant une pression historique, pour une multilatéralisation des relations, particulièrement dans les efforts de résolution des crises. Cette multilatéralisation reflète l’évolution vers la multipolarité.

• Un reflux de la politique de l’emploi de la force pour les tentatives de résolution des crises, au profit d’une approche privilégiant les nuances et les arrangements.

De même qu’on constate que ces deux points impliquent une réduction du poids et du rôle des USA, seul acteur partisan de l’unipolarité pour lui-même et de l’unilatéralisme à son avantage, de même constate-t-on l’absence des USA dans ces deux événements. Paradoxe intéressant à signaler lorsqu’on constate que deux des principaux acteurs des deux événements auraient dû impliquer les USA par leur propre implication. Ce ne fut pas le cas.

• Le Royaume-Uni face à l’Iran se garda bien d’en appeler à la solidarité de son mentor. Rétrospectivement, on peut tenir pour juste le commentaire («The American Dimension») du Guardian du 31 mars : «Even though the prisoners are British rather than Americans, neocons have been desperate to head for television studios. The only reason they have not done so yet is a request by the British government to the Bush administration to stay out of it. Word has also reached members of Congress. The British fear is that even a mild rebuke from President George Bush, or a neoconservative such as John Bolton, will be counterproductive, escalating the crisis and making it harder to get the 15 back. Tony Blair is well aware of the battle lines in Washington and, hopefully, will keep this at the top of his mind during the crisis…»

• S’il y a eu manœuvre, les Iraniens ont judicieusement manœuvré ; s’il n’y a pas eu manœuvre, le résultat est d’autant meilleur. Quelle que soit la réalité du pouvoir en Iran, tout s’est passé comme si les Iraniens affirmaient d’une part leur détermination (pendant les deux semaines où a duré la crise alors qu’il aurait pu ne pas y avoir de crise), comme s’ils montraient d’autre part que leur système gouvernemental est moins divisé et incontrôlable qu’il n’est dit, ou qu’il n’a été dit durant la crise, et qu'il était capable de montrer un esprit de conciliation. Dans le domaine extérieur, l’attitude iranienne rend évidemment plus difficile la perspective d’une attaque par les USA. (Celle-ci continue à être documentée.)

• Même si elle est le numéro trois de la hiérarchie constitutionnelle du système (deuxième en ligne après le vice-président pour la succession du président en cas d’indisponibilité ou de disparition de celui-ci), Pelosi est intervenue en Syrie plus en indépendante et en politicienne partisane démocrate qu’en Américaine. D’une part, elle est fort probablement intervenue à la demande d’Israël (Pelosi est très sensible au lobby israélien aux USA) pour faire ce qu’il est interdit au gouvernement israélien de faire par ukase du département d’Etat : engager des négociations de paix avec la Syrie. (Le semi-démenti israélien qui a suivi la visite de Pelosi renforcerait plus la thèse qu'il ne la contredit. Le gouvernement israélien ne veut pas compromettre officiellement ses relations avec l’administration Bush, qui a fortement attaqué la visite de Pelosi. La séquence visite Pelosi-démenti israélien peut très bien avoir été un montage préétabli, accepté par tous les protagonistes. Ou encore, autre hypothèse : le gouvernement israélien est divisé et certains ont demandé à Pelosi d’intervenir tandis que d’autres ont montré ensuite leur réticence.) Pelosi trouve dans cette visite son intérêt intérieur et partisan : affaiblir la position du gouvernement Bush et renforcer celle du Congrès démocrate.

L’Orient compliqué et très nuancé

Les divers comportements des différents acteurs dans ces deux séquences épousent parfaitement la grande tendance historique décrite plus haut. Ils le font d’une façon inconsciente, sans mesurer cette tendance qu’ils illustrent, sans avoir nécessairement conscience de l’existence de cette tendance.

Le résultat net est l’isolement des USA “officiels” dans les deux affaires d’importance qui se sont jouées au Moyen-Orient ces derniers jours, tandis qu’ils restent présents dans la mascarade sanglante de l’Irak, — mascarade illustrée ces derniers jours par les emplettes au marché de Bagdad par quelques parlementaires US, McCain en tête.

Aucun de ces épisodes n’est fondamental en soi. Mais chacun d’eux peut faire évoluer les deux crises centrales au Moyen-Orient en ce moment. Ils aident surtout à nuancer de manière très remarquable la situation au Moyen-Orient. Ils servent à largement fissurer le tableau “noir-blanc” offert par l’administration GW et ses soutiens divers (néo-conservateurs, néo-impérialistes, etc.) en guise de description de la situation du monde, notamment en donnant à quelques pays maudits (Syrie, Iran) une position beaucoup plus nuancée, voire très positive et très arrangeante. L’illustration de ce propos, c’est surtout la Syrie. Il existe en effet un lien direct entre les deux événements, et c’est la Syrie ; outre de recevoir Pelosi, la Syrie a joué un rôle central dans l’affaire Iran-UK en intervenant avec insistance auprès de l’Iran en faveur de la libération des 15 prisonniers, après avoir reçu une demande britannique dans ce sens. (Selon Breitbart.com : «“Syrian efforts and the Iranian willingness culminated with the release of the British sailors,” said Information Minister Mohsen Bilal. He said Syria had been asked “to help positively in the issue of British” crew members since their March 23 seizure by Iran in the Persian Gulf.»)

Mais quelle personne de bon sens tout cela étonnera-t-il ? Une réelle lassitude se fait jour à propos du schématisme et de la primarité de l’esprit hyper-occidentaliste et hyper-américaniste qui sert de référence officielle à notre civilisation depuis cinq ans. L’auto-abrutissement n’a qu’un temps, lorsqu’il est si grossier, et cela finit par déclencher des réactions. L’Histoire réagit en ce moment. Nous en avons eu quelques signes ces derniers jours.