Gordon Brown et le changement

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Gordon Brown et le changement

9 mai 2007 — Le départ de Tony Blair n’est plus qu’une question — de quoi ? De quelques jours, de deux ou trois petites semaines au plus, — juste le temps de s’assurer que l’Histoire ne l’oubliera pas grâce à une mise en scène à mesure. (Quoique non, peut-être, qui sait: selon le Daily Telegraph, aujourd'hui, c'est plutôt 50 jours qu'il faut compter d'ici son départ. On verra.)

Des indications sur les options envisagées par son successeur, Gordon Brown, montrent pour la première fois précisément une forte volonté de changement. Un sujet significatif marquant cette possibilité de changement est le Moyen-Orient, et les intentions supposées de Brown vis-à-vis de la situation politique dans cette région.

The Independent du 8 mai nous informe dans ce sens, parlant d’un «fundamental change of approach on Iran and Iraq». (Le journal indique que Brown devrait développer ses intentions ce jeudi.)

«Gordon Brown is ready to hit the ground running after Tony Blair resigns with an ambitious strategy for his first 100 days in office that will herald a radical change of approach on the Middle East and the NHS and a clean-up of Whitehall.

»He will use the departure of Lord Levy, the Prime Minister's personal envoy to the Middle East, to signal a fundamental change of approach on Iran and Iraq — where Mr Blair's foreign policies have bequeathed a legacy that could cost Labour the next general election.

»As a priority, the prime minister-in-waiting will seek to engage Iran directly in talks over the future of Iraq — possibly through the EU — soon after Mr Blair quits in June. Mr Blair was reluctant to criticise the Bush administration after the White House rejected the recommendation of the President's Iraq Study Group to hold talks with Iran. The US has since begun to shift, but Mr Brown believes a major push towards engaging Iran in the Middle East must be made to avoid a disaster in the region.

»Changes to Middle East policy will be welcomed by Labour voters, who deserted in droves at last week's local elections. But Mr Brown has privately reassured Labour Friends of Israel that he will not compromise on Mr Blair's support for the right of Israel to exist as a separate state.

»Mr Brown has been holding talks with colleagues on the development of a strategy for change across a wide spectrum of polices on terrorism, Islamic extremism, the NHS, education, law and order and climate change. He is ready to make clear his priorities from Thursday, when Mr Blair is expected to set out the timetable for his departure.»

Brown et la France de Sarko

Gordon Brown va arriver au pouvoir. Il faut bien qu’il en fasse quelque chose, c’est-à-dire qu’il faut bien qu’il fasse quelque chose qui rompe avec son prédécesseur, — le calamiteux et catastrophissime Tony Blair. (Inutile de s’appesantir sur le fait que Tony Blair est l’une des plus grandes catastrophes de l’histoire politique moderne. Il suffit de lire à l’envers tout ce que notre stupide presse MSM et ses commentateurs disent sur lui pour se rapprocher de la réalité.)

Il ne faut se faire aucune illusion sur Brown. Brutal, grossier, c’est le politicien-type à la sauce anglo-écossaise ; pour le reste, c’est un politicien bien de son temps, démagogue, intéressé par ses intérêts politiciens. Comme tel, il a compris que l’impopularité de Blair est un boulet qui risque d’entraîner le Labour. De cela, pas question. (Relisez ce passage en vous attardant à ce que nous signalons en gras et tout y est, — et il s’agit bien, ceci pour nos lecteurs qui n’aiment guère l’anglais, d’intérêts électoraux et politiciens : Brown «will use the departure of Lord Levy, the Prime Minister's personal envoy to the Middle East, to signal a fundamental change of approach on Iran and Iraq — where Mr Blair's foreign policies have bequeathed a legacy that could cost Labour the next general election.»)

Il est possible qu’il soit bienvenu d’appliquer à Brown la méthodologie d’interprétation historique que nous appliquons à Sarko. “Scélérat” (le mot est de Maistre, pas de nous, — donc, qu’on ne nous accuse pas) comme Sarko, Brown comprendrait qu’il a intérêt à revenir sur la politique infâme de Blair, non à cause de ce caractère infâme mais parce qu’elle risque fort de le faire “tomber ignoblement” (Maistre toujours), aux prochaines élections s’entend. Cette thèse-là a la vertu de respecter les réalités de la médiocrité que le système suscite chez les hommes politiques qui y sont engagés.

Cela dit, si Brown fait ce qu’il annonce, il trouve un terrain plus commun avec Sarko que Blair n’en put jamais trouver avec Chirac (sauf au temps du traité de Saint-Malo, en décembre 1998, avant de succomber aux charmes de GW). Les choses peuvent alors tourner d’une façon intéressante.

Les Français, avec Sarko et son équipe, ont un œil particulièrement attentif sur les Britanniques, — c’est-à-dire Gordon Brown. Certains peuvent croire, si ça les chante, que c’est pour vendre à la criée le “modèle français” aux ogres du Foreign Office et de la City. Nous ne sommes pas au marché du dimanche, mais dans des occurrences historiques. Français et Britanniques, pour des raisons politiques différentes voire opposées mais pour des intérêts électoraux similaires, ont besoin d’avancées européennes ; Sarko, pour montrer que le “non” de mai 2005 est moins nihiliste qu’on ne disait ; Brown, pour montrer qu’il y a un “ailleurs” après le départ de Tony Blair, hors du catastrophique enlisement pro-américaniste. Vous dire que la manœuvre va réussir, c’est une autre affaire, — mais il existe une opportunité et des nécessités…

Si on lit bien les discours de campagne de Sarko, l’Europe a 60 ans et non 50, cela quelques semaines après le 50ème anniversaire du traité de Rome. (La chose est répétée plusieurs fois : 60 ans et non 50.) Que se passe-t-il? 60 ans, c’est 1947. Cette curieuse comptabilité historique a peut-être un sens. 1947, pour l’Europe, c’est le traité de Dunkerque machiné par l’excellent Duff Cooper, un des diplomates britanniques les plus originaux et les plus intelligents du siècle. Relisez notre présentation sur le cas et les réflexions de Duff Cooper :

«La période la plus passionnante que nous fait visiter Duff Cooper est celle d'une France rétablie dans sa souveraineté (notamment après novembre 1944 et la reconnaissance en cascade du nouveau gouvernement français du général de Gaulle par les puissances). Il apparaît très vite que Duff Cooper a un programme. Il veut favoriser un rapprochement entre la France et le Royaume-Uni, de façon à verrouiller la sécurité de l'Europe autour de l'axe Paris-Londres. Vieille idée, qui resurgit régulièrement, mais qui n'a jamais été exprimée de façon plus claire et résolue du côté britannique qu'à ce moment, et par Duff Cooper.

«“La conclusion d'un traité d'alliance avec la France était le premier pas vers la réalisation de ma politique. Les deux grandes puissances du Nord-Ouest de l'Europe devaient être les pierres d'angle du vaste édifice. Des copies imprimées de mon exposé parvenaient peu à peu aux autres ambassades et les commentaires de plusieurs de mes collègues m'encourageaient. De Washington, Lord Halifax faisait savoir qu'il n'y avait pas de raison pour que le Gouvernement américain désapprouvât mes propositions. Archie Kerr m'écrivait qu'à son avis, elles n'envenimeraient pas nos relations avec l'Union Soviétique et qu'elles pourraient même avoir sur celles-ci un heureux effet. De Bruxelles, Knatchbull-Hugessen me soutenait fermement en me disant que les Belges, inquiets de l'évolution politique en France, seraient heureux de la savoir solidement liée à la Grande-Bretagne. Je reçus aussi des lettres de félicitation et d'encouragement de plusieurs membres du Gouvernement à qui mon exposé avait été communiqué.”

»Duff Cooper fut l'artisan du Traité de Dunkerque, entre Paris et Londres, qui s'élargirait au Traité de Bruxelles (d'où est né l'UEO) et finirait par conduire à la logique du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), également suscité à son origine par un Britannique (Bevin). Entre temps, la démarche avait complètement changé d'esprit.»

Question d’analogie historique… La période 1945-47 suit la réalisation par les Britanniques des conditions épouvantables que les USA allaient imposer au Royaume-Uni au nom des special relationships (Keynes, qui menait la délégation britannique aux négociations monétaires USA-UK du printemps 1945, avait failli démissionner d’écoeurement devant le comportement et les exigences des USA). Pendant deux ans, jusqu’aux prémisses de la Guerre froide, Londres songe réellement à une authentique politique européenne avec la France. La seule période qui offre une opportunité assez proche est celle de 1955-56, terminée par la catastrophe de Suez. Question : ne sommes-nous pas dans la troisième opportunité du genre ?

Pendant le mois de mars, un des conseillers “défense” de Sarko baladait (à l’une ou l’autre occasion, hors de France) sa faconde gouailleuse qu’il transformait brusquement en un ton diablement sérieux pour vous confier que l’un des “coups” envisagés par l’équipe Sarko pourrait être de tenter de convaincre les Britanniques de revenir sur l’accord de Nassau de décembre 1962. C’est-à-dire, abandonner, dans le domaine fondamental du nucléaire, la filière US et ses contraintes pour l’option de la coopération avec la France.

Répétons et confirmons : “Vous dire que la manœuvre va réussir, c’est une autre affaire, — mais il existe une opportunité et des nécessités…”