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225114 mai 2007 — La Guerre de la 4ème Génération (G4G) continue à entretenir la réflexion et à gagner en vastitude, en diversité et en complexité dans l’extension de sa définition. William S. Lind reste un auteur de référence (mais très américain, sinon américaniste) sur le sujet et c’est un article de lui qui nous arrête ici, à propos d’un autre auteur du domaine et de sa plus récente publication : John Robb et son livre Brave New War: The Next Stage of Terrorism and the End of Globalization.
La thèse de Robb, soutenue par Lind, est que la G4G est le principal moyen mis en œuvre pour non seulement contrer la globalisation mise en place ces dernières décennies mais également pour la détruire. La destruction de la globalisation est en bonne voie, de la façon la plus spectaculaire dans la période ouverte le 11 septembre par les actions terroristes et, surtout à notre sens, par les réactions des “pouvoirs”, voire des “Etats” qui se jugent soi-disant engagés dans la défense de la globalisation. (Les guillemets sont nécessaires tant l’ambiguïté est grande dans ces divers domaines et actions. La question de la définition de ces soi-disant “pouvoirs” et “Etats” est même au centre de la réflexion telle qu’elle évolue, notamment avec le livre de Robb et le commentaire de Lind.)
• Le point principal que relève Lind, c’est donc que la G4G est en train de vaincre la globalisation. (L’article de Lind, publié par United Press International, est notamment repris ce jour par SpaceWar.com) : «While the White House and the Pentagon continue their long vacation in Cloud Cuckoo Land, in the real world the literature on Fourth Generation war continues to grow. An important addition is John Robb's new book, “Brave New War: The Next Stage of Terrorism and the End of Globalization.” As the title implies, this book dares to question the inevitability of the globalist future decreed by the internationalist elites, a one-world superstate where life is reduced to an administered satisfying of “wants. […] Robb perceives, rightly, that the “Brave New War” of the Fourth Generation will put an end to the Brave New World.»
• Lind rapporte que Robb formule quatre propositions d’importance, qui structurent son livre et son analyse. La première est technique et amène quelques réserves de Lind. Pour notre part, nous ne nous y attacherons pas car il s’agit d’une observation d’importance mineure, surtout du domaine de la technique. («The first is that the “global guerillas” of 4GW will use “systems disruption” to inflict massive damage on states at little cost to themselves. Modern states depend on the functioning of numerous overlaid networks — fuel pipelines, electric grids, etc. — which have critical linkages that are subject to attack.»)
• La seconde remarque est plus intéressante : «Robb's second strategic observation I think is wholly correct: 4GW forces gain enormous strength from operating on an open-source basis. Anyone can play, a shared vision replaces top-down control, and methods evolve rapidly through lateral communication.» Effectivement, l’importance de ce que l’auteur et Lind nomment OSW (“Open Source Warfare”) nous apparaît évidente. Nous serions évidemment tentés d’élargir le concept, ici réduit aux seules actions terroristes, à toute la “dissidence” qui se manifeste sur Internet, y compris des sites d’information de type “classique”. Nos lecteurs auront compris que nous comptons dedefensa.org parmi les combattants de l’OSW, — et nous aurons l’occasion de revenir sur ce concept, sans aucun doute.
• La troisième remarque est souvent faite par nous-mêmes : la puissance de la globalisation retournée contre elle-même par ses adversaires (Internet, là aussi, exemple démonstratif) : «The combination of post-modern Open Source Warfare and pre-modern, non-state primary loyalties leads to the third observation, that 4GW turns globalization against itself.»
• La quatrième et dernière remarque concerne la conclusion de Robb, et notre avenir, — ou comment s’en sortir sans la globalisation (contre la globalisation ?) : «Finally, Robb correctly finds the antidote to 4GW not in Soviet-style state structures such as the Department of Homeland Security, but in decentralization. What Robb calls “dynamic decentralized resilience” means that, in concrete terms, security is again to be found close to home. Local police departments, local sources of energy such as roof-top solar arrays — I would add local farms that use sustainable agricultural practices — are the key to dealing with system perturbations. To the extent we depend on large, globalist, centralized networks we are insecure. Robb foresees that as state structures fail.»
La conclusion de William S. Lind, à une réserve centrale près que nous développerons ci-dessous, correspond assez à notre sentiment. C’est bien la modernité elle-même qui est en cause, et non seulement les USA, ou le soi-disant “Ouest”. De même pour l’image de la modernité se suicidant en 1914, — mais là aussi avec des réserves sur l’explication de la chose : «If this all sounds a bit like what happened as the Roman Empire fell, it should. The empire in this case is not America or even the West, but the state system and the force that produced the state, the modern age. Modernity shot itself in the head in 1914. How much longer ought we expect the body to live?»
D’une façon générale, nous avons une définition beaucoup plus vaste de la G4G que celle que ces auteurs US nous proposent. Nous avons tendance à faire largement déborder ce concept du seul cadre militaire. Nous l’étendons à des aspects culturels, psychologiques, institutionnels, politiques bien sûr, etc. (Ainsi, nous avons fait de la victoire du “non” en France, au référendum de mai 2005, une étape importante de la G4G.) En fait, désigner la G4G, pour nous, c’est désigner la réaction de la résistance structurelle au courant déstructurant de la globalisation, sans donner trop d’importance aux moyens, aux buts, etc.
(L’aspect militaire n’est effectivement pour nous qu’un domaine du vaste spectre de la G4G, — même s’il est très intéressant, et avec des retombées conceptuelles parfois inattendues et toujours très substantielles. Un exemple est dans la façon dont il réduit à néant, jusqu’à en faire une arme contre l’adversaire, l’usage que ce dernier fait des technologies avancées. Il y a, dans cette occurrence, une mise en cause de l’usage systémique des technologies aboutissant à la mécanisation et à la virtualisation de notre civilisation, et à sa décadence accélérée. De ce point de vue, et en nous appuyant sur notre perception de la Grande Guerre, — notamment de la bataille de Verdun, — nous partageons l’avis de Lind sur l’importance du conflit de 1914 comme un des points centraux de l’évolution de la modernité, à la fois son triomphe et le commencement de sa chute.)
Le problème que soulèvent les réflexions de Robb et les commentaires de Lind concerne moins le sort de la globalisation, — nous sommes entièrement d’accord avec le constat que ce sort est funeste, — que les schémas que présentent les deux auteurs pour la période post-globalisation.
• En fait, leur proposition revient à se replier sur le “localisme démocratique” jeffersonien de l’origine des USA, en l’opposant au schéma fédéral, dont la globalisation ne serait qu’une extension à la planète entière. On comprend ce raisonnement mais on remarque qu’il est typiquement américain, sinon américaniste. Entre l’“Etat” fédéral moderniste, prédateur et déstructurant, et le repli sur le localisme jeffersonien, il semble n’y avoir rien. Le jugement implicite, voire explicite de Lind est de mettre l’Etat parmi les acquisitions du modernisme (notre souligné en gras) : «The empire in this case is not America or even the West, but the state system and the force that produced the state, the modern age…»
Nous avons une approche différente. L’Etat au sens de l’Etat-nation n’est nullement un enfant du modernisme, mais un enfant de la nation, — laquelle n’est, à son tour, nullement une fille du modernisme. La nation, et son émanation adaptative au processus moderniste de l’Etat-nation, sont d’abord une riposte transcendantale et identitaire à la notion d’empire ; la nation et l’Etat-nation sont élaborés essentiellement par la France (dite “la Grande Nation”) face à la poussée de substance impériale de l’Eglise prétendant, aux XIIème-XIIIème siècles, se substituer définitivement à l’Empire romain. Selon ce schéma, la modernité avec sa structure fédérale et sa tendance déstructurante (la globalisation) est beaucoup plus un enfant dévoyé, — Réforme oblige, — de la tentation véritablement impériale du Moyen-Âge que de la nation, bien sûr. Au contraire, la véritable nation, et l’Etat lorsqu’il est à son service dans la notion d’Etat-nation, sont les adversaires de cette poussée ; si l’on juge qu’ils sont également adversaires de la modernité, dans tous les cas de ce que la modernité a de déstructurant, c’est que la logique y pousse et que l’Histoire ne le dément pas. (Il s’agit là de remarques structurelles historiques bien plus que de remarques politiques mais elles nous semblent s’adapter beaucoup mieux à la situation présente.)
Selon cette conception, les rares Etats-nations qui subsistent sont aujourd’hui les adversaires de la globalisation bien plus que ses complices. Le cas évident est bien entendu la France, avec la Russie dans son processus actuel retrouvant certains des attributs de l’Etat-nation (dans ce cas, rejet de l’idée de la Russie considérée comme un empire, d’ailleurs aujourd’hui privée de ses attributs de conquête au nom de la religion ou au nom de l’idéologie qui sont redéfinis comme son “extérieur proche”, au profit d’une identité plus affirmée.)
Il nous semble que Lind, comme Robb d’ailleurs, a une vision très américaniste de la question de la G4G et des conditions qui la suscitent. Cette vision implique une notion de l’Etat très éloignée du véritable Etat dans le cas de l’Etat-nation puisqu’il s’agit d’une force déstructurante elle-même privée d’identité et de transcendance. Le rôle historique de l’Etat en Europe est d’être au service de la nation, c’est-à-dire de la transcendance et de l’identité. Le contraire de la notion américaniste. Dans un cas (européen), l’Etat est structurant et adversaire de la globalisation, dans l’autre (américaniste) il est déstructurant et bien entendu la cible de la G4G (dans ce cas, le terme d’“Etat” nous paraît d’ailleurs impropre d’emploi).
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