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20 mai 2007 — GW a-t-il réussi le miracle étrange de faire douter l’Amérique d’elle-même? C’est une phase nouvelle, au moins depuis la Grande Dépression, qui s’ouvre dans l’évolution psychologique des USA. Il y a des signes précis d’une crise de confiance fondamentale de l’Amérique, — sur sa politique, sur elle-même, y compris sur son exceptionnalité. On voit que le sentiment américain de la crise tend de plus en plus à dépasser le seul GW Bush, — ici, sur le fond de l’appréciation, comme là, il y a quelques jours, dans la chronologie (la crise dépassant le départ de GW Bush).
Nous avons collecté deux faits dans le sens que nous identifions.
• Un discours du député républicain Ron Paul, en général marginal du parti, qui est cette fois noté et commenté par un média de grande diffusion (CNN). La thèse de Paul est pourtant révolutionnaire, pour ne pas dire sacrilège : les USA méritaient, par leur politique extérieure agressive, l’attaque du 11 septembre 2001.
RAW Story rapporte, le 18 mai, cet effet inattendu de l’intervention de Ron Paul : «Ron Paul's assertion in this week's Republican presidential debate that American foreign policy in the Middle East invited the terrorist attacks of Sept. 11 should not be dismissed, lest Americans continue to ignore the lessons of history, a CNN contributor wrote in an opinion piece Friday on the network's Web site.
»“As Americans, we believe in forgiving and forgetting, and are terrible at understanding how history affects us today,” wrote Roland S. Martin, who also hosts a talk show in Chicago. “We are arrogant in not recognizing that when we benefit, someone else may suffer. That will lead to resentment and anger, and if suppressed, will boil over one day.”
»After Paul, a Texas congressman, asserted that terrorists attacked the US “because we've been over there” bombing Iraq for a decade, former New York Mayor Rudy Giuliani said he’d never heard such an assertion and pounced on Paul and demanded a retraction of the statement.»
(Sur l'intervention de Ron Paul et les effets qu'elle produit, voir également les notes de Steve C. Clemons, en date du 17 mai.)
• Le 16 mai dans le Guardian, Simon Tisdall consacre une chronique au “Bush malaise”, — « The badness of George II» (par analogie à «The madness of king George», référence à la folie de George II, le roi d’Angleterre qui conduisit la guerre contre les insurgents américains de 1776). Le sujet de cette chronique est l’état d’esprit des USA et il faut noter que l’idée de la crise dépassant le seul gouvernement de Bush commence à s’imposer même à des esprits modérés comme celui de Tisdall («At the very least, a period of growing political distraction and introspection seems likely to characterise the two years until the next president is able to make his or her mark»). Tisdall nous donne des précisions statistiques intéressantes.
«Washington's insecurity is rooted in the collapse of George Bush's domestic support and an apparent failure of national confidence. The president's approval rating hit a new low of 28% this month, according to a Newsweek poll. His aggregate figures have been stuck at 35% or less since last autumn — far below the norm for an incumbent halfway through a second term.
»The ‘badness of King George’, as Mr Bush's fall from imperial grace has been dubbed, is creating a power vacuum around the White House. The earliest ever start to the election campaign to replace him is now being matched, according to many commentators, by the longest ever ‘lame-duck’ presidency.
»“The country doesn't believe George Bush, it doesn't trust him, and with 19 months to go it's only going to get worse,” Ed Rollins, a famed Republican strategist, told the US columnist Albert Hunt. “There is nothing the president can do to get his numbers back up.”
»The deepening gloom around Mr Bush is largely attributed to the Iraq quagmire, though domestic policy failures and security worries also play a part. And the depression may be catching. An AP-Ipsos poll this week found 71% of Americans believe the US is “on the wrong track”. Only 35% say the Democrat-controlled Congress, elected in November, is doing a good job (mostly because it has failed to force a change of course on Iraq).
»But the veteran analyst David Broder, quoting a poll for the Third Way thinktank in Washington, detects a broader, more globally significant shift in public thinking. When Mr Bush pledged in his second inaugural address to “support the growth of democratic movements in every nation and culture, with the ultimate goal of ending tyranny in our world,” the country seemed to back him, Mr Broder told the Cincinnati Post. Now most take a more chastened, pragmatic view, with 58% agreeing: “It is a dangerous illusion to believe America is superior to other nations; we should not be attempting to reshape other nations in light of our values.”
»By a margin of almost 3-1, those questioned believed “the main goal of American foreign policy should be to protect the security of the United States and its allies, rather than the promotion of freedom and democracy,” Mr Broder said. And the same poll found a majority also opposed forcible regime change; said the terrorist threat had increased since 9/11, not decreased as Mr Bush claims; and felt less safe since the war in Iraq.
»Dented national confidence and lowered ambitions evidenced by these polls suggest a turning away from international challenges by many Americans. At the very least, a period of growing political distraction and introspection seems likely to characterise the two years until the next president is able to make his or her mark.»
Cette évolution de l’état d’esprit de l’Amérique est particulièrement catastrophique. Elle n’a guère de précédent en intensité depuis la Grande Dépression. Même si elle s’apparente, en orientation, à la tendance qui a marqué l’Amérique à la fin de la présidence Carter, — contre-coup de la crise du Vietnam et de la crise du Watergate, — les circonstances diffèrent. La crise de confiance sous Carter concernait des crises qui étaient bouclées (le Vietnam et Watergate) même si elle était activée par des événements spectaculaires (crise à Téhéran, prise des otages à l’ambassade US, hausse du prix du pétrole) mais somme toute temporaires et peu promis à durer. La crise actuelle concerne des événements toujours “en cours”, et notamment deux événements :
• L’emprisonnement psychologique et métaphysique de l’Amérique autour du mythe du 11 septembre 2001. Evénement soi-disant fondateur d’une nouvelle époque, attaque du Mal absolu contre l’Amérique, justifiant toutes les ripostes, tous les excès… Et voilà que Ron Paul nous dit que cet événement est relatif, qu’il est peut-être la conséquence du comportement américaniste qui précéda, — et Ron Paul n’a peut-être pas tort. La question va très vite devenir : la psychologie américaniste peut-elle se libérer de l’emprise de 9/11 pour enfin en venir à la réalité? Peut-elle répudier le mythe de la guerre sans fin contre la terreur qui, par un étrange retour des choses, “terrorise” la vision du monde de l’Amérique?
• La pure “folie du roi George” : la guerre en Irak. Cette catastrophe sans fin, dont les auteurs sont si complètement prisonniers qu’ils en paraissent déments. Le dernier voyage de Blair en Irak, annonçant que la situation s’améliore sous les obus de mortier a quelque chose d’une scène sortie d’un drame psychiatrique (Vol au-dessus d’un nid de coucous?). Blair est-il fou? La question n’est pas vaine et, dans tous les cas, même s’il s’agit d’un Britannique mais d’un Britannique tout relatif, cela concerne les USA en premier. L’Irak n’est plus un bourbier aujourd’hui, c’est à la fois une hallucination et une drogue pour Washington. La question est moins de savoir comment s’en sortir, que celle-ci : Washington peut-il encore se sortir de l’Irak, c’est-à-dire de sa folie irakienne?
On dira qu’il s’agit de question de pure rhétorique. On peut toujours rapatrier des troupes ou déclarer que la guerre contre la terreur est gagnée et finie. Mais on comprend qu’il s’agit là d’un raisonnement normal, ayant à voir avec la réalité même si cela est au prix d’une crise. Les questions que nous posons n’ont rien à voir avec la réalité extérieure. Elles ont à voir avec des psychologies complètement bouleversées, avec une psychologie collective enfermée dans des mythes aussi solides que les barreaux d’une prison. Face à l’hypothèse de Ron Paul qui relève du pur bon sens, la réaction de Steve Martin est une nouvelle sensationnelle, — mais celle de Giuliani, l’un des favoris à la désignation républicaine, est hautement significative de la pathologie américaniste : il n’a jamais rien entendu de pareil et il demande une rétractation publique de Ron Paul, — si l’on veut, une auto-critique publique, comme les staliniens ou le Vietminh exigeaient de leurs prisonniers.
Le roi George est fou, ce n’est pas nouveau puisque cela date de 1776. Ce qu’il faut comprendre, c’est que tout le monde autour du roi George est également fou. Ce qu’il faut comprendre également, c’est que cette folie commence à devenir épuisante, parce qu’elle est confrontée à la réalité. C’est pour cette raison que notre évaluation tend plutôt à comparer la période actuelle avec celle de 1929-33, lorsque l’Amérique brutalement arrachée à l’ivresse des “années folles”, des “Roaring Twenties’”, découvre la réalité de l’effondrement d’un système à partir du jeudi noir d’octobre 1929. Pour notre période, les “années folles” sont nées avec le mythe purificateur de 9/11, l’attaque du Mal contre la pure Amérique, et l’Irak est l’équivalent du krach boursier, mais un krach qui n’en finit pas de susciter l’effondrement, comme dans un trou noir sans fond. Ce que nous observons, autant avec l’épisode Ron Paul qu’avec l’état d’esprit des citoyens (71% pensant que l’Amérique est “sur la mauvaise voie”, 58% disant que «c’est une dangereuse illusion de croire que l’Amérique est une nation supérieure»), ressemble, pour poursuivre notre analogie, à l’entrée dans une Grande Dépression postmoderne, — quand les symptômes nés des tourments en cours annoncent la crise générale de la psychologie. Il est possible que l’inauguration du prochain président se fasse au son des ambulances venant chercher Cheney pour une hospitalisation d’urgence et Bush pour le ramener de force dans son ranch du Texas.
(… A part cela, notez bien, n’oubliez pas qu’en réalité c’est la France qui va mal.)
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