Il y a 2 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.
83830 mai 2007 — Une enquête internationale effectuée par le centre du Chicago Council of Foreign Relations sur l’émergence de la puissance chinoise donne des résultats révélateurs. L’enquête est de type comparatif, mettant en balance l’évolution chinoise par rapport à l’évolution des USA (la Chine remplaçant les USA comme première puissance). Elle confirme l’approche intuitive qu’on peut avoir de l’effondrement de l’image des USA, du dégoût que le comportement de ce pays suscite.
Plusieurs points sont mis en évidence, qui éclairent des perceptions extrêmes, surprenantes par leur puissance et leur signification.
• Oui, la Chine est sur la voie de devenir la première puissance du monde, notamment au niveau économique.
• Cette évolution n’est pas perçue comme particulièrement préoccupante. En fait, la perception générale est que les gens interrogés prennent la chose “avec philosophie”, — attitude du type : puisqu’il faut bien qu’il y ait des puissances et d’autres qui le soient moins, et particulièrement puisqu’il faut bien qu’un pays soit le plus puissant de tous…
• Pourtant, ni les dirigeants chinois ni la politique chinoise ne suscitent une confiance particulière. Ils sont perçus comme n’ayant comme motif que les intérêts de ce pays. D’une façon générale, la méfiance de la puissance chinoise domine. Il n’y a aucune perception positive dominante : la perception est bien celle d’un événement irrésistible.
• Divers résultats spécifiques attirent l’attention et montrent qu’il y a une perception globale de ces “événements” et qu’il s’agit bien entendu d’événements virtuels et non d’événements réels. Nous sommes encore loin de cette réalité d’une Chine dépassant les USA dans la mesure comparée des économies. (Les prévisions varient évidemment puisque la matière est particulièrement flexible à cet égard, et l’histoire des prévisions dans ce domaine plus marquée par l’erreur que par la justesse. Néanmoins, la mathématique de la chose ne permet pas d’envisager un tel événement avant 2020 à tout le moins. Mais il ne s’agit que de l’aspect quantitatif qui ne dit qu’une partie minime de la mesure de la puissance.) A cette lumière, que les Chinois soient parmi les moins assurés de l’émergence de la puissance chinoise est significatif (50% des Chinois croient cela, alors que la moyenne des 15 pays est de 54% et que 13 pays sur 15 donnent une réponse plus “optimiste” que celle des Chinois) ; et que les Américains en soient notablement plus assurés (60%) est également significatif.
• Le pessimisme sur l’effondrement de la puissance US qu’impliquent les résultats de cette enquête est particulièrement remarquable. Certains résultats, dans certains pays, sont très remarquables. On notera l’exemple d’Israël, qui s’avère comme un des pays les plus pessimistes alors qu’il est l’allié le plus proche des USA, jusqu’à être considéré par certains comme “un des Etats des USA” : le deuxième (75% des réponses appréciant l’émergence de la Chine), derrière le seul Pérou (76% de réponses positives).
• Bien entendu, cette perception générale a été accélérée, dramatisée, par les alarmes du système américaniste à l’encontre de la Chine. Il faut constamment un Ennemi pour tenir nos psychologies faiblardes en haleine, alors plusieurs “Ennemis” sont tenus au feu, — dont la Chine, bien sûr. Nous ne croyons guère au destin menaçant de la Chine mais nous croyons sans aucun doute à la stupidité chronique des analystes inventant un nouvel Ennemi de notre fin du monde toutes les années bissextiles.
On trouve notamment, sur le site du CFR de Chicago, le communiqué de presse sur l’enquête et les résultats détaillés.
On signale que, d’autre part, Newsweek commente cette enquête :
«Suddenly, the Chinese dragon doesn't look so scary. For several years, Beijing's leaders and diplomats have labored hard to portray their homeland as benign, well mannered and neighborly. Now a new global opinion survey out this week suggests their efforts have paid off. The once visceral fear felt in many quarters that China's rise would spell disaster for its business competitors, historical foes and political critics alike has dulled, while Beijing's ongoing campaign to cast its renaissance as what President Hu Jintao calls a “peaceful rising” has apparently begun to sway at least some hearts and minds around the globe.
»The key finding of the poll, which was conducted by the Chicago Council on Global Affairs and WorldPublicOpinion.org in conjunction with research centers around the world, is that a majority of citizens in 8 of 14 countries surveyed (and a plurality in 4) now expect that China will eventually catch up with the United States economically—yet they're utterly unconcerned by the prospect. Less than a third of respondents in every country surveyed believe China's rise will be “mostly negative,” with majorities in most countries anticipating a mixed or positive outcome. That's not to say the dragon has suddenly morphed into a cuddly panda.
»Surprisingly—indeed, paradoxically—the survey also reveals that a majority or near majority of respondents in most countries don't trust China to act responsibly beyond its borders, and most Asians outside China, wary of Beijing's military build-up, favor an ongoing U.S. security presence in the region.
»To illustrate this mistrust, consider that China's global score on this attribute is now virtually the same as that of the United States—which has seen its popularity slide precipitously since the 1990s, due in large part to the Iraq War and the arrogance it seemed to indicate. Both states were deemed untrustworthy global actors in 10 of 15 countries surveyed. That China ranks alongside a rival trapped in a far-flung military quagmire of its own making suggests that Beijing still has plenty of work to do rehabilitating its image. “People see China ascending to a top level in the world and they're responding in a pretty sanguine fashion,” says pollster Steven Kull, director of the University of Maryland's program on international policy (which participated in the survey). “At the same time they haven't been snowed by it, either.”
»Maybe not, but the country's standing has definitely risen from the days when China exported revolution internationally like it now exports toys and TVs, and Chairman Mao topped the Western world's rogues' gallery. In essence, the survey reveals that China's rise, an event representing a tectonic shift in global power, elicits an international response “that is largely low-key” and “almost philosophical,” says Kull. In contrast, he notes, Japan's emergence as an economic giant in the 1980s generated far more anxiety, according to opinion polls taken at the time.»
Il faut se rappeler qu’il y a moins de 5 ans, les USA se lançaient dans une aventure qui était notamment et bruyamment approuvée par une association établie en 1997 et alors extraordinairement influente, — c’est-à-dire dont l’analyse de la situation du monde était très largement adoptée, conjointement par le vulgum pecus, par les analystes et par les dirigeants de tous les pays du monde, — et cette association qui s’intitule, encore aujourd’hui et en toute impudence : Project for a New American Century. On s’en rappelle également, cette association regroupe la base de pensée des néo-conservateurs. Ce point anecdotique vaut démonstration. In illo tempore bien proche de nous, en 1997 comme en 2003 (invasion de l’Irak), il ne fait de doute pour personne que le XXIème siècle sera un nouveau “American Century”. L’idée est à l’image du XXème siècle perçu comme le premier American Century, selon la proposition conceptuelle de Henry Luce (propriétaire de Life) en 1941. Aujourd’hui, quatre ans plus tard, les USA sont éliminés sans discussion ni débat et l’on discute de savoir, non pas si mais quand ils seront remplacés par la Chine.
Ce qui nous importe ici est moins la Chine que les USA. L’intérêt du sujet, de la méthodologie, n’est qu’en ceci qu’en se concentrant sur la Chine puisqu’il ne s’agit que de ce sujet-là, l’enquête montre que la perception de l’effondrement de la puissance US est, dans l’esprit des gens, un fait acquis, c’est-à-dire un fait objectivé. Mais plus qu’“esprit” (de jugement), parlons de psychologie lorsque la chose perçue est si naturellement et évidemment acceptée, on dirait presque inconsciemment, comme si la conscience avait accepté et archivé la chose. On n’en discute pas, on ne polémique pas. On s’appuie naturellement sur la chose évidente (l’effondrement de la puissance US) perçue comme un fait pour discuter de ce qu’on perçoit de la nouvelle puissance chinoise. Par défaut, par le constat de l’“allant de soi”, l’effondrement virtuel de la puissance US est le véritable enseignement de cette enquête. “Virtuel”, c’est-à-dire nullement réel, rétorquera-t-on? Pas du tout, puisqu’il s’agit, — la chose est démontrée par le fait même, — d’une puissance virtuelle, celle des USA, qui s’effondre ; la puissance US étant perçue comme remplacée très rapidement par celle de la Chine après que nous ayons cru à la promesse d’une domination écrasante jusqu’en 2100 au plus court de la prévision, il est démontré que la puissance US n’était que virtuelle, et son effondrement virtuel vaut réalité en ce cas.
“Evolution maistrienne”, disons-nous. Les “faiseurs d’opinion” tout-puissants (les néo-conservateurs, dans ce cas), et toujours dans leur position toute puissante d’influence bien qu’ayant soi-disant perdu leurs positions d’influence (les penseurs réellement éliminés mais l’influence toujours présente car on ne sait pas quoi mettre à la place), ne sont nullement discrédités dans cette époque misérable. Ils se sont trompés du tout au tout et en tout mais leur jactance impudente n’a jamais été aussi grande et tout le monde les écoute poursuivre leur litanie mensongère. Pourtant, leur influence est nulle en réalité, même si cette réalité passe par le virtualisme. (On détruit le feu par le feu : leur appréciation virtualiste est détruite par une perception virtualiste.) Leur influence est nulle quand on voit ce que le “second siècle américain” est devenu en quatre ans dans la perception et la psychologie qui perçoit.
Toutes ces agitations sont scélérates, — dito, elles sont le fait des mêmes “scélérats” dont nous entretient, à deux siècles de distance, le ci-devant comte de Maistre. Le résultat est que l’Histoire (la grande Histoire), par l’habile manipulation des agitations manipulatoires des scélérats qu’elle instrumente, fait tomber le masque de la réputation trompeuse présentée comme l’événement historique. La puissance US, l’“hyperpuissance” des années 1997-2003, est pulvérisée dans notre perception. Qu’elle existe encore n’a aucune importance puisque ce qui importe désormais est la perception que nous impose l’Histoire. Nous sommes bien dans une époque maistrienne et la grande Histoire, face à la déroute des petits hommes, ou “scélérats”, fait ce qu’il lui plaît de faire.
Forum — Charger les commentaires