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7 juin 2007 — Oui, le G8 est utile. Il est toujours utile qu’une bouffonnerie de cette sorte recèle la vertu extraordinaire de nous révéler jusqu’à nous imposer d’une manière aveuglante une image presque exacte de la réalité du monde. Depuis plusieurs semaines, les préparatifs du G8 sont l’occasion de mettre à nu toutes les divisions du monde occidental et de ses associés. Comme on l’a déjà lu, le site WSWS.org peut donc écrire d’une manière concise et définitive :
«There has been no comparable summit in terms of the conflicts between the major powers since the launching of the annual meeting of world leaders 32 years ago.»
Le même G8 est également l’occasion de bouffonneries à visage découvert, comme sont les commentaires courant de la presse MSM qui ne s’attachent qu’à la seule apparence ; comme ce commentaire du Figaro nous confiant :
«Le dossier controversé, [des anti-missiles US en Europe] en tout cas, “pèse sur le sommet même s'il n'est pas à son ordre du jour”, estime le quotidien russe Nezavissimaïa Gazeta. Tout comme le Kosovo, où l'analyse de Moscou est aux antipodes du souhait des Occidentaux, Washington en tête. Les présidents russe et américain ont prévu un tête-à-tête à Heiligendamm. Mais Angela Merkel, qui tient au succès de “son” sommet, garde un espoir qu'ils réserveront les sujets qui fâchent pour leur rencontre début juillet dans le Maine.»
Cette analyse médiocre ou grotesque selon ce qu’on en perçoit de sa vanité et de sa vacuité nous confirme qu’aujourd’hui, un sommet “réussi” est un sommet où l’on ne parle pas des “sujets qui fâchent” ; c’est-à-dire, car il est assez simple de pousser cette logique à sa limite, un sommet où l’on ne parle de rien. C’est un signe de ce temps historique : réunissez-vous, parlez longuement de rien, publiez un communiqué et l’organisateur (trice) est sacré(e) grand homme d’Etat. Ces observations, qui sembleraient d’une ironie un peu lourde, sont à peine caricaturales.
Mais voilà que, malgré tout, il semble que cela ne soit pas complètement le cas. Le G8 cuvée 2007 n’a pas complètement évité les “sujets qui fâchent”, à commencer par la crise climatique qui est en train d’acquérir ses vraies dimensions politiques en plus de ses dimensions “naturelles” . A cette occasion, on a pu observer tel ou tel phénomène d’humanisation, — comme celui de Merkel, ramenée du rang de nouvelle star européenne qu’on lui avait attribué au début de cette année (sous le prétexte impératif qu’elle cumulait la présidence de l’UE et celle du G8) à celui, bien plus émouvant, de dame d’âge mûr prise en flagrant délit de naïveté.
Qu’importe. Il est probable que l’on n’ira pas plus loin, — pour l’instant, — que ces désagréments d’une journée ou l’autre passée sur les côtes de la Baltique. Reste que ce G-8 figure d’abord comme un exemple. Il mérite un commentaire à mesure. Voici, ci-après, un extrait de notre rubrique de defensa de la prochaine (25 juin) édition de la Lettre d’Analyse de defensa & eurostratégie.
Le sommet du G8 de Heiligendamm était perçu, avant qu’il ait lieu, comme un modèle du genre. Il était chargé à la fois de symboles, de dossiers délicats et urgents, d’espérances de la plus grande signification. Il s’agissait, si l’on veut user d’une image reflétant une situation de crise très actuelle, d’un “sommet systémique”, — à la fois sommet du système à un point délicat d’incertitude et de crise et sommet embrassant des dossiers fondamentaux de la crise du système.
On pouvait le définir par plusieurs observations significatives.
• Il était organisé par une puissance (l’Allemagne) très caractéristique de notre système: puissance incontestable, certes, mais puissance préférant l’affirmation économique systémique à l’affirmation politique nationale.
• La personnalité tenant les rênes de cette organisation, Angela Merkel, préside également l’UE pour l’Allemagne au moment où l’UE est à la fois en crise et à la recherche d’une résolution décisive de cette crise. Merkel est également bien connue pour vouloir ré-arranger la crise européenne dans un contexte transatlantique qui rétablisse les bonnes relations entre les USA et l’Europe, — et le sommet de Heiligendamm devait en être l’un des moyens essentiels.
• On attendait fermement de ce sommet qu’il fît avancer le dossier de la crise systémique (la crise climatique) à la fois la plus générale par son ampleur et ses implications, la plus singulière par les domaines très divers qu’elle touche, la plus symbolique par les engagements conceptuels qu’elle implique. Mais dès avant l’ouverture du sommet et actant en cela les dernières péripéties montrant la division fondamentale entre les USA et le reste, les Allemands se trouvaient dans l’étrange position de devoir réduire les espérances de résultats qu’eux-mêmes avaient constamment mis en avant ces derniers mois. L’agence IPS News commentait le 4 juin: «Facing the probability that this year’s G8 summit will be a failure – mainly due to U.S. opposition to an international consensus on environmental, financial, and African cooperation issues – the German government, host of the event, is scaling down the expectations that it helped to stir in the first place.»
• Agissant comme une sorte d’aimant des crises en cours, le sommet déjà si compromis s’est chargé au dernier moment de nouveaux sujets de tension. L’intervention d’une dureté calculée de Poutine le 2 juin sur la crise des anti-missiles US en Europe (crise “euromissiles-II”) a rajouté au sommet un sujet de tension de plus, une cause de désarroi de plus, un ferment de désordre de plus.
Un système épuisé, une conception du monde confrontée à tant de démentis, tournée tant de fois en dérision
Il nous paraît évidemment inutile, à ce point de l’appréciation générale que nous offrons, de mettre en évidence tel point plus que tel autre, tel dossier plus qu’un autre, telle crise par-dessus toutes les autres. L’événement du G8 allemand vaut d’être apprécié comme un tout, et d’être apprécié comme il a évolué dans sa préparation avant d’avoir lieu, comme un tricot qui se défait, comme une structure qui s’éparpille. L’évolution des dernières semaines avant le sommet, devant l’empilement des impasses et des nouvelles tensions, sans pour autant évoquer l’espoir qu’une catharsis soudaine ne transforme l’événement, — tout cela fut exemplaire de la couleur et du rythme de notre temps historique. La seule interrogation devant cette sorte d’événement si significatif est de savoir quand nous rencontrerons un goulot d’étranglement décisif, comment il agira, sous quelle forme aura lieu ce qu’on pourrait attendre comme un développement, une explosion décisive, — cette fameuse catharsis que nous évoquons et dont ces réunions qui sont le contraire d’être décisives sont en général privées.
La perversion orwellienne, ou, plus encore, virtualiste, se trouve dans le dramatique renversement du contenu de cette sorte d’événements. Dans la diplomatie classique, une “rencontre au sommet” était conçue selon les canons de l’évidence: réunissant des personnes, des dirigeants investis du pouvoir de décision, justement pour parvenir à l’éclaircissement des grandes questions et à des décisions à mesure. La pratique dans l’évolution chaque jour aggravée de notre crise systémique aboutit à l’inverse. Ces sommets apparaissent comme des réunions où l’on vient solennellement acter, par un état d’esprit convenu, des contacts officiels contenus dans les bornes du conformisme, des textes profondément édulcorés jusqu’à réduire le langage à sa contradiction d’outil de signification, une décision implicite de se conformer à l’état général de paralysie et de décider par conséquent le moins possible et le plus petit, le plus court possible. Ce n’est pas une caricature, c’est un miroir, un reflet fidèle d’une situation systémique. Il ne sert à rien de railler cet événement, de le moquer, lui qui a l’étrange vertu de rendre compte, pour qui sait le voir, d’une vérité fondamentale de notre temps historique.
Le G8, comme les autres sommets, — mais ce G8-là, particulièrement, par le hasard des circonstances, des calendriers et des actes de préparation, — met à nu une situation du système marquée par un épuisement psychologique épouvantable. Il acte, au contraire du programme préparé, tant d’échecs et la dégradation vertigineuse de notre conception du monde. Il est une effrayante illustration de notre crise systémique.
La préparation du sommet ressemblait à ce pauvre esquif, sur la coque duquel on vient de découvrir plusieurs voies d’eaux monstrueuses, où les matelots sont engagés dans l’épuisante et dérisoire mission d’écoper la marée montante. On sait bien qu’au bout du compte les voies d’eau l’emporteront, c’est presque mathémathique. Qu’importe, il faut écoper, encore écoper. Il n’y a pas de réelle brutalité, rien de décisif, mais la lente et irrémédiable montée de l’eau.