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8 juin 2007 — A quoi pensait Blair hier au sommet du G8? A la gloire immortelle de l’“accord” sur le réchauffement climatique dont il ne doute pas que l’Histoire à la fois saluera son importance évidemment historique et lui en fera le plus complet crédit? Ou bien à BAE, à Yamamah, à Prince Bandar et Cie ?
Sale coup pour “l’ex-Premier ministre”, comme l’a désigné, sans le moindre complexe diplomatique,Vladimir Poutine. A propos de Poutine et de Blair, le Financial Times observe fielleusement dans un édito de ce jour consacré à l’énorme rebondissement dans le scandale BAE-Yamamah :
«Vladimir Putin, the Russian leader, will surely raise an eyebrow today when Mr Blair talks “frankly” to him about the rule of law and the sanctity of contracts. Just as Thabo Mbeki, the South African leader, has wondered why the UK is pursuing BAE bribery allegations in his country but not Saudi Arabia.»
Autre tableau de la vie quotidienne au G8, comme si vous y étiez. Au début de l’après-midi d’hier, un TB conquérant et presque triomphant annonce qu’il va user de tout son poids, de toute son influence, — qui sont immenses, comme l’on sait, — pour convaincre Bush d’enfin entrer dans le parti du bon sens, et accepter une limite chiffrée de réduction de l’émission de gaz. Une heure plus tard, le même Blair, plutôt mezzo voce, la mine sombre, sourire rentré, annonçant qu’on est sur la bonne voie mais que ce n’est pas complètement ce qu’il entendait. Bush admet qu’il est “sérieusement” concerné par la crise climatique, qu’il suivra tout cela, qu’il négociera avec tout le monde, — mais pas question d’engagement chiffré précis, ce qui est l’essentiel dans cette affaire. Que s’est-il passé entre-temps? Pour la partie US, c’est à voir. Pour Tony Blair, certains disent que le voilà soudainement sérieusement préoccupé, essentiellement par les suites de “l’affaire”, c’est-à-dire le scandale BAE-Yamamah, notamment aux USA. Que ceux qui voient dans cet enchaînement de circonstances un rapport de cause à effet soient pardonnés.
… Il est vrai que si Blair pourrait à la limite espérer que le scandale soit à peu près contenu au Royaume-Uni, — ce qui n’est pas écrit dans le marbre, d’autant qu’il n’est plus PM à la fin du mois, — par contre la partie américaniste de l’affaire est beaucoup plus aléatoire. Il semble bien que tout le monde à Washington commence à en avoir plus qu’assez des frasques de BAE. Le Guardian, le chien de garde de la vertu dans cette affaire, écrit aujourd’hui :
»The fallout from yesterday's allegations may affect BAE's planned expansion in the US.
»According to a source in Washington, BAE's $4.1bn (£2bn) proposed takeover of a major US defence company could be in jeopardy because of the disclosures.
»The source, assessing the damage yesterday, predicted it will also be harder for BAE to pursue other plans for moves into the US defence market.
»BAE could come under scrutiny from a number of US investigatory bodies, including the treasury, the justice department and congressional committees.»
C’est un étonnant raccourci de l’Histoire (la grande, celle qui ironise) que l’inoxydable premier ministre britannique ait été rattrapé par cette affreuse casserole alors qu’il se trouvait à un sommet dont il jurait qu’il serait le couronnement médiatique d’une carrière toute entière construite sur l’art de la communication. Dès hier, le Times rapportait :
«Tony Blair today warned that an investigation into a £40 billion arms deal with Saudi Arabia would lead to the “complete wreckage” of vital British national interests.
»The Prime Minister — attending the G8 summit in Germany — was facing demands for a new inquiry into the al-Yamamah deal, signed in the 1980s, amid reports that hundreds of millions of pounds were secretly channelled to a Saudi prince.»
Il faut dire, — que n’est-on conduit à dire et redire dans cette affaire BAE, — que chaque jour nous amène des révélations extraordinaires qui dépassent les supputations les plus extravagantes. Ainsi le Guardian nous apprend-il que Lord Goldsmith, l’honorable Attorney General, savait tout à propos du grotesque cas de corruption ($1 milliard ou £1 milliard, on ne sait plus trop) de l’honorable Prince Bandar, l’interlocuteur stratégique privilégié de l’establishment anglo-saxon depuis le début des années 1980 ; et que, devant les enquêteurs de l’OCDE depuis janvier dernier, les “Britts” ont continué à mentir par omission. Ainsi soit-il :
«British investigators were ordered by the attorney-general Lord Goldsmith to conceal from international anti-bribery watchdogs the existence of payments totalling more than £1bn to a Saudi prince, the Guardian can disclose.
»The money was paid into bank accounts controlled by Prince Bandar for his role in setting up BAE Systems with Britain's biggest ever arms deal. Details of the transfers to accounts in the US were discovered by officers from the Serious Fraud Office during its long-running investigation into BAE. But its inquiry was halted suddenly last December.
»The Guardian has established that the attorney-general warned colleagues last year that “government complicity” in the payment of the sums was in danger of being revealed if the SFO probe was allowed to continue.
»The abandonment of the inquiry caused an outcry which provoked the world's anti-corruption watchdog, the OECD, to launch its own investigation into the circumstances behind the decision.
»But when OECD representatives sought to learn more about the background to the move at private meetings in January and March they were not given full disclosure by British officials, according to sources.»
Enfin, précipitez-vous sur le commentaire de George Monbiot, également dans le Guardian, pour l’y observer planter quelques clous qui dépassent encore dans le cercueil de la fable vertueuse de l’épisode Blair.
«Never let members of this government complain about corruption abroad. Never let them blame the failure of Tony Blair's mission to rescue Africa on venal dictators and grasping officials. The allegations published in the Guardian yesterday about slush funds used to oil the Al-Yamamah deal suggest that there is nothing that foreign despots can teach us about corruption.
(…)
»In fairness to our craven attorney general, all this goes back a long way. The Defence Export Services Organisation (Deso), which allegedly oversaw these payments, has channelled money to corrupt officials in foreign governments since it was founded by the government 40 years ago. As documents unearthed by the Guardian show, this was and is its main purpose. Since the Al-Yamamah deal was signed in 1985, Britain has been supporting, financially and militarily, one of the world's most despotic regimes.
(…)
»Close down Deso. Reopen the investigation. Sack the attorney general and the senior civil servants at the Ministry of Defence. Open a public inquiry to determine what Blair knew. Wage war on tax havens and secret offshore accounts. Hold BAE to account. Then lecture the rest of the world on good governance.»
On est un peu gêné aux entournures, ces jours-ci, dans les milieux habitués à chanter les grâces du sémillant “ex-Premier ministre” et les vertus libérales et moralisatrices de son système. L’affaire BAE-Yamamah est un énorme pavé qui, dans la perspective, pourrait bien peser au moins aussi lourd que l’Irak dans l’appréciation véridique qu’on aura, plus tard, du système blairiste. Cette hypothèse vaut d’autant plus qu’on voit mal comment tout cela pourrait désormais s’arrêter, avec les trois pistes légales de plus en plus dégagées :
• Au Royaume-Uni même, il va être difficile à Gordon Brown, — s’il le désire (?), — de ne pas céder aux pressions grandissantes pour qu’il rouvre l’enquête.
• L’OCDE, qui n’a pas aimé le traitement que lui ont réservé les fonctionnaires britanniques dans son enquête, va en pousser les feux plus que jamais.
• Aux USA, où la vertu se mesure à l'habileté qu’on montre à ne pas se faire prendre, la goinfrerie et l’inattention de BAE commencent à faire désordre. Il se dit sous le manteau que certains (gros) concurrents (US) du consortium anglo-américaniste ne seraient pas mécontents de le voir bloqué dans son expansion sur le marché intérieur US ; souci partagé par des parlementaires et des fonctionnaires, qui n’aiment pas être “colonisés” par les cousins d’Outre-Atlantique. Une (des) procédure(s) légale(s) est (sont) désormais probable(s).
Il serait injuste de s’en tenir à Blair. Le système BAE-Yamamah n’est pas un simple (?) cas de corruption, un peu plus gras, un peu plus monstrueux que les autres. C’est une stratégie, une forme de gouvernement, l’alpha et l’omega d’une société politicienne, une vision du monde, une “morale” pourrait-on dire en maniant le concept avec une habileté orwellienne. Yamamah remonte à 1985. C’est le gouvernement Thatcher qui est impliqué, son idéologie libérale, sa conception stratégique (alliance avec l’Arabie par la corruption et les intérêts communs). Il s’agit moins de la décadence d’une nation que du triomphe d’un système pervers et de la pulvérisation d’une civilisation. L’important n’est pas l’existence de la corruption ni l’ampleur de la corruption, c’est la place de la corruption dans le système ; d’habitude, la corruption est une conséquence désagréable de divers objectifs et obligations politiques et stratégiques ; dans ce cas, elle occupe la première place, la place fondatrice, la plus exigeante, celle qui détermine les politiques, celle qui forme les esprits et déforme les âmes, la place de l’inspiration par excellence.
Lisez cette citation de Stanko Cerovic (Dans les griffes des humanistes, Climats, 2001, à propos de la guerre du Kosovo) :
«La différence entre les grands hommes d’Etat et les politiciens qui ne sont pas à la hauteur réside dans le fait que les premiers se résignent au mensonge comme à un pis-aller, pour exprimer ou réaliser leurs grandes visions, alors que les seconds pensent que la politique n’a de sens que dans le mensonge et la flatterie, le mensonge leur permettant d’occulter la réalité dont ils ignorent tout et avec laquelle ils n’ont pas envie de se coltiner. Comparez le rapport au mensonge de De Gaulle et de la génération clintonienne. La politique transforme les hommes, ceux qui sont bien en meilleurs, ceux qui ne valent rien en gredins. Cela n’est pas très différent dans l’art.»
… Remplacez mensonge par “corruption”, — ce qui n’est pas difficile, le mensonge devenant, dans cette utilisation, la corruption complète de la psychologie, — et vous avez la morale de cette histoire. L’ambition accomplie de Blair (ou Thatcher-Blair), c’est l’Empire sur lequel la corruption ne se couche jamais.
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