Sourde révolte

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Sourde révolte


10 octobre 2002 — C'est, depuis trois jours, une étonnante atmosphère. Déclarations officielles ou semi-officielles, articles de journaux, analyses, etc, allant toutes dans le même sens. La situation la plus insolite et la plus grotesque est bien entendu celle où la CIA tente mollement d'expliquer comment une lettre qu'elle envoie le 7 octobre au Congrès ne contredit pas le discours de GW le même jour, alors qu'elle le contredit effectivement, et de manière flagrante. (Le New York Times du 9 octobre 2002 détaille les explications de la CIA).

Les retombées de cette affaire sont déjà importantes. Le Guardian du 10 octobre en explique la substance :


«  President George Bush's attempt to maintain public support for military action against Iraq has taken a fresh blow from an unexpected quarter, with the publication of a letter from the CIA stating that while Saddam Hussein poses little threat to America now, a US invasion could push him into retaliating with chemical or biological weapons.

» The unusually detailed public statement, in the form of a letter from the CIA director, George Tenet, to Congress, comes at a highly sensitive moment, potentially damaging Mr Bush's attempt to rally an overwhelming congressional mandate for the use of force against Iraq. In a chilling excerpt, Mr Tenet warned that if Saddam was personally threatened he might seize ''his last chance to exact vengeance by taking a large number of victims with him''. The risk of such an attack, possibly involving weapons of mass destruction, would rise from ''low'' to ''pretty high'' were Saddam to feel cornered by US military might.

» Such a stark judgment seems likely to increase public anxiety about the prospect of a new war. There is still majority backing for military action, but that support appears to be fading despite a concerted public relations campaign by the administration to put its case. »


D'une façon plus abrupte, on résumera en observant que GW nous a dit, le 7 octobre, qu'il faut attaquer parce que le danger posé par Saddam devient extrêmement grand, voire insupportable. La CIA dit exactement le contraire, que l'attaque, justement, peut provoquer des réactions de Saddam qui feraient naître un danger très grand. L'affaire a été révélée par le New York Times du 9 octobre 2002 (déjà cité), dont on retrouve ici la position plutôt anti-guerre. (Par ailleurs, la presse US est, soit moins nette que le NYT, soit beaucoup plus discrète lorsqu'il s'agit de journaux qui soutiennent la politique de guerre ; signe que cette affaire embarrasse notablement la Maison-Blanche.)


« The Bush administration pushed Congress today for a broad vote to authorize the president to use force against Iraq. But a new element was injected into the debate by a C.I.A. assessment that Saddam Hussein, while now stopping short of an attack, could become ''much less constrained'' if faced with an American-led force.

» The judgment was contained in a letter signed by the deputy C.I.A. director, John McLaughlin, on behalf of George J. Tenet, the director of central intelligence. It was alluded to in a hearing of a Congressional panel investigating the Sept. 11 attacks and then released tonight, after the House opened its debate on Iraq. The letter said ''Baghdad for now appears to be drawing a line short of conducting terrorist attacks'' with conventional or chemical or biological weapons against the United States.

» ''Should Saddam conclude that a U.S.-led attack could no longer be deterred, he probably would become much less constrained in adopting terrorist action,'' it continued. It noted that Mr. Hussein could use either conventional terrorism or a weapon of mass destruction as ''his last chance to exact vengeance by taking a large number of victims with him.'' »


D'une façon générale, on observe parallèlement au courrier de la CIA une levée de boucliers contre les arguments de l'administration, avancés pour justifier la guerre contre l'Irak. Divers articles sont publiés dans ce sens, avec attaque généralisée contre les arguments avancés par GW lors de son discours du 7, et, en général, tous les autres arguments de l'administration. Dès le 7 octobre, justement, un article de Warren P. Strobel, Jonathan S. Landay et John Walcott, de Knight Ridder Newspapers, avait donné le ton en rapportant diverses confidences d'officiels de l'administration.

La critique est à la fois générale et détaillée. Il y a par exemple le cas de la citation par Bush, dans son discours, d'une soi-disant menace irakienne d'un vol d'avions sans pilote menaçant les USA. L'affaire est commentée par le Guardian, d'une manière qui tend à montrer qu'il s'agit d'une accusation rocambolesque. Bien évidemment, une telle capacité d'avions sans pilote pouvant effectuer des missions de 10.000 kilomètres à partir de l'Irak est infondée, et technologiquement et militairement grotesque.


« In making his case on Monday, Mr Bush made a startling claim that the Iraqi regime was developing drones, or unmanned aerial vehicles (UAVs), which ''could be used to disperse chemical or biological weapons across broad areas''. ''We're concerned that Iraq is exploring ways of using these UAVs for missions targeting the United States,'' he warned.

» US military experts confirmed that Iraq had been converting eastern European trainer jets, known as L-29s, into drones, but said that with a maximum range of a few hundred miles they were no threat to targets in the US. ''It doesn't make any sense to me if he meant United States territory,'' said Stephen Baker, a retired US navy rear admiral who assesses Iraqi military capabilities at the Washington-based Centre for Defence Information. »


La situation au coeur de cette polémique est bien connue, avec les détournements et les falsifications de renseignement suscités par un pouvoir politique. Ce qu'il y a de particulier aujourd'hui, c'est l'ampleur de la manipulation pour obtenir des renseignements “convenables” pour la cause de la Maison-Blanche, qui semble sans guère de précédent.

Selon l'ancien chef du contre-espionnage à la CIA, Vincent Cannistraro, « the flow of intelligence to the top levels of the administration had been deliberately skewed by hawks at the Pentagon. CIA assessments are being put aside by the defence department in favour of intelligence they are getting from various Iraqi exiles. Machiavelli warned princes against listening to exiles. Well, that is what is happening now'' ». Certaines sources estiment que le fameux département de l'OSI (Office of Strategic Influence) est en plein travail sur cette affaire, pour fabriquer des “preuves” de toutes sortes. (Il y avait eu une brève polémique en février, lorsqu'on avait appris la création de l'OSI. Rumsfeld avait du annoncer sa suppression, mais nombre de commentateurs estimèrent que l'OSI subsistait, sous une autre appellation ou d'une façon camouflée. C'est évidemment le cas.)

D'une façon générale, on conclura qu'il y a là les signes d'une sorte de révolte dans la bureaucratie, notamment à la CIA ; et aussi, certaines attitudes de prudence pour plus tard. Révolte contre la falsification et la manipulation auxquelles certains services ou certaines individualités dans la bureaucratie de sécurité nationale sont forcés à participer ; prudence prospective de certains, notamment des chefs de la CIA, avec une volonté de se démarquer officiellement des positions de l'administration, pour pouvoir argumenter demain à partir de leurs prises de position indirectement publiques d'aujourd'hui, si l'affaire irakienne tourne mal et si des comptes leur sont demandés.

On peut voir dans ces divers cas un signe général que l'administration GW est au bout de ses capacités dans ce qu'elle peut demander en fait de manipulations et autres à sa bureaucratie. Certaines circonstances (la poursuite des manipulations sur une échelle considérable ou des incidents sérieux sur le terrain ou lors des opérations) pourraient faire éclater cette “sorte de révolte” de la bureaucratie à visages un peu plus découverts, jusqu'à susciter les risques d'une crise interne. En attendant, la cause de la guerre contre l'Irak ne cesse de se couturer de nombreuses cicatrices et apparaît de plus en plus comme une cause bancale, qu'il va devenir extrêmement difficile de présenter d'une manière acceptable au niveau médiatique.