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137021 juin 2007 — Après quelques rapports officiels qui écornèrent la réputation de l’un ou l’autre, qui confirmèrent ou provoquèrent le départ de l’un ou l’autre (le chef d’état-major général, le ministre de la défense), qui mirent en accusation telle ou telle procédure, telle ou telle branche de l’armée, — mais sans jamais porter d’accusation générale contre le système lui-même, — Israël en vient peu à peu au vif du sujet. Bien sûr, il s’agit de la “deuxième guerre du Liban” contre le Hezbollah, en juillet-août 2006.
Deux rapports d’experts, qui ont la caution de demandes gouvernementales au moins indirectes, sans la surveillance, les interférences ni les exigences des autorités, donnent une image extrêmement sévère du comportement des forces armées israéliennes (Tsahal) durant la guerre de juillet-août 2006 au Liban, contre le Hezbollah. Le constat est accablant.
On peut lire par ailleurs l’analyse qu’en fait Defense News, avec les détails qui les explicitent. Les deux rapports étudient deux aspects de l’échec de Tsahal :
• Le premier rapport refuse l’explication officielle donnée selon laquelle l’armée était insuffisamment préparée à cause du manque de crédits entraînant le sous-équipement, l’absence de préparation, etc.
«Committee members criticized the Ministry of Defense (MoD) and the Israel Defense Forces (IDF) General Staff for manipulating threat assessments and resisting oversight of a planning and budgeting process described as incoherent and lacking in transparency. “There exists an entire culture of exaggerating requests/demands [for supplemental defense funding],” the report said.»
• Le second rapport, confié à l’expert Uzi Rubin, un spécialiste de la défense anti-missiles, réfute l’idée que l’échec de l’offensive de Tsahal est dû à la non-utilisation de l’armée de terre comme complément d’une offensive aérienne victorieuse pour la partie qui lui était confiée. Rubin revient implicitement sur les premiers constats de bon sens qui avaient été faits lors de l’offensive, selon lesquels l’effort aérien était tout entier orienté vers une liquidation par la seule dimension aérienne du potentiel du Hezbollah, et qu’il avait échoué. Rubin estime que cette offensive aérienne aurait pu triompher si elle avait été réalisée d’une façon correcte, notamment dans l’activité essentielle de l’identification et de la localisation des cibles au sol. Ce ne fut pas le cas :
«Rubin attributed the disconnect to official calculations based on the numbers of launchers destroyed rather than those that remained in the Hizbollah inventory. Rubin surmised that Hizbollah anticipated IAF strikes on its high-asset launchers, and thus prepared accordingly with plenty of decoy and replacement launchers.»
Ainsi, l’action fautive de l’offensive aérienne conduisit à «one of the worst defeats in Israel’s military history».
Combinés, ces deux rapports donnent une vision saisissante de l’action des forces armées israéliennes durant ce conflit de juillet-août 2006. On y trouve la confirmation de la complète américanisation de ces forces. On y retrouve tous les défauts dont souffrent les forces US, dans la gestion bureaucratique de budgets considérables qu’elles reçoivent aussi bien que dans leurs engagements opérationnels, notamment en Irak et en Afghanistan, où un grand, inutile et meurtrier usage est fait des technologies avancées aboutissant en général aux “ratages de haute précision” particulièrement dévastateurs.
D’un côté, il y a la disposition de crédits importants, qui sont conditionnés par des évaluations bureaucratiques faites non en fonction des situations réelles mais selon les concurrences bureaucratiques. Les situations réelles extérieures (les menaces, les dangers, etc.) sont effectivement manipulées selon les besoins budgétaires, comme il est notamment indiqué à propos de l’idée de “l’exagération des menaces” qui sert d’argument bureaucratique. C’est une situation typiquement américaniste, qui caractérise effectivement le fonctionnement actuel du Pentagone. La conséquence est évidemment le gaspillage général et le développement de programmes qui existent non pour appréhender des situations réelles mais pour renforcer des situations bureaucratiques.
On peut considérer que le second rapport vient compléter indirectement le premier. Il corrige les premières conclusions satisfaites faites après le conflit des forces aériennes israéliennes sur leur intervention (la faute de l’échec étant rejetée sur l’absence d’offensive terrestre complémentaire de l’effort aérien). Il est remarquable qu’on retrouve les mêmes conditions opérationnelles qu’on rencontra durant la guerre du Kosovo, avec l’utilisation extensive de leurres en bois du côté des forces visées, ce qui était déjà évident durant les opérations, et qui avait été prestement dissimulé par l’état-major des forces aériennes. Cette tromperie de l’IAF rejoint d’ailleurs les tromperies bureaucratiques dénoncées dans le premier rapport, ce qui est la marque de la continuité entre les deux rapports dont nous parlons et la marque de la complète bureaucratisation de Tsahal (la guerre n’a rien changé à cela puisque l’évaluation de Tsahal perpétue l’habituelle manœuvre bureaucratique après le conflit).
D’une façon générale, ces deux rapports confirment une philosophie générale de l’évaluation de la puissance israélienne depuis les années 1980 et font de la guerre de juillet-août 2006 bien autre chose qu’un accident ou que l’exception confirmant la règle, — mais au contraire, la marque précise de cette évaluation. La question est maintenant sérieusement posée de savoir ce dont est exactement capable l’armée israélienne dans un environnement dont elle ne saisit plus la subtilité et la complication (la Guerre de 4ème Génération).
Comme au Pentagone, simplement dans une mesure beaucoup plus réduite, l’essentiel est la bataille bureaucratique interne se traduisant par le développement maximal du plus de systèmes de hautes technologies possibles, sans que l’efficacité et l’utilité de ces derniers soient confrontées avec la situation extérieure, — alors qu’on n’ignore pas, bien sûr, qu’ils sont particulièrement inadaptés à ces conditions en raison du caractère erratique de leur emploi, avec absence d’identification des objectifs notamment. Dans de telles conditions, les majestueuses opérations envisagées aujourd’hui (contre la Syrie, contre l’Iran) peuvent aussi bien aboutir à des désastres d’une dimension bien supérieure à celle du conflit de juillet-août 2006, où, cette fois, la sécurité de l’Etat d’Israël en général serait sérieusement mise en péril.