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4 juillet 2007 — Un communiqué du candidat républicain à la présidence Ron Paul, diffusé pour le 4 juillet (la fête nationale
des USA), restitue justement l’enjeu de la crise qui déchire les USA aujourd’hui. (Nous soulignons en gras la phrase qui nous paraît la plus importante.)
«... I believe there is no way to square our nation's traditions and reverence for independence, with the globalist policies [the] elites are currently pursuing. The American concept of independent nationhood inscribed in our Declaration cannot be maintained, if we are going to pursue a policy that undermines the independence of other nations. National independence is an idea, and the erosion of the independence of other nations only serves to erode that idea.
»At the same time, if we allow the erosion of that idea, by ignoring it in certain instances, we will be contributing to its erosion in all times and nations, even our own. In this way our nation's independence is linked with the independence of all nations... Only the safe-guards and limitations that are enshrined in a constitutionally-limited republic can prohibit a nation from lurching toward empire... Only by recapturing the spirit of independence can we ensure our government never resembles the one from which the American States declared their separation.»
A côté de ce jugement abrupt sur la situation des USA, on trouve les signes de cette situation notamment dans la crise de la présidence GW Bush, de son actuelle impopularité, dans ce que The Independent d’aujourd’hui appelle une «“Imploding” presidency», enfin dans ce chiffre sans précédent de l’indice statistique fondamental de l’état d’esprit des Américains : «…an unprecedented 74 per cent of Americans convinced the country is heading in the wrong direction.»
«Mr Bush's unpopularity is now challenging long established records. Some presidents briefly have been more disliked: Jimmy Carter slipped to a 21 per cent approval rating in July 1980, four months before he was trounced by Ronald Reagan in that year's election. But even at the height of opposition to the Vietnam War, Lyndon Johnson's approval ratings averaged above 40 per cent in 1967-68.
»Not since Harry Truman in the early 1950s has a president been as unloved for as long as Mr Bush. He slipped below the 50 per cent mark in spring 2005, and for the past year and a half, he has been stuck in the mid-30s. In one poll he fell to 28 per cent, worse even than his father at his lowest before he lost to Bill Clinton in November 1992.
»With public dissatisfaction over Iraq continuing to grow, and the “right track, wrong track” barometer showing an unprecedented 74 per cent of Americans convinced the country is heading in the wrong direction, Mr Bush will probably remain deeply unpopular for the 18 months remaining until he leaves office in January 2009.»
Selon la conception classique que nous avons d’une crise, la crise américaniste actuelle est bien entendu extrêmement spécifique et étonnante. Elle a démarré à partir d’une position de puissance perçue comme sans précédent (2002-2003), dont les paramètres essentiels n’ont pas vraiment été modifiés depuis. Même l’Irak reste, si l’on considère ce conflit en termes de puissance et qu’on le compare au poids de la puissance US, un problème mineur. Il s’agit, pour comprendre la crise, de parler essentiellement de la question de la perception.
D’un point de vue diplomatique et militaire, la position qu’occupaient les USA d’une hégémonie absolue dans les années 2002-2003 pouvait être aisément maintenue, dans les faits autant que dans la perception. C’est l’enchaînement ininterrompu d’erreurs de la part de l’administration, soutenue d’une façon massive par l’establishment jusqu’en 2006 (constitution de l’Iraq Study Group et élections mid term), qui a entraîné la perception de l’effondrement de l’hégémonie US (qui n’est pas automatiquement l’effondrement de la puissance US). Aujourd’hui encore, des analystes peuvent plaider justement que les facteurs essentiels de la puissance US subsistent. Pourtant, la psychologie US se trouve prise dans la perception d’une crise profonde et radicale, — cette perception lui étant confirmée par le déclin accéléré de la popularité et de l’influence US dans le reste du monde.
Les deux facteurs soulignés ci-dessous le montrent à suffisance, comme deux exemples parmi tant d’autres.
• La phrase de Ron Paul («Only by recapturing the spirit of independence can we ensure our government never resembles the one from which the American States declared their separation») mesure effectivement la perte de confiance historique en cours dans la capacité et la légitimité du système à occuper la place centrale qu’il occupe actuellement. La référence à 1776, le système washingtonien prenant la place analogique de l’Angleterre de George III tant détestée, est impressionnante et va au cœur de l’idée évoquée ici.
• Le pessimisme de 74% des Américains sur l’avenir de leur pays est un chiffre effrayant, qui touche l’une des valeurs essentielles de la stabilité du régime : l’optimisme de la population américaine, réduit aujourd’hui à une poignée d’irréductibles. Bien entendu, il confirme, justifie et renforce le jugement de Ron Paul.
La crise qui s’est développée essentiellement par la perception, donc au niveau psychologique, se transforme essentiellement en une crise de légitimité massive. L’évolution est naturelle : la légitimité est d’abord affaire de perception, c’est un lien existant entre le citoyen et le pouvoir, qui donne à ce pouvoir la légitimité de s’exercer. Le pessimisme des Américains renforce évidemment cette crise de la légitimité dans un pays qui n’a pas de fondation historique régalienne.
Des évolutions semblables d’une crise démarrant à partir d’une position de puissance semblant inexpugnable se sont produites dans l’histoire US, dans un pays où perception et psychologie jouent un rôle essentiel. C’est même le seul type de crise sérieuse qui semble pouvoir survenir. La crise de la Grande Dépression est évidemment l’exemple qui vient à l’esprit, puisqu’elle a démarré alors que les USA se trouvaient au zénith de leur puissance économique. Mais alors, un événement réel (l’effondrement de Wall Street) a aussitôt identifié la crise en la déclenchant. La crise elle-même fut donc aussitôt un événement identifiable qui a certes conduit l’Amérique au bord du gouffre mais qui a finalement donné un socle solide pour organiser une mobilisation et le redressement. On savait pourquoi l’on se battait et comment il fallait se battre.
Dans le cas actuel, les différents aspects de la puissance énorme des USA, les divers réseaux et sécurités qui les maintiennent ont contenu jusqu’ici les possibilités d’effondrement concret d’un aspect de cette puissance. Bien entendu, la fiction de la guerre contre la terreur est impuissante à fournir un socle de mobilisation ; la guerre en Irak évolue de mal en pis, également, sans provoquer de mobilisation sinon contre elle ; tous ces événements sont trop dérisoires en termes de puissance réelle par rapport à la puissance US pour réellement provoquer l’effondrement d’un pan de cette puissance US. Mais ils sont suffisamment pressants et, surtout, ils entretiennent une perception d’une puissance colossale de déclin et de débâcle. Ils entretiennent ainsi dramatiquement la crise psychologique.
La crise psychologique prospère sans trouver d’exutoire. Ainsi en arrive-t-on naturellement, face à cette crise apparemment ”sans cause” identifiable, à mettre en cause le centre du pouvoir. On en arrive à une crise de légitimité qui est, historiquement, la crise qui met en cause un régime de manière fondamentale. C’est ce qu’exprime l’atmosphère plutôt sombre de ce 4 juillet.
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