L’extase de la guerre, ou le journalisme-“Extasy”

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L’extase de la guerre, ou le journalisme-“Extasy”

Nous avons un problème de civilisation. En fait, nous en avons plusieurs, mais en voici un qui nous importe particulièrement. C’est le problème du journalisme ; c’est le problème du conformisme journalistique de la presse dite MSM qui prétend pompeusement représenter tantôt “la liberté d’expression”, tantôt la liberté tout court, tantôt le “Quatrième Pouvoir” ; c’est le problème des journalistes anglo-saxons en général, américanistes précisément, qui n’est pas mieux illustré que par leur attitude professionnelle durant l’attaque de l’Irak en mars-avril 2003. Ces journalistes-là s’élevèrent (ou bien faut-il écrire : “sombrèrent ”?) dans ce qu’il est bienvenu de nommer une “extase de la guerre”. Un observateur grossier mais perspicace parlerait d’articles sur la guerre comme on éjacule.

Norman Solomon, du groupe FAIR, met en ligne le 7 juillet, notamment sur le site consortiumnews.com, un article regroupant les extases de nombre de journalistes US en commentaire de la guerre contre l’Irak de mars-avril 2003. C’est une bonne occasion de se souvenir.

Le texte est particulièrement frappant, à la mesure des avis, exclamations, appréciations extraordinaires qui fusent dans ces diverses citations. On a l’impression d’une vanne brusquement ouverte et d’une marée déferlante, et de l’extase commune exprimée sans la moindre mesure, sans le moindre intérêt pour l’art de la nuance et la finesse de la compréhension, rien que pour le plaisir grossier (le “plaisir des dieux”, comme disent les carabins, réduit aux acquêts des coups à la sauvette). S’arrêtant à un aspect particulier de ce délire, Solomon observe : «…those claims were more than misleading. They were fundamentally out of touch with human reality.»

Il y a là l’expression d’un grave problème, dont le traitement nous ramène inévitablement à notre terrain favori de la psychologie. On ne peut parler de parti-pris, de propagande, de consignes ; on parle de virtualisme et de psychologies enfiévrées, enivrées par le “spectacle”, — si l’on peut dire, — des nouvelles, des communiqués et des commentaires décrivant la guerre. Tous sont également extatiques et sembleraient comme des jeunes filles prises soudain par les premières vapeurs de la puberté. Cette marée ne semble devoir être arrêtée par rien de ce qui forme d’habitude la raison humaine. L’esprit critique, le second regard, la mesure du jugement, tout cela est relégué au magasin des accessoires surannés.

«We're all neo-cons now», s’exclame Matthew Williams, de MSNBC, le jour (10 avril 2003) où la statue de Saddam est abattue dans la mise en scène qu’on sait, sur la place de Bagdad réservée à cet effet (la statue et la mise en scène). Parole réellement prémonitoire, si l’on a le goût de l’ironie graveleuse. Williams dit ce qu’il faut sauf que tout cela ne fait plus très nouveau.

Ces citations sont épuisantes. Un tel étalage de travers, de naïvetés, d’aveuglements, d’hypocrisies et de sottises sans masque, a de quoi vous décourager. Le commentaire peut s’arrêter là, et nous cédons la place à Norman Solomon.

Les enseignements, eux, sont inscrits dans le marbre, en lettres capitales :

• En vérité, il n’existe plus aujourd’hui aucune source qui puisse se parer de la vertu d’objectivité en se recommandant du soi-disant prestige du média (dit “de référence”) qu’elle représente, et selon la nationalité prestigieuse (US) qui est la sienne. Le journalisme US des grands médias “de référence ” doit aujourd’hui être, plus qu’aucun autre, l’objet systématique du soupçon d’aveuglement et d’allégeance à la puissance dont il accepte d’être l’instrument de manipulation.

• Cette puissance qui manipule le journaliste manipulable, le journaliste “de référence”, doit être elle-même l’objet du soupçon le plus systématique, le plus inquisiteur, le plus méprisant. Un porte-parole du département d’Etat, de l’état-major combiné ou de Lockheed Martin est bien plus faussaire per se, et bien plus nécessairement un faussaire que n’importe quelle petite gouape prise en flagrant délit de vol à la tire et qui nie par automatisme. Il l’est d’autant plus qu’il nage en plein virtualisme et qu’il ignore la bassesse de sa condition.

• Notre responsabilité, à nous qui sommes hors de leur Circuit, est d’autant plus grande que le champ nous est ouvert à l’affirmation d’un crédit justifié. Nous disons la réalité bien plus que toutes ces ganaches. Nous n’avons aucune de leurs certitudes de paille mais nous avons des convictions de fer, forgées au feu des batailles indépendantes et des références de l’expérience. Nous ne les craignons pas sur le terrain de la réalité et nous leur disons tout ce que notre regard sur eux porte d’un mépris roboratif pour nous-mêmes.

Le texte de Solomon vaut d’être lu. Savourez le souvenir. Dites-vous que tous ces gens tiennent toujours le haut du pavé, qu’un Hitchens reste plus que jamais aujourd’hui une référence de prestige, un des “cent plus fameux intellectuels publics ” selon Foreign Policy en 2005. Ricanez, ricanez, il en restera bien quelque chose pour inquiéter dans un moment rare leurs innombrables réserves de suffisance vertueuse, — mais sans rancoeur excessive le ricanement, plutôt par dérision.

Il y a dans cet “amour de la guerre ” que montre cette catégorie générale un cas psychologique fondamental. Il ne peut être laissé de côté. Toute une société, toute une civilisation, a embrassé «la physique de la force» et abandonné «la métaphysique de la force», selon les mots de Giugielmo Ferrero, que nous citions récemment. De ce point de vue entre autres, ils n’ont pas tort : «We're all neo-cons now», — et plus encore qu’ils ne croient.


How the U.S. Media Loved the War

By Norman Solomon, July 7, 2007, Consortium.News

Many of America's most prominent journalists want us to forget what they were saying and writing more than four years ago to boost the invasion of Iraq. Now, they tiptoe around their own roles in hyping the war and banishing dissent to the media margins.

The media watch group FAIR (where I'm an associate) has performed a public service in the latest edition of its magazine Extra. The organization's activism director, Peter Hart, drew on FAIR's extensive research to assemble a sample of notable quotations from media cheerleading for the Iraq invasion.

One of the earliest quotes to merit special attention came from ace New York Times reporter — and chronic Pentagon promoter — Michael Gordon. In a CNN appearance on March 25, 2003, just a few days into the invasion, Gordon gave his easy blessing to the invaders' bombing of Iraqi TV.

Gordon cited “what I've seen of Iraqi television, with Saddam Hussein presenting propaganda to his people and showing off the Apache helicopter and claiming a farmer shot it down and trying to persuade his own public that he was really in charge, when we're trying to send the exact opposite message ” — and so, the Times reporter went on, Iraqi TV was “an appropriate target.”

Let's unpack Gordon's rationale for a military attack on Iraqi broadcasters: They presented propaganda to viewers, aired triumphal images and touted the authority of the top man in the government, while an adversary was “trying to send the exact opposite message.”

By those standards, Iraqis would have been justified in targeting any one of the American cable news networks, most especially Fox News Channel.

Hart — who is author of the book “The Oh Really? Factor: Unspinning Fox News Channel's Bill O'Reilly ” — includes some quotes from Fox in his collection of war-crazed statements from media.

For instance, soon after the invasion began, Fox News commentator Fred Barnes declared: “The American public knows how important this war is, and is not as casualty sensitive as the weenies in the American press are.” (Unsurpassed bravery is a common denominator of rabid hawks in stateside TV studios.)

But many of Hart's examples are from U.S. media outlets with reputations for judicious professional journalism.

On NBC News, Brian Williams was singing from the choir book provided by U.S. officials. “They are calling this the cleanest war in all of military history, ” Williams said on April 2, 2003. “They stress they're fighting a regime and not the people, using smart bombs, not dumb, older munitions. But there have been and will be accidents. ...

“And there's a new weapon in this war: Arab media, especially Al Jazeera. It's on all the time, and unlike American media, it hardly reflects the Pentagon line. Its critics say it accentuates civilian casualties and provokes outrage on the Arab street.”

The next day, on the same network, Williams' colleague Katie Couric was more succinct in her fawning. Viewers of the “Today” program listened as she interviewed a U.S. military official and exclaimed: “Thank you for coming on the show. And I want to add, I think the Special Forces rock!”

A week later, on MSNBC, the hardballer Chris Matthews was swept up in beach-ball euphoria as America's armed forces toppled the Saddam regime. “We're all neo-cons now,” Matthews exulted.

At the start of May 2003, when President Bush zoomed onto an aircraft carrier and stood near a “Mission Accomplished” banner, Lou Dobbs was quick to tell CNN viewers: “He looked like an alternatively commander in chief, rock star, movie star and one of the guys.”

On the same day, journalist Matthews assumed the royal “we” — and, in the opportunistic process, blew with the prevailing wind.

''We're proud of our president,” he said. “Americans love having a guy as president, a guy who has a little swagger, who's physical, who's not a complicated guy like Clinton or even like Dukakis or Mondale, all those guys, McGovern. They want a guy who's president. Women like a guy who's president. Check it out. The women like this war. I think we like having a hero as our president. It's simple.” All too simple.

Perhaps no journalist was more shameless in echoing President Bush's fatuous claims about the invasion than Christopher Hitchens.

“Many Iraqis can hear me tonight in a translated radio broadcast, and I have a message for them: If we must begin a military campaign, it will be directed against the lawless men who rule your country and not against you,” Bush said on March 17, 2003.

The next day, Hitchens came out with an essay declaring that “the Defense Department has evolved highly selective and accurate munitions that can sharply reduce the need to take or receive casualties. The predictions of widespread mayhem turned out to be false last time — when the weapons [in the Gulf War] were nothing like so accurate.” And, Hitchens proclaimed, “it can now be proposed as a practical matter that one is able to fight against a regime and not a people or a nation.”

More than four years — and at least several hundred thousand Iraqi civilian deaths — later, the most reliable epidemiology available confirms that those claims were more than misleading. They were fundamentally out of touch with human reality.

If you had engaged in such cheerleading for the launch of the Iraq war in early 2003, by now you might also be eager to change the subject and argue about God.

Norman Solomon is the author of the new book, “War Made Easy: How Presidents and Pundits Keep Spinning Us to Death.” (This article appeared earlier at Alternet.)


[Notre recommandation est que ce texte doit être lu avec la mention classique à l'esprit,“Disclaimer: In accordance with 17 U.S.C. 107, this material is distributed without profit or payment to those who have expressed a prior interest in receiving this information for non-profit research and educational purposes only.”.]