Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
873
26 juillet 2007 — Un intéressant article de Dinah Deckstein, de Spiegel Online du 23 juillet, donne une vision allemande que nous jugerions réaliste de l’accord franco-allemand du 13 juillet sur la restructuration de la direction d’EADS. L’argument est clair. Malgré les apparences que peuvent donner les répartitions des postes (la présidence du Conseil de Direction à l’Allemand Rüdiger Grube, le poste de président d’EADS au Français Louis Gallois, le poste de président d’Airbus à l’Allemand Tom Enders), le verdict de Deckstein est clair: ce sont les Français qui l’emportent («… despite Berlin's celebrations, it is the French who are still really pulling the strings.»). Qui plus est cette position de maîtrise conservée se fait dans une structure désormais beaucoup plus efficace, et avec un homme (Gallois) infiniment plus conscient que son prédécesseur Forgeard de la dimension stratégique et souveraine pour la France du poste qu’il occupe.
«So all's well that ends well at Europe's leading aerospace and defense company? Not exactly. Even as the alleged victory over the French was still being celebrated in Berlin and at EADS' Germany headquarters in Ottobrunn, near Munich, more details of the agreement were emerging in Paris and Toulouse. And these can only lead to one conclusion: While the Germans may have the outwardly more attractive positions, the true center of power at EADS and Airbus remains just where Sarkozy thinks it belongs: in France.
»In an effort to thwart Enders even before he gets started as the CEO of Airbus, his new superior Gallois was equipped with a range of powers that even his ambitious predecessor Noel Forgeard could only dream of. “I will be setting his objectives,” the the new EADS boss clarified last week — thereby promptly cutting the much taller Enders down to size.
»From now on Gallois and his fellow company directors will be able to spend up to €350 million ($483 million) without prior permission from the board of directors. Until now, the limit had been €200 million ($276 million).
»The French still make up the strongest faction in the 12-man board of directors. Whenever the members of the board cannot agree, Gallois can decide by himself if and how much he and his subordinates — including the Airbus CEO — can invest.
»In the future, Enders will also the need the approval of his former partner in the EADS leadership when it comes to personnel decisions. The new Airbus CEO does not have much leeway at all when it comes to implementing changes at the aviation company. Over the past nine months, when Gallois was both co-CEO of EADS and the CEO of Airbus, he not only thoroughly reorganized the EADS subsidiary but also installed men he trusts in almost all the important positions. It comes as no surprise that most of them are French and loyal to Gallois.
»Enders' new deputy, Fabrice Brégier, could soon turn out to be his toughest opponent. The former CEO of EADS helicopter subsidiary Eurocopter had hopes of getting the top position at Airbus himself — and he is considered as tough and impulsive as his new boss.
»Things don't look much better for the German Airbus CEO further down the ranks. From now on positions are to be filled purely on the basis of qualifications, and not the applicant's passport. That's also to the advantage of the French, who unlike the Germans have done everything possible to promote their aviation industry and the up-and-coming generation of aviation professionals.
»Most of Airbus' 12,000 engineers already report to French superiors — and they are usually biased towards French business locations when it comes to introducing new technologies. In any dispute, Enders won't be able to expect anything more than limited support from the board of directors — despite the fact that it will be headed by his former DaimlerChrysler colleague Grube.
»It may be common practice in Germany, but at Airbus Grube does not have the right to a second vote to resolve any voting stalemates between directors. And when it comes to the question of who is admitted to this elevated circle, Gallois also has the right to propose candidates. Independent directors who belong to neither of the two camps play a particularly important role.
»In order to achieve the necessary majority of six votes on the 11-man board of directors in the future, the three Germans will have to win over three of the four neutral directors. If one of them should drop out, the Germans will have to win over the only Spanish directors. At the same time, the same conditions hold true for the French.»
L’auteur met aussi en évidence la personnalité d’Enders et son activisme durant les derniers mois avant le “compromis de juillet”. Beaucoup de déclarations tonitruantes, une aversion arrogante évidente pour la France, jugée dépassée, isolée et “ringarde” ; beaucoup de mépris pour les affirmations souveraines d’indépendance des Français, de la part d’un ex-para de la Bundeswehr qui ne cache pas son atlantisme et sa croyance très entêtée dans la vertu américaniste, via-OTAN. Enfin, une campagne avérée, avant le “compromis de juillet”, qui le donnait pour président d’EADS (le poste qui revient à Gallois). «Enders partly has himself to blame for the fact that many Airbus managers act coolly towards him», note Deckstein, achevant le tableau d’un patron d’Airbus qui se trouvera singulièrement isolé dans une entreprise à prédominance française dans ses parties les plus nobles.
Face à Enders, et un peu au-dessus, Gallois a toutes les caractéristiques du “grand commis de l’Etat” à la française, période gaullienne: discret et serein, déterminé, sans guère de rapport avec les pratiques du capitalisme qui couvrent les grands patrons de millions, et surtout avec une autorité assise sur la conscience de la puissance et de la légitimité que donnent la technologie et la souveraineté françaises.
Cet article du Spiegel est intéressant parce qu’il met implicitement en évidence combien certains domaines qui ne sont nullement pris en compte dans les équations économiques et industrielles, jouent en réalité un rôle extrêmement important. Le rapport de force ne repose, dans ces industries stratégiques dont fait évidemment partie EADS, ni sur une équation financière, ni sur des arguments de politique communautaire et de coopération basée sur une vision égalitariste de type économique. L’interprétation politique de facteurs difficilement mesurables dans les équations habituelles de type économique a une place prépondérante.
Le facteur fondamental qui a pesé sur les négociations, c’est sans doute l’ensemble de la supériorité technologique française et de la capacité politique de contrôler et d’orienter cette supériorité grâce à la politique d’indépendance française. Les grands secteurs d’excellence technologique d’EADS dépendent des cadres français, donc des structures françaises, donc des bonnes volontés françaises. La position de Enders à Airbus va dépendre de sa capacité à établir de bons rapports avec le personnel et les cadres dirigeants animant cette structure, et il part avec le lourd handicap de ce qu’on perçoit de son caractère et de ses opinions. Ce point de la supériorité technologique est même un avantage social inattendu, paradoxalement lié au souci de rentabilité capitalistique qui caractérise la psychologie sommaire et américanisée de Tom Enders:
«But if the exchange rate of the euro exchange rate continues to rise against the dollar, the fun could turn out to be short-lived. Gallois already warned at the recent air show in Paris in June that Airbus should think about relocating parts of its production to the dollar area.
»In that case, the employees of German plants would be particularly threatened — the very ones who are pinning their hopes on Enders now. Unlike the plants in France or Spain, the German Airbus plants mainly provide technologically less sophisticated components — and if push comes to shove, those could be purchased more cheaply from foreign suppliers.»
Dans une entreprise de la sorte d’EADS, — au départ usine à gaz constituée en catastrophe par des politiciens (surtout français) qui ne souffraient pas de ne pas avoir une restructuration européenne majeure dans leur bilan, — la seule cohésion qui sort du chaos initial et impose les restructurations de gestion nécessaires, c’est celle que donne la supériorité technologique ; et celle-ci n’a de sens que si elle est justement légitimée par une politique indépendante et souveraine ; et elle n’a d’avenir que si elle est orientée sous ces auspices-là, par ceux qui les comprennent le mieux. C’est pourquoi la France, malgré une politique catastrophique dès l’origine dans cette affaire, en sort tout de même en position d’influence prépondérante (ne parlons pas de “victoire”, conception inutile et déplacée dans ce cadre).
Ces conditions imposent d’autre part les solidarités et les pressions qui vont avec chez les hommes qui sont impliqués dans ces avancées technologiques. Dans ce cadre, la maîtrise française est incontestable. Gallois est l’homme idéal pour, d’une part, comprendre cette problématique-là du problème que pose EADS, d’autre part, en tirer parti pour restructurer et orienter l’entreprise dans un sens qui protège les souverainetés existantes et crée des légitimités nouvelles à partir de ces souverainetés.
Face à cela, des psychologies comme celles d’Enders, avec le comportement qui va avec, ne peuvent qu’accentuer les disparités créées par les différences des niveaux technologique et politique. Il s’agit des psychologies créées selon le consensus OTAN-américanisation, exposant l’accent sur la production militaire et/ou technologique sans référence politique sinon l’alignement sur la ligne OTAN-USA, et d’autre part l’accent sur des références économiques renvoyant à la ligne libérale habituelle.
D’une façon aussi symbolique que logique finalement, EADS est le théâtre de la même bataille qui déchire l’Europe (et l’Occident) entre les souverainistes (ou européanistes dans ce cas) et les idéologues de l’économie (et atlantistes dans ce cas). Décidément, Sarkozy est un excellent guerrier pour cette sorte de bataille dont l’enjeu général dépasse les seuls calculs humains pour embrasser le sens d’une civilisation. L’évolution des rapports franco-allemands à EADS suivra sans doute la même évolution qu’au niveau économique général, où Merkel a fini par rejoindre le camp franco-sarkozyste du néo-protectionnisme, — bien entendu, avec ses nuances pro-européennes.