Vendre, vendre, vendre (des armes)

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Vendre, vendre, vendre (des armes)


30 juillet 2007 — Les dernières intentions US sont impressionnantes pour ce qui concerne les ventes d’armes ; absolument prodigieuses, totalement bouleversantes… (Nous sommes secoués d’émotion.)

• $20 milliards pour les états du Golfe à livrer en 10 ans, dont près de $10milliards pour l’Arabie.

• $30 milliards pour Israël en dix ans.

• $13 milliards pour l’Egypte en dix ans.

• Et puis, en complément et pour rappel, les facéties indiennes: $30 milliards de dépenses indiennes en 5 ans, dont Washington aimerait emporter entre 100% et 125%.

… Encore ne vous parle-t-on que des dernières nouvelles, qui sont le résultat d’un effort diplomatique intense et si imaginatif, — la diplomatie réduite à la quincaillerie. Il suffit, elles provoquent tout de même quelques remous. On s’est aperçu, notamment au Congrès des Etats-Unis où l’on n’aime guère l’Arabie Saoudite, qu’il se passe quelque chose. On dénonce une nouvelle “course aux armements” au Moyen-Orient (quoique… course contre qui? Il semble que les USA soient, dans la matière, les seuls à concourir. C’est un effort solitaire.)

Quelques commentaires, montrant qu’on a ses humeurs (d’un article du Guardian du jour):

«“This administration does not have an arms sales policy, except to sell, sell, sell,” said Daryl Kimball of the Arms Control Association. “That approach in the Middle East can be like throwing gasoline on a brush fire.”

(…)

»Democratic congressman Anthony Weiner, who plans to introduce a resolution to block the deal, told the Washington Post that there would be broad opposition: “The reputation of the Saudis has taken quite a beating since 9/11,” he said. “And despite the fact that the administration has done everything to portray them as part of the moderate Arab world, members of Congress of both parties are increasingly sceptical.”

»Another Democrat, Tom Lantos, criticised the build-up of arms in the region. “This is not a sale at Macy's that you go in and buy a bunch of stuff.”»

Une surprise de moyenne intensité par ailleurs: alors que le Congrès rechigne, Israël consent. Jusqu’alors viscéralement opposée à ces livraisons d’armes sophistiquées à l’Arabie, cette fois Israël approuve, — par ailleurs gavé par une promesse d’aide militaire considérablement augmentée, puisque atteignant $3 milliards par an pendant 10 ans. Une dépêche d’AP du 29 juillet nous signale la chose: «“We understand the need of the United States to support the Arab moderate states and there is a need for a united front between the U.S. and us regarding Iran,” Olmert told a weekly Cabinet meeting. The rare agreement reflects shared U.S. and Israeli concern over the potential threat of a nuclear-armed Iran.»

Quoi qu’il en soit, le marché d’armes ne semble évidemment pas devoir changer grand chose pour la situation politique, du moins en apparence et pour l'immédiat. Le voyage exceptionnel de Rice et de Gates à Ryhad est présenté par une bonne analyse de McClatchy Newspapers sous ce titre : «As Rice and Gates travel to Middle East, air of futility pervades.» “Futilité”, le mot résume ce qu’il faut retenir de ce déplacement tel qu'il est présenté par les officiels américanistes, malgré leur souci de le décrire avec pompe.

L'ultime tentative d'affirmation de la puissance

On devrait, à ce niveau où se situent ces intentions de livraison d’armes par rapport au degré zéro où évolue la diplomatie américaniste, se garder de toute exclamation, — soit d’admiration si l’on est marchand de canon européen, soit de crainte si l’on fait profession de mesurer la puissance d’une nation, — de cette nation précisément qui prétend être un empire. Il s’agit plutôt du contraire.

Ce constat nous conduit à un premier point de notre analyse. Ces livraisons projetées d’armement sont le signe d’une impuissance absolument extraordinaire de la politique extérieure des Etats-Unis, caractérisée par ce degré zéro de sa diplomatie dans cette zone. On ajoutera l’impuissance de leur politique militaire, dont on nous disait qu’elle remplaçait avantageusement la diplomatie. Se trouver, ou se croire dans l’obligation de projeter de telles livraisons d’armes alors qu’on a déployé au cœur de la zone en question une partie importante de ses forces terrestres, navales et aériennes, alors qu’on dispose de la plus puissante armada militaire de l’histoire dans tous les cas en volume budgétaire, en poids et en nombre, constitue au moins un énorme aveu d’impuissance de ces forces. Pour certains, cela peut même constituer un signe convaincant d’une retraite en cours de préparation.

D’habitude, les USA livraient des quantités d’armement importantes aux alliés et vassaux fidèles d’une zone stratégique parce qu’ils ne tenaient pas à s’impliquer dans cette zone, pour garantir à leur profit la sécurité de la zone par vassaux interposés (cas d’Israël, de l’Arabie et de l’Egypte dans les trente dernières années, pour le Moyen-Orient); ou bien, parce qu’ils avaient annoncé leur intention de se retirer (cas du Sud-Vietnam à partir de 1970 et la doctrine de “vietnamisation” de Nixon). Aujourd’hui, ce n’est pas le cas, — ou bien pas encore le cas, pour un scénario hypothétique (le retrait).

Un deuxième point de l’analyse de ces décisions, qui nous conduira par enchaînement indirect au troisième, est la parfaite inutilité de ce surarmement par rapport au danger qu’on affirme vouloir contenir (l’Iran, Al Qaïda). On se demande ce qu’il faudrait pour faire accepter par le Pentagone et sa bureaucratie les enseignements des guerres qu’ils sont en train de perdre, c’est-à-dire des guerres typiques de la G4G, — et l’on répond : rien, absolument rien n’y parviendra. Ces armements promis n’assureront aucune défense, — si besoin en était, — contre un pays comme l’Iran, dont on sait la propension à utiliser des moyens asymétriques dans les conflits. Ne parlons pas d’Al Qaïda, si Al Qaïda existe. Le cas d’Israël est également révélateur. Les armements qui vont être livrés, voire imposés aux Israéliens (les USA paient, ils orientent les choix israéliens), iront dans le sens développé par les forces israéliennes depuis une vingtaine d’années, qui a abouti à la catastrophe d’il y a un an, contre le Hezbollah.

Le troisième point est le plus évident d’une part, le plus chargé d’implication d’autre part. Il se divise en deux constats:

• Ces contrats sont une manne pour l’industrie d’armement US, et c’est bien entendu un argument d’une très grande force pour soutenir ces propositions. Toute la direction américaniste est évidemment engagée, d’une façon ou l’autre, dans ce soutien de l’industrie d’armement, considérée à la fois comme un des bijoux du capitalisme américaniste et comme un des piliers de la sécurité nationale d’un système qui génère ce même capitalisme américaniste.

• Considérant les circonstances que nous avons décrites, où rien, absolument rien d’autre dans les mesures et politiques développées n’a donné le moindre résultat, il faut admettre que ce choix des ventes et livraisons d’armes devient désormais le seul attribut sérieux, ou faisant figure de sérieux, de la puissance US. On peut alors considérer que les USA sont entrés dans une phase où le seul attribut de puissance incontestable restant est bien la production et la dissémination des armements. C’est le triomphe de ce qu’il y a de plus fondamenta, mais aussi de plus primaire dans le complexe militaro-industriel. On ne peut dire pour autant que ce soit un progrès décisif de la puissance US per se; c’est tout au contraire sa position ultime de tentative d’affirmation de puissance. Les livraisons d’armes US ont toujours existé dans la politique US. Elles constituaient un complément d’autres initiatives. Cette fois, elles semblent former l’essentiel de la politique de sécurité nationale. C’est le contraire d’un progrès ; c’est un ultime retranchement et un terrible aveu d’impuissance.