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20 août 2007 — L’intérêt d’Israël, c’est que ce pays est persuadé d’être sous la menace constante de l’anéantissement.Que cette perception soit fondée ou pas, elle conduit régulièrement, notamment quand les événements se font pressants, à se préoccuper de la réalité, — au contraire, par exemple, du système de l’américanisme qui est persuadé d’être à l’abri de tout contact avec cette chose (la réalité). Ainsi, malgré toutes les pesanteurs, les magouilles, les manœuvres et la désinformation, et sans présumer de mesures diverses de mises en ordre et de diverses querelles bureaucratiques, l’appareil de sécurité nationale israélien a senti qu’il fallait faire quelque chose. L’échec de juillet-août 2006, contre le Hezbollah, a été si extraordinaire, qu’il a suscité un réflexe vital.
Ce réflexe est donc la prise en compte de la réalité, c’est-à-dire de la victoire du Hezbollah, c’est-à-dire de l’efficacité de la guerre de quatrième génération (G4G) par ceux qui en usent. C’est par ce biais effectivement, — la prise en compte de la réalité, — qu’il nous importe de développer la nouvelle annoncée hier dans notre Bloc-Notes, qui nous annonce que l’acquisition du JSF par les Israéliens (entrée en service pour 2014) devrait être retardée d’un à deux ans ; les fonds ainsi dégagés serviraient à renforcer les forces terrestres, la tactique structurelle de Tsahal étant réorientée vers l’action terrestre, l’occupation du terrain, etc.
Selon ce point de vue, il est intéressant de noter deux faits:
• Les Israéliens, dans leur recherche d’une réforme pouvant restructurer leurs forces pour affronter les conditions de la G4G, songent d’abord à réduire leurs investissements pour les forces aériennes. C’est bien entendu la mise en cause de la structuration des forces réalisées dans les quinze dernières années au profit de ces forces aériennes et de ce que les Américains nomment la Revolution in Military Affairs (RMA). Cela confirme les plus récentes nouvelles venues d’Israël à ce propos, notamment après la publication du rapport de la Commission Winograd Commission.
• Dans ce cadre, l’une des premières cibles est le programme JSF, même si c’est pour un simple recul (un ou deux ans) de l’entrée en service. Cette intention est une tendance mais une tendance significative, qui ne préjuge rien de l’avenir (dans le sens où le débat pourrait s’élargir et porter sur des mesures plus significatives contre cet investissement dans l’achat du JSF, — par ailleurs promis à $60 millions l’exemplaire selon l’article, alors que les prévisions de coût se situent plutôt vers le double de ce chiffre). L’avion de combat est ainsi présenté par l’article de Haaretz
«The stealth fighter is the dream of all pilots: a plane capable of evading the Russian-made radar of both Syria and Iran. If Israel will have to attack Iran in the future, an aircraft of this kind, capable of safe exfiltration, will be necessary. Another advantage of the F-35 is its ability to acquire a broad view of the areas it overflies, in part by sharing information with other friendly aircraft, and relaying it to headquarters. For the Air Force, this fighter is a strategic asset, much more important than armored divisions.
»No one in the defense establishment is disputing the fact that the F-35 should be the Air Force's next generation fighter. The argument is over the timing of the deal. An earlier agreement for the procurement of the F-16I in 2003 gave rise to controversy after the fact. Some argued that the 120 aircraft bought were too many, and that it would have been possible to buy other weapons systems with the money allocated.»
Cette présentation particulièrement élogieuse, qui vient manifestement des milieux militaires et des lobbies de la Force Aérienne (avec la nuance des partisans d’un recul de la commande dans les précisions sur la commande de F-16I), est à double tranchant. Un véritable et subtil adversaire du JSF, convaincu du succès de la formule G4G, l’emploierait selon l’idée qu’à force d’embrasser l’objet de sa vindicte cachée on finit par l’étouffer. Elle a la particularité, au travers du dithyrambe du JSF, d’enfermer ce système dans un type de guerre bien particulier lié à une politique tout aussi spécifique. Si l’on en fait l’avion idéal pour l’attaque contre l’Iran, si on le désigne comme «a strategic asset, much more important than armored divisions», — du point de vue de la force aérienne, — on le désigne comme l’avion d’une stratégie et d’une politique liée à cette stratégie. Et l’on ne fait que rencontrer et, surtout, mettre à nu, l’orientation et les capacités opérationnelles de l’avion dans un sens qui est de plus en plus mis en question, qui démontre son inefficacité avec régularité et ainsi de suite.
Dans le cas qui nous occupe, — RMA versus G4G, pour faire court, — l’adage du “qui peut le plus peut le moins” n’est absolument pas justifié. L’attaque contre l’Iran, avec tout l’aspect politique que porte cette idée, relève d’un domaine de la pensée militaire complètement, intimement marié à la RMA, et absolument lié à la stratégie employée contre le Hezbollah l’été dernier, avec l’insuccès dramatique qu’on a vu. Cette stratégie se marie avec l’idée même de l’attaque aérienne contre l’Iran et d’une façon plus générale avec la politique US (ou bien américano-israélienne) développée depuis le 11 septembre 2001, qui est une adaptation modernisée de la classique pensée américaniste du poids et du feu, de la mécanique, du carpet bombing et ainsi de suite. La RMA n’est d’ailleurs pas autre chose, derrière son maquillage ultra-sophistiqué et high-tech ; elle n’est pas autre chose que du carpet bombing de haute précision régulièrement ridiculisée par la fausseté des informations qui l’orientent et l’incroyable méconnaissance de la psychologie humaine. (Même la Deuxième Guerre mondiale, avec l’incapacité des bombardements stratégiques US à réduire la volonté de combattre des Allemands, mais au contraire avec l'effet de l’exacerber, nous avait appris cela.) Dans le cas de l’Iran, on espère qu’une attaque aérienne massive interrompra le programme nucléaire, raménera la puissance du pays quelque part vers l'Age de la pierre et conduira la population à se révolter et à exiger un “regime change”. Cette conception était exactement à la base de l’attaque contre le Liban (plutôt que contre le Hezbollah, dans ce cas), lors de la guerre de juillet-août 2006, comme l’expliqua notamment Seymour Hersh. C’est bien cette conception qui est mise en cause, — aussi bien contre l’Iran que contre le Hezbollah, — et c’est bien à cette conception que le JSF est lié dans la démarche israélienne.
En soi, l’annonce de cette possible décision israélienne est d’une importance mineure pour le programme JSF. Il faut, bien entendu, la considérer dans un cadre beaucoup plus vaste, qui est celui que nous avons tenté d’esquisser. La lumière est alors complètement différente.
D’abord, une décision israélienne est toujours considérée avec intérêt, à cause de l’expertise militaire de ce pays. Aujourd’hui, cette expertise se double de l’expérience d’un grave revers. Les conclusions israéliennes semblent de plus en plus évidentes et vont dans le sens d’une relativisation extrême des doctrines issues de la RMA. Le fait que ce grand mouvement de réforme, qui n’est certainement pas fini et qui procurera d’autres surprises, touche spécifiquement le programme JSF est d’une profonde signification. Si l’on tient compte de leurs liens avec les USA et du désir des Israéliens de ne pas mécontenter les industriels US et le Pentagone, la mesure n’exprime sans aucun doute qu’une petite partie de la perte d’intérêt de l’IDF pour le JSF dans l’ordre de ses priorités. Et encore tout cela s’est-il très vite concrétisé et devrait avoir d’autres prolongements dans le même sens (perte d’intérêt pour la RMA, les systèmes et la stratégie impliqués, le JSF par conséquent…), dans les années qui viennent.
Il s’agit d’un événement important parce que, pour la première fois, le JSF est réellement confronté à la situation militaire qui sera de plus en plus celle où il devra évoluer. Pour la première fois, il est confronté à la réalité opérationnelle d’une situation extraordinairement changeante, et d’une façon qui met en question son utilité fondamentale et, plus encore, sa priorité dans les équipements.
Bien évidemment, ces enseignements de l’évolution israélienne vont être considérés avec horreur par les états-majors européens qui ont choisi d’embarquer dans le JSF. Leur sottise est à la mesure de leurs exploits afghans ou de l’exaltation du Typhoon comme merveille de l’appui tactique rapproché. Il n’empêche, il est plus difficile de dire du mal des Israéliens que des français, conformément au catéchisme transatlantique. Il reste donc que cette décision israélienne introduit le venin de l’incertitude dans l’argumentaire ripoliné de l’avion de combat du siècle.