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161821 août 2007 — A en croire nombre de commentaires, depuis la semaine dernière les USA sont, une fois de plus, sur la voie d’un affrontement avec l’Iran. Cette fois, il ne s’agit pas d’un décompte de porte-avions mais d’une mesure administrative de l’administration, la décision annoncée de classer l’organisation iranienne des Gardiens de la Révolution Islamique (IRGC, ou Islamic Revolution Guard Corps en anglais) comme organisation “terroriste”. Les implications sont immédiates et considérables dans la mesure ou l’IRGC (125.000 hommes) forme le cœur de l’armée iranienne, qu’il existe depuis l’origine de l’actuelle république islamique iranienne, qu’il est une organisation tout à fait officielle, qu’il a pignon sur rue, qu’il a des intérêts économiques, etc. Cela implique une mise à l’index impliquant un corps majeur et officiel d’un pays important qui n’est pas encore en enfer.
En fonction des lois d’exception votées par les USA depuis le 11 septembre 2001, cette décision a des implications légales sérieuses. Dans un excellent article sur cette mesure (voir Atimes.com du
19 août), l’expert et auteur universitaire Kaveh L Afrasiabi observe :
«There is also a legal implication. Under international law, the United States' move could be challenged as illegal, and untenable, by isolating a branch of the Iranian government for selective targeting. This is contrary to the 1981 Algiers Accord's pledge of non-interference in Iran's internal affairs by the US government.
»Should the terror label on the IRGC be in place soon, US customs and homeland-security officials could, theoretically, arrest members of Ahmadinejad's delegation due to travel to the UN headquarters in New York next month because of suspected ties to the IRGC. Even Ahmadinejad, with his past as a commander of the Basij Corps, a paramilitary arm of the IRGC, risks arrest.
»The US has opened a Pandora's box with a hasty decision that may have unintended consequences far beyond its planned coercive diplomacy toward Iran. The first casualty could be the US-Iran dialogue on Iraq's security, although this would simultaneously appease Israeli hawks who dread dialogue and any hints of Cold War-style detente between Tehran and Washington.»
D’une façon générale, deux écoles s’affrontent pour interpréter cette décision. Celle qui juge que c’est une mesure “cosmétique”, comme le fait le New York Times (lire l’interprétation évidemment très critique qu’en fait WSWS.org le 18 août) ; celle qui juge, au contraire, qu’il s’agit d’une mesure très sérieuse, impliquant un enchaînement vers la guerre. C’est le cas, parmi de nombreuses autres sources, de Afrasiabi lui-même comme de l’ancien officier de la CIA reconverti dans le commentaire Robert Baer, dans Time du 19 août.
Robert Baer : «…Officials I talk to in Washington vote for a hit on the IRGC, maybe within the next six months. And they think that as long as we have bombers and missiles in the air, we will hit Iran's nuclear facilities. An awe and shock campaign, lite, if you will. But frankly they're guessing; after Iraq the White House trusts no one, especially the bureaucracy.
»As with Saddam and his imagined WMD, the Administration's case against the IRGC is circumstantial. The U.S. military suspects but cannot prove that the IRGC is the main supplier of sophisticated improvised explosive devices to insurgents killing our forces in Iraq and Afghanistan. The most sophisticated version, explosive formed projectiles or shape charges, are capable of penetrating the armor of an Abrams tank, disabling the tank and killing the crew.
»A former CIA explosives expert who still works in Iraq told me: “The Iranians are making them. End of story.” His argument is only a state is capable of manufacturing the EFP's, which involves a complicated annealing process. Incidentally, he also is convinced the IRGC is helping Iraqi Shi'a militias sight in their mortars on the Green Zone. “The way they're dropping them in, in neat grids, tells me all I need to know that the Shi'a are getting help. And there's no doubt it's Iranian, the IRGC's,” he said. (…)
»Strengthening the Administration's case for a strike on Iran, there's a belief among neo-cons that the IRGC is the one obstacle to a democratic and friendly Iran. They believe that if we were to get rid of the IRGC, the clerics would fall, and our thirty-years war with Iran over. It's another neo-con delusion, but still it informs White House thinking.
»And what do we do if just the opposite happens — a strike on Iran unifies Iranians behind the regime? An Administration official told me it's not even a consideration. “IRGC IED's are a casus belli for this Administration. There will be an attack on Iran.”»
Une interprétation plus affinée des intentions US et des possibles conséquences de la décision contre l’IRGC est celle d’une “guerre d’attrition” contre l’Iran ; si l’on veut, une sorte de “droit de suite” autorisé par cette classification, exercé à partir de ce qui serait présenté comme des interventions de l’IRGC en Irak, contre des bases de ce même IRGC en Iran, et qui impliquerait une (des) opération(s) militaire(s) plus limitée(s), différente(s) du scénario apocalyptique qu’on favorisait jusqu’alors. Afrasiabi, qui détaille cette possibilité, n’y croit pas une seconde, jugeant que la tension de la situation entre les USA et l’Iran conduira nécessairement à une escalade.
«The idea of an all-out military confrontation between the US and Iran, triggered by a US attack on the IRGC, has its watered-down version in a “war of attrition” whereby instead of inter-state warfare, we would witness medium-to-low-intensity clashes.
»The question, then, is whether or not the US superpower, addicted to its military doctrine of “superior and overwhelming response”, will tolerate occasional bruises at the hands of the Iranians. The answer is highly unlikely given the myriad prestige issues involved and, in turn, this raises the advisability of the labeling initiative with such huge implications nested in it.
»No matter, the stage is now set for direct physical clashes between Iran and the US, which has blamed the death of hundreds of its soldiers on Iranian-made roadside bombs. One plausible scenario is the United States' “hot pursui” of the IRGC inside Iranian territory, initially through “hit and run” commando operations, soliciting an Iranian response, direct or indirect, potentially spiraling out of control.
»The hallucination of a protracted “small warfare with Iran” that would somehow insulate both sides from an unwanted big “clash of titans” is just that, a fantasy born and bred in the minds of war-obsessed hawks in Washington and Israel.»
Entre les deux interprétations, nous tendrions à adopter une position médiane qui accepte la première et enchaîne éventuellement sur la seconde.
• Notre interprétation de la décision originelle est qu’il s’agit d’une décision de politique intérieure. Elle aurait été prise pour apaiser la faction extrémiste de l’administration qui veut une attaque immédiate (Cheney et son équipe, soutenus à l’extérieur par les extrémistes type néo-conservateurs). Condi Rice au département d’Etat, avec un certain soutien de Gates à la défense, aurait envisagé l’idée pour faire des concessions à la faction extrémiste à laquelle elle s’oppose mais devant laquelle elle doit lâcher du lest. Son espoir serait de se saisir de cette disposition légale pour renforcer les sanctions et avoir un argument de plus pour la voie de la “diplomatie dure” (en fait la pression extérieure, type-embargo, coutumière des pratiques de la Grande République), — contre les partisans d’une attaque militaire.
• Mais il existe une logique de l’enchaînement avec un processus de type “la fonction crée l’organe” (dans ce cas : la “loi” crée des obligations “légales” qu’il est de bonne et saine vertu d’accomplir). Le durcissement au niveau diplomatique, plutôt que de s’imposer comme alternative à l’attaque militaire, peut au contraire la préparer en faisant monter la tension. La chose est d’autant plus plausible que le durcissement doit être très réel pour être crédible dans le débat en cours à Washington, que la tension qu’il générera sera elle aussi très réelle, que cette tension va accroître les désaccords et les méfiances, aussi bien avec l’Iran qu’entre les autres pays impliqués.
• C’est une manœuvre classique du système de l’américanisme, dans son habituelle et toujours stupéfiante impudence, de présenter des décisions juridiques internes arbitraires comme des lois internationales de facto. C’est, en plus, le désordre washingtonien, avec son absence d’autorité centrale et ses querelles de clans, comme d’habitude répandus hors de Washington pour infecter les relations internationales. Le système américaniste est absolument sans rival imaginable dans sa capacité de déstabilisation.
• Mais ce qui est nouveau c’est l’aspect opérationnel. A partir du fait, on peut passer de la première interprétation à la seconde. La décision instaure et légalise un véritable “droit de suite” à partir d’incidents en Irak dont les autorités US en Irak sont les seules habilitées à juger. (Bien entendu, en Irak et à Washington, comme on l'a vu avec le texte de Baer, on bat le rappel de la dénonciation de l’intervention iranienne qui devient brusquement omniprésente.) Comme d’habitude, le système s’instaure à la fois juge et partie. C’est lui qui dira s’il y a incident, qui produira les preuves qu’il faut, évidemment aussi crédibles que les armes de destruction massive de Saddam, et s’estimera “en droit” de riposter contre l’une ou l’autre base de l’IRGC.
• Mais plus que “s’estimera ‘en droit’”… L’hypocrisie du système est telle qu’on sait qu’elle en arrive à créer un état psychologique perçu comme “objectif”, que nous avons désigné comme un état d’inculpabilité. Pour appliquer cette appréciation théorique au cas envisagé ici, nous dirions qu'une fois qu’une démarche politique ou politicienne, jusqu’à la plus infâme, est transformée en loi, elle acquiert pour la psychologie américaniste la vertu de l’objectivité, c’est-à-dire une complète et vertueuse légalité. (Avant d’être une loi, la démarche n’est effectivement qu’une démarche en cours et nul ne s’avise de son caractère infâmant; une fois bidouillé en loi, elle ne peut plus être infâme puisqu’elle est légale et donc vertueuse. Et nous pensons avec force qu’il s’agit plus de psychologie inconsciente que de malice consciente: il y a une véritable ingénuité dans cette transformation de l’hypocrisie en vertu; cela fait le plus grand danger, l’efficacité et la faiblesse à la fois de ce système.)
• Poursuivons le cas irakien-iranien. Dans le cadre juridique ainsi tracé, la riposte à un “incident” dûment confirmé, sinon fabriqué par la légalité américaniste devient véritablement légale et vertueuse aux yeux de la psychologie en question, américaniste elle aussi. Non seulement la manœuvre sur le terrain (la riposte) est tentante mais elle devient “légale”, et le “droit de suite” (ou de riposte) devient “devoir de suite” (ou de riposte) aux yeux du système et au cœur de toutes ces psychologies vertueuses. On voit mal comment l’autorité politique, ou telle ou telle faction, pourrait résister à une telle sommation vertueuse que toute la classe politicienne soutiendra de sa vertu militante. La tension est telle entre les USA et l’Iran que le risque d’escalade, dans un tel cadre d’hypocrisie épouvantable, est bien réel.
• Pour autant, les formes de ripostes éventuelles sont diverses. Nous ne sommes pas nécessairement de l’avis de Afrasiabi, qui semble ne voir dans l’escalade qu’une montée dans l’intensité conventionnelle des attaques. Il peut y avoir plusieurs formes de riposte, surtout de la part des Iraniens et de l’IRGC. L’escalade peut être de type G4G et nous réserver des surprises.
… La situation, d’ici novembre 2008, pourrait donc nous réserver, elle aussi, des surprises. Au gré des catastrophes empilées en Irak et des crêpages de chignon à Washington, pourrait grandir ou s’imposer la nécessité d’une “riposte” anti-iranienne qui marierait habilement la manoeuvre politicienne et l’apaisement des chaleurs des dirigeants les plus excités. Ce serait la “loi” qui, désormais, l’enjoindrait. Ce serait l’enchaînement de l’obsession belliciste et de la vertu irrésistible, — le mélange classique des genres dans ce système, entre paranoïa et schizophrénie. Ce ne serait pas pour autant la victoire assurée.
Nous ne tenons nullement cette issue de la confrontation pour assurée, tant ce système obsessionnel est absolument malade et capable des hoquets les plus inattendus et dans tous les sens. Mais nous la tenons désormais pour possible parce qu’elle ne dépend plus de la disposition des moyens (rassemblement de porte-avions et tout le toutim) mais des nécessités de la “loi”. Baer a raison d’écrire : «…after Iraq the White House trusts no one, especially the bureaucracy». La direction politique n’a aucune confiance dans ses généraux et (surtout) ses amiraux pour préparer une attaque délibérée. Aussi se couvre-t-elle de la tunique de vertu de la loi. Mais l’absence d’une attaque délibérée implique l’absence de moyens considérables (par ailleurs bien handicapés par divers revers) et, surtout, la nécessité vertueuse de s’en tenir à une riposte proportionnée (mais “à l’américaine”, certes) à des “incidents” éventuellement fabriqués et qui ne peuvent être qu’assez limités. Cette nouvelle situation (déjà envisagée) qui fait passer le casus belli de la riposte à la soi-disant menace nucléaire iranienne à venir à un “devoir de riposte” à partir de l’Irak implique que la tunique de la vertu pourrait se révéler être une tunique de Nessus… Puisque, effectivement, la victoire ne serait pas nécessairement au rendez-vous.
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