… Comment concilier l’atlantisme avec un Saint-Malo-II ?

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Poursuivons, sous une autre forme, l’évocation entamée avec le sujet précédent, qui concerne notamment la tentative chiraquienne de réintégration de l'OTAN en 1995-97...

Déçu par l’échec d’AFSOUTH à la fin 1997, et par l’échec finalement de l’atlantisme pro-américain de l’anti-américain Chirac, la France tendit à écarter tout projet collectif de défense sérieux et se replia sur ses nostalgies atlantistes et sa mauvaise humeur européenne. C’est alors que survint Tony Blair avec son projet européen révolutionnaire de défense. Blair entendait ainsi donner au Royaume-Uni une dimension européenne qui lui manquait (et lui manque toujours, — entre temps est intervenu l'épisode 9/11-Irak). Cet effort aboutit au traité franco-britannique de Saint-Malo (décembre 1998). Non seulement Blair n’était pas encore sous le charme de la future croisade de GW mais c’est lui qui révélait Chirac à ses ambitions européennes de sécurité. Comme le monde est petit.

Poursuivons. Dans ce cadre général de l’histoire proche, l’intérêt du discours de Sarkozy d'hier, son intérêt central peut-être plus que l’Iran, concerne la présidence française de l’UE. Sarko veut en faire une présidence-choc dans le domaine essentiel de la défense. La France commence déjà à travailler à cette présidence du 1er juillet 2008… Comme s’il ne nous restait plus qu’à suspendre toute activité en attendant cette date (autant pour les deux présidences européennes jusqu’en juillet 2008, dont celle du Portugal en cours. Sarkozy annonce déjà que lui-même, ou son Premier ministre, visitera toutes les capitales des pays de l’UE avant la présidence française du 1er juillet 2008.)

«Je souhaite aujourd'hui mettre l'accent sur le dossier de l'Europe de la Défense. Bientôt dix ans après l'accord de Saint-Malo, le moment est venu de lui donner un nouvel élan.

»Ce qui a été accompli ces dernières années est loin d'être négligeable puisque l'Union a conduit une quinzaine d'opérations sur notre continent, en Afrique, au Proche-Orient, en Asie. Ces interventions démontrent, s'il en était besoin, qu'il n'y a pas compétition, mais bien complémentarité, entre l'OTAN et l'Union. Face à la multiplication des crises, il n'y a pas trop plein, mais bien déficit de capacités en Europe.

»Je souhaite que les Européens assument pleinement leur responsabilité et leur rôle au service de leur sécurité et de celle du monde. Pour cela, nous avons besoin en priorité de renforcer nos capacités de planification et de conduite des opérations; de développer l'Europe de l'armement avec de nouveaux programmes et de rationaliser ceux qui existent; d'assurer l'interopérabilité de nos forces; et que chacun en Europe prenne sa part de la sécurité commune. Mais au delà des instruments, nous avons aussi besoin d'une vision commune des menaces qui pèsent sur nous et des moyens d'y répondre: il nous faut élaborer ensemble une nouvelle “stratégie européenne de sécurité”, prolongeant celle adoptée en 2003 sous l'égide de Javier Solana. Nous pourrions approuver ce nouveau texte sous présidence française en 2008. Notre Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, dont j'ai demandé l'élaboration dans les prochains mois, sera la contribution de la France à ce travail nécessaire.»

En d’autres mots, Sarkozy propose de fêter le dixième anniversaire de Saint-Malo par un Saint-Malo-II, qui constituerait la venue à maturité de l'Europe-puissance (militaire). De ce point de vue, le parallèle avec l’épisode Chirac aboutissant au premier Saint-Malo est révélateur. Sarkozy n’attend certainement pas de savoir ce que ses vagues et traditionnels espoirs de “rénovation de l'OTAN et de sa relation avec la France” peuvent donner pour lancer une attaque pro-européenne au niveau de la défense ; il n’attend pas non plus les Britanniques mais espère bien obtenir leur concours pour cette relance européenne. Ses manières sont dynamiques, presque autoritaires et à la limite de la brutalité pour les habitudes européennes: annoncer qu’il monopolise toute l’attention pour 2008 par des visites qu’on pourrait qualifier d’“intrusives” chez les partenaires de l’UE, réduire d’autant l'importance des présidences qui précèdent, annoncer que le Livre Blanc français sur la défense en cours de réalisation sera la base de l’action française qui devrait aboutir à un traité Saint-Malo-II, “souhaiter” qu'un texte sera effectivement adopté sous cette présidence — voilà qui n’est pas commun et ni vraiment promis à plaire aux Américains. Un peu de mémoire, toujours elle, nous rappellera ce que furent les réactions hystériques US pendant l’épisode constructif anglo-français qui accompagna et suivit Saint-Malo, de la fin de l'automne 1998 à à peu près la fin 2000.


Mis en ligne le 28 août 2007 à 13H26