Une administration Billary Clinton, est-ce une bonne idée?

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Une administration Billary Clinton, est-ce une bonne idée?

5 octobre 2007 — Pour la première fois, Bill Clinton s’exprime publiquement et en détails sur la prochaine possible/probable présidence Clinton (Hillary). Il s’exprime là-dessus parce qu’il aura un grand rôle à y jouer. Il s’exprime dans le Guardian parce que ce rôle sera essentiellement à destination de ROW (Rest Of the World), et qu’il y a une vieille complicité entre Bill et le New Labour dont le Guardian est proche, — y compris entre Bill et le vieux copain, Tony Blair, avec qui on rivalise amicalement pour le titre de premier vieux-jeune sage encore fringant de l’Occident anglo-saxonisé et postmoderne. Cela confirme des indications préliminaires que nous avions rapportées le 20 juin dernier.

Aucun doute, si Hillary est élue Bill aura un rôle de première dimension: nous (re)vendre l’Amérique, repeinte précipitamment à neuf, clinquante, faisant à nouveau “coin-coin”. L’Amérique de notre American Dream, qui déclenchera un peu partout dans le reste du monde des extases impromptues et terminera miraculeusement nombre de coïtus interrupti.

Acceptons l’hypothèse de l’élection d’Hillary, avec toutes les réserves nécessaires, rappelées par un lecteur et dont nous nous étions fait l’écho, notamment à propos d’un article du Sunday Times du 3 septembre 2006:

«A recent poll for Time magazine showed that 53% of the electorate said they had a favourable impression of Clinton and only 44% viewed her negatively, figures that President George W Bush can only dream of at the moment. Even so, 53% of independent voters said they would not vote for her.

»“The prospect of a Hillary for President campaign has put much of the Democratic establishment in a bind,” Time concluded. “The early line is that Hillary would be unstoppable in a Democratic primary but unelectable in a general election.”»

Voici ce que dit le Guardian aujourd’hui, dans un texte de commentaire (avec un texte plus complet de l’interview de Bill), — à propos de ce projet de Bill Clinton tenant le rôle majeur de commis-voyageur pour restaurer l’image de l’Amérique, — si Hillary l’emporte…

«If Hillary Clinton wins the US presidency, Bill Clinton will be given the job of repairing America's damaged international reputation, the former president tells the Guardian in an interview today.

»Mr Clinton, 61, reveals that his wife has said she would ask him to “go out and immediately restore America's standing, go out and tell people America was open for business and cooperation again” after eight years marked by unilateralist policies that have ”enrage[d] the world”.

»For the first time in his political life, Mr Clinton says, “ordinary US voters in the heartlands are concerned about who would be most likely to restore America's standing in the world” in the wake of the Iraq war, lack of action on climate change and other policies.

»“The average American knows instinctively that we have almost no problems in the world that we can solve all by ourselves,” he says. “And that, I think, is helping her candidacy, because people believe – I think rightly – that if she were elected she would quickly move to restore our standing in the world, and tell people there may be a few occasions when we have to do something on our own, but our strong preference is going to be to be cooperative.”

»The collective effect of American unilateralism has been “to enrage the world at the very moment when we had more support than we've had in recent memory, because of 9/11”, Mr Clinton says.

(…)

»Mr Clinton argues that American voters are tiring of a politics and media that have been under the sway of “the most ideological, rightwing element of the Republican party”, leading to a national climate in which “three-dimensional reality” has been turned into “two-dimensional cartoons, and then [the rightwing media] try to get people to divide up on the basis of whether you like the cartoon or not ... I want the American people to stop rewarding the ideological wing of the Republican party, so we can have a centre-left party and a centre-right party and they can have real debates about real things.”»

Une bonne idée ou une “fausse très bonne idée”?

Quelle bonne idée! doit-on s’exclamer aussitôt. Nous entendons d’ici le soupir d’aise extasiée que poussera toute la communauté européenne des intellectuels assermentés et des dirigeants politiques associés lorsque, Hillary prêtant serment, on verra à ses côtés Bill, déjà couronné Vice-Roi et prêt à prendre son bâton de pèlerin dès la cérémonie d’investiture terminée. Il ne fait aucun doute que Bill serait un formidable commis en relations publiques (RP) pour restaurer l’image des USA. Tous nos dirigeants n’attendent que cela, de tout leur coeur et de toutes leurs tripes. La popularité de Bill hors des USA (comme aux USA même, mais en partie) est formidable. La chose est indiscutable et personne ne doit soupçonner dans notre commentaire la moindre ironie (nous réservons cette ironie à ceux qui succombent au charme de Bill en croyant retrouver leur American Dream). Cette capacité de Bill Clinton, reconverti entretemps dans la juteuse défense des grandes causes, de la faim dans le monde à la lutte contre le réchauffement climatique, dans une association croulant sous les dons et fastueusement nommée Clinton Global Initiative (on ne doute de rien), cette capacité ne peut faire un seul doute dans notre univers de communication et de people.

Bonne idée, très bonne idée, sans aucun doute… Mais n’y a-t-il pas également le risque de la “trop bonne idée”, ou “fausse très bonne idée”? Voici quelques remarques explorant chacune un champ où il nous semble que cette très bonne idée pourrait rencontrer de redoutables obstacles.

• On vous dit souvent que ce n’est pas en rassemblant les onze meilleurs joueur de football du monde à leurs postes respectifs qu’on compose les meilleures équipes du monde. Expliquons notre propos à la lumière d’une hypothèse très répandue, qui semble assez exemplaire. Il semblerait qu’Hillary, si elle est élue, prendrait Richard Holbrooke comme secrétaire d’Etat. Larges épaules, volume considérable, aussi tendre qu’un marteau-pilon, extrêmement efficace et ambitieux, Holbrooke n’aime pas se laisser marcher sur les pieds ni partager le devant de la scène. Mais vous comprenez bien, connaissant le Bill, que la mission at large de ce dernier dans le vaste monde le conduira, surtout lui ancien président et “First Gentleman” (on propose l’expression comme pendant de “First Lady”), à suggérer des initiatives politiques, à interférer dans la politique US, à proclamer de prochaines décisions non décidées, etc. Imaginez-vous que ces interférences ne conduiront pas à des heurts avec Holbrooke? Ajoutons-y le caractère d’Hillary, qui n’a rien d’une baudruche manichéenne type-GW, et l’on a un trio infernal plongé dans une bataille pour savoir qui dirige une grande politique extérieure cacophonique pourtant tracée d’avance, et finalement une bataille paralysante à force de concurrences diverses.

• Le retour de Bill, c’est aussi le retour d’un homme absolument haï par un bon 40%-50% de la population US. Si l’on ajoute la haine contre Bill à la haine contre Hillary de tout ce qui est à droite et à l’extrême droite, on obtient un cocktail intérieur assez explosif. Avec des républicains sortant de leur rêve interruptus de conquête du monde et disposant d’un formidable arsenal médiatique, avec des troupes aussi déterminées que les évangélistes chrétiens et des experts aussi hystériques que les néo-conservateurs pourtant déchirés entre leurs alliances d’extrême droite, leur patron Murdoch et les amitiés israéliennes pour Hillary, on risque de voir la situation intérieure déboucher sur des tensions bien préoccupantes et une confusion très généralisée. Bref, on continue comme avant.

• Nous aurons vraiment deux mondes, chacun à la porte d’à côté et tous deux si affreusement contradictoires. Celui de Bill se baladant dans le grand monde et peignant l’Amérique de couleurs fluos et vertueuses, l'Amérique partout acclamée, l’Amérique des paillettes qui lui sont habituelles, tout cela sur fond de flonflons de la Clinton Global Initiative. A côté du monde de paillettes de Bill se poursuivront les très dures réalités du domaine, l’Irak, l’Iran, le reste, les pressions des hystériques de la guerre contre la terreur, de la bureaucratie, les consignes de l’establishment et ainsi de suite. Car Billary ou pas, la politique extérieure sera ce qu’elle devra être, point final. William Pfaff nous explique la chose, le 3 octobre:

«On Iraq, each of those candidates whom the Washington press, and national editorialists, have (already) selected as electable, now says that the U.S. must stay in Iraq or the surrounding region with large military forces, not just after the 2008 election, but that of 2016 – beyond two more presidential terms – so as to “prevent chaos,” prevent Iraq from becoming “a terrorist hotbed and training ground,” foster democratic government, centralize (or decentralize) Iraq (the apparent disagreement on this is unimportant because it is a matter the Iraqis will eventually decide for themselves), foster the regional stability that the United States destroyed by invading Iraq, preserve America’s interests in Arab oil, and protect Israel from Iran, Syria, and perhaps eventually from the Palestinians.

»This is largely indistinguishable from the Bush administration program (probably leaving out the Bush people’s commitment to torture) because it is the consensus view of the American foreign policy community in Washington, and any deviation from this consensus is considered by the presidential election industry as disqualifying the candidate.

(...)

»The problem in American foreign policy today is that an ideological orthodoxy has emerged within the intellectual and political community concerned with foreign relations, and this orthodoxy now is imposed upon everyone who wishes to shape national policy at the Washington political and media level. The apparent debate that takes place in America on Sunday mornings on television, or in the national press, and in the Congress, is really a knockabout vaudeville performance without serious content: both sides in essential respects are on the same side.»

• Le gouvernement Billary Clinton se heurtera aussi à un rude morceau: les forces armées. Elles sont déjà en état de quasi-dissidence. Si on leur met entre les dents un Clinton de plus, et l’ancien président de surcroît, elles retrouveront encore plus leur antagonisme favori des années 1990. Bill Clinton, avec sa première initiative prise début 1993 en faveur des homosexuels dans les forces armées, aussitôt ramenée à une situation mi-chèvre mi-chou, s’est acquis une haine sans fin des chefs militaires, qui est devenue une tradition. Si le gouvernement Billary est là pour poursuivre, contraint et forcé ou de bonne grâce, la politique aventureuse de GW, les forces armées auront un bouc-émissaire acceptable à qui faire porter la faute des catastrophes qui continueront à s’empiler. L’ironie de l’affaire est qu’alors ils s’opposeraient à un couple devenu belliciste au nom de la conformité du système alors que, dans les années 1990, ils haïrent les Clinton parce qu’ils crurent qu’ils étaient pacifistes, type-contestataire des années 1960. (Le Kosovo, en 1999, leur prouva, mais un peu tard, qu’ils s’étaient trompés, et que Billary faisait un couple très convenablement américaniste.)

Ce sont quelques idées, quelques “pistes” comme on dit. Il ne fait aucun doute que l’utilisation de Bill Clinton en RP-USA est une manœuvre remarquable, un réflexe “professionnel” de première qualité. Mais au-delà, au vu des obstacles prêts à s’amonceler et aux consignes de fer du système qu’il n’est pas question de transgresser, ne doit-on pas se demander avec insistance s’il n’est pas trop tard? A voir ce que sont en train de devenir les candidats à l’élection tels que les décrits avec brio William Pfaff, on ne voit pas pourquoi de ces candidats-robots ne sortirait pas un(e) président(e)-robot avec pour consigne d’appliquer une politique-robot. Nous aurions alors confirmation de ce que nous croyons nous-mêmes, — que GW Bush et 9/11 l’ont emporté en créant effectivement un nouveau monde virtualiste, — et, Billary ou pas, rien ne sera jamais plus changé dans la Grande République par rapport à la voie tracée par GW… Si c’est le cas et malgré le Vice-Roi Bill, l’entreprise de réparation de l’image de l’Amérique serait mort-née. Disons qu’elle serait d’autant plus belle qu’elle serait inutile.