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790La question des anti-missiles US en Europe, – ABM pour les Russes, désormais BMDE (Ballistic Missile Defense in Europe) pour les USA, – devient une étrange charade liée à l’imbroglio du pouvoir à Washington, avec l’aide d’une éventuelle habileté russe et l’enthousiasme éventuellement soulagé des Européens. On a déjà eu des échos d’une première péripétie, où Washington-USA démentait brutalement Bruxelles-USA, en démentant d’une façon indirecte assez brutale les propos du secrétaire d’Etat adjoint aux affaires européennes Freid.
Mais l’on constate la présence depuis samedi, sur le site de l’International Herald Tribune, d’un texte de Judy Dempsey datant du 20 octobre (donc, après les démentis), reprenant toute l’affaire Fried, l’amplifiant, lui donnant une tonalité presque solennelle. Cette fois-ci, il s’agit de ceci: «U.S. offers Russia significant new concessions to gain support for missile shield»
Certes, l’IHT n’est pas une voix officielle US. Mais le rôle de “presse officielle” du journal (reflétant indirectement la position US) vis-à-vis des alliés européens et même des Russes est connu. Si le texte reste sur le site de l’IHT (il y est ce matin, en bonne place), c’est qu’on en a mesuré l’importance.
Deux autres éléments sont remarquables dans ce texte:
• D’abord, il a été écrit vendredi, c’est-à-dire après les démentis de Washington (auxquels aucune allusion n'est faite). On trouve, en fin de texte, ce détail (avec un souligné en gras de nous) qui précise l’actualité de l’article: «A senior U.S. official said Friday “we are encouraged by the creativity” of the talks. “This is not a stalled process.”»
• Il y a des indications précises que les propositions US portent sur les BMDE mais aussi sur l’Iran et sur le Kosovo. Ce serait alors une nouveauté considérable puisqu’il s’agirait d’un plan très divers tentant d’amener une amélioration des relations avec la Russie en général, sur les principaux sujets de désaccord. La présentation de la chose va dans ce sens: «The linkage of the shield debate to other issues represents a big change by the Bush administration which, until now, has had a splintered policy toward Russia over Iran, Kosovo and arms negotiations.»
Voici quelques détails du texte sur l’offre US. On notera qu’outre Fried, la présence du général Obering est mentionnée, ce qui signifie l’implication du Pentagone dans la proposition.
«The offer, made last week in Moscow by Secretary of State Condoleezza Rice and Defense Secretary William Gates, was formally presented Wednesday to NATO ambassadors and top Russian security officials.
»NATO diplomats said it was an important shift by the Bush administration as it seeks the endorsement of the 26-member alliance. The United States says the shield is a response to potential threats from rogue nations, principally Iran, while Russian officials have called the system a Trojan horse designed to counter Moscow's strategic rocket forces
»“I consider the U.S. proposal on missile defense as very important,” Jaap de Hoop Scheffer, the NATO secretary general, said in an interview. “The Americans have made a substantial and fundamental offer. I sincerely hope the Russians will pick it up.”»
L’offre US sur les BMDE contient trois éléments:
• Une évaluation commune USA-Russie de la menace qui déterminerait le déploiement des BMDE: «First, the antimissile defense system in Poland and the Czech Republic would be deployed on the basis of threat. The United States and Russia would jointly decide the nature of the threat.»
• Les Russes joueraient un rôle dans l’aspect de la détection avec le cas de la station-radar (Azerbaïdjan) que Poutine avait évoqué au sommet du G8: «The second element would involve Russian plans to build its own shield in Gabala, Azerbaijan, which Putin announced in July at a G-8 summit meeting in Germany in response to the U.S plan. Obering said “this could be linked up to the U.S. plan through sharing data.”»
• Le troisième élément serait une présence russe de contrôle dans la mise en place et le déploiement des anti-missiles BMDE en Pologne et en Tchéquie: «Third, Russia would also be able to monitor what the U.S. was doing in Poland and the Czech Republic, provided both countries agreed. The plan is that Russia could send liaison officers to these countries. “We said we would be in a position to offer things with respect to our own facilities and command and control elements,” Fried said.»
Alors, que fait-on? On fait comme si le département d’Etat n’avait rien dit jeudi? Les Russes, de leur côté, restent imperturbables. La presse, dont Novosti offre une synthèse le 19 octobre, tient pour acquis qu’il y a une offre US et que cette offre est liée directement à la suspension du programme nucléaire en Iran (point précisément démenti la veille par le département d’Etat): «Washington a laissé entendre, par la bouche de Daniel Fried, sous-secrétaire d'Etat américain pour l'Europe et l'Eurasie, qu'il était disposé à prêter l'oreille aux préoccupations de Moscou et à renoncer au déploiement d'éléments de son bouclier antimissile en Europe de l'Est, note vendredi le journal Vremia novosteï.
»Mais d'abord, la Russie doit obtenir de l'Iran la suspension de son programme nucléaire.»
Pour l’instant, on en reste là. L’imbroglio est en place, de deux façons:
• D’abord par l’élargissement du problème BMDE à la crise iranienne et à la crise du Kosovo. Si l’on veut, on peut citer Francis Wilkinson, dans un article du Guardian du 17 octobre, mais concernant à l’inverse de la tendance apaisante relevée ici l’hypothèse d’une attaque contre l’Iran que GW déciderait seul (c’est-à-dire, sans doute, avec Cheney) contre tous, pour, – oui, c’est bien l’idée! – “sauver” sa présidence: «With the clock winding down on the Bush presidency, and all the relevant indicators pointing down, the president may yet again be seduced by that old strategic chestnut once endorsed by Donald Rumsfeld: If you can't solve a problem, enlarge it.»
• Ensuite en considérant avec intérêt dans les jours et semaines qui suivent l’évolution à Washington où s’affrontent tant de tendances antagonistes, sur les BMDE, mais aussi sur l’Iran et, désormais, sur le Kosovo également… Puisqu’en effet, il s’avère que le «If you can't solve a problem, enlarge it» de Rumsfeld est d’actualité. Accepterait-on à Washington de faire ce qui est qualifié de “concessions”, et qui ne sera perçu comme rien d’autre, pour nombre d’esprits dans la capitale US, qu’une reculade visible sur au moins un problème, et sans doute plus d'un, dont les termes étaient jugés intangibles il y a encore quelques semaines?
Une certitude: les Russes, dans leur coin, doivent observer ces agitations et ces contradictions avec une certaine ironie. Une autre certitude: les Européens doivent prier pour que tout cela soit vrai, pour que se résolve(nt) une crise (des crises) où ils devraient avoir un rôle central à jouer et où ils n’ont fait que subir, comme d’habitude. Lâche soulagement contre ironie tranquille, voilà qui situe aujourd’hui les rapports de l’Europe avec la Russie. Alors, aller parler de “nouvelle Guerre froide” là-dessus, c'est leur faire bien de l'honneur, à nos politiciens assermentés au système.
Mis en ligne le 21 octobre 2007 à 08H16