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727L’assistance était huppée, hier à Bruxelles, pour écouter une conférence de Robert Kagan, l’un des papes du néo-conservatisme. Kagan, époux de l’ambassadrice US à l’OTAN, Victoria Nuland, est le relais obligé des néo-conservateurs à Bruxelles. C’est lui l’auteur, sinon de la thèse, au moins de l’image fameuse selon laquelle les USA sont sur Mars et l’Europe sur Vénus. Depuis la fortune de cette image, en 2002-2003, les temps ont changé.
L’intervention de Kagan était intéressante dans la mesure où elle se voulait être la présentation d’un tournant stratégique des USA. Les idées exprimées par Kagan ont effectivement intéressé l’assistance, dans le sens d’une surprise et d’une inquiétude réelles, voire d’une déception choquée. On trouvait dans cette assistance nombre de fonctionnaires de la Commission et d’autres institutions européennes, et c’est de ceux-là que viennent ces réactions.
L’intervention de Kagan suivait ces grandes lignes:
• Les néo-conservateurs et, d’une façon plus générale, tout le milieu stratégique washingtonien, ont tiré l’enseignement des erreurs qu’ils ont commises en Irak et de la catastrophe qui en a résulté.
• L’interprétation de cet enseignement pour les USA est la suivante: il n’y a plus rien à espérer d’interventions US basées sur la volonté de répandre la démocratie et, d’une façon plus générale, l’américanisation. L’idée peut être résumée de la façon suivante: “ils” ne veulent pas des bienfaits civilisateurs américanistes.
• … Conclusion: eh bien, qu’ils restent là où ils sont, dans la situation où ils sont. L’Amérique ne fera plus aucun effort, ne prendra plus aucune initiative pour l’expansion de son génie civilisateur. C’est l’abandon de la doctrine du néo-wilsonisme (interventionnisme américaniste dit “humanitaire”).
• La chose est symbolisée par l’affirmation qu’il y aura désormais “les barbares et nous”: d’un côté les USA, repliés dans leurs vertus diverses et bien sûr leur puissance incommensurable, de l’autre ceux qui refusent le génie civilisateur US et qui sont par conséquent “les barbares”. Il semble que la barbarie comprenne notamment la Russie. Pour l’Europe/UE, on imagine que tout dépendra de la bonne volonté et de la lucidité servile que montreront les pays concernés.
Il ne faut pas accorder trop d’importance à une telle intervention pour elle-même mais il faut la situer dans son contexte. Il apparaît probable qu’elle reflète un état d’esprit qui se développe à Washington, prenant en compte l’échec irakien et le reste. Bien entendu, aucune reconnaissance de la moindre erreur conceptuelle ni de la moindre responsabilité politique et morale US; l’essentiel de la faute revient aux récipiendaires du génie civilisateur US, qui n’ont pas su reconnaître ce génie et ses bienfaits et lui ont résisté fort méchamment et vicieusement (les IED, ou voitures piégées et suicides), – aspect typique de l’esprit barbare. Il serait effectivement assez logique, en fonction de la psychologie US et de son trait caractéristique d’inculpabilité, que les Américains estiment préférable de se replier sur leur dimension stratégique et sur leurs seuls intérêts, en excluant le plus possible des interventions dites “humanitaires”. Les bombardements US, qui continueraient sans doute pour garder la main, ne seraient ainsi plus de la catégorie des «bombardement humanitaires», selon l’expression immortelle de Vaclav Havel en avril 1999, au moment de l’intervention contre la Serbie.
D’autre part, la démarche annoncerait assez justement une attitude US de repli devant le développement des “guerres de survie” consécutives à la crise des ressources et à la crise climatique. C’est une réflexe isolationniste classique, qui existe d’ores et déjà en bonne part avec les barrières sécuritaires, anti-terroristes, établies pour limiter et contrôler l’accès aux USA. Cette fois, il s’agirait d’un réflexe isolationniste devant la perspective d’une période de lutte pour la survie marqué par l’accélération des conflits primaires pour la survivance, – une sorte de période ressemblant à un Dark Age comme en a connu l’Histoire.
Bien entendu, ces perspectives et cette prospective restent complètement du domaine théorique. Elles ne sont une indication que pour mesurer les blocages hermétiques de la psychologie US, son incapacité de tirer la moindre leçon en profondeur de ses échecs (Kagan ne tire que des “leçons techniques” de l'échec irakien, et pas le moindre enseignement fondamental). Pour le reste, notamment du point de vue stratégique effectif, l’Amérique se trouverait, dans un tel cas, dans un nombre vertigineux de positions contradictoires. L’engagement massif US à l’extérieur, par les bases, les conflits transformés en bourbiers, l’accès aux matières premières, le contrôle des voies maritimes, etc., constitue autant de liens emprisonnant totalement la stratégie US vers une dimension interventionniste et belliciste. L’idée véhiculée par Kagan ne laisse prévoir que plus de confusion encore, d’erreurs, de déstabilisations de la part des USA.
Mis en ligne le 23 octobre 2007 à 13H49