Grenelle, la France et la crise

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Grenelle, la France et la crise


27 octobre 2007 — Il y a beaucoup d’applaudissements autour du “Grenelle de l’environnement”, terminé à Paris le 25 octobre. L’affaire fut rondement menée, avec un plateau de communication joliment fourni, les Nobel de la Paix 2006 et 2007, avec le 2007 en tête bien sûr, le président de la Commission Barroso, etc. Mis au courant des us et coutumes parisiennes, Al Gore proclama que «nous voulons un “Grenelle mondial”». Le discours de Sarkozy fut hautement apprécié, également, et salué comme un événement en raison de la vigueur de l’engagement du Président français.

Par conséquent, il nous faut débrouiller entre l’accident (ou bien “l’écume des jours”, selon la référence à Boris Vian) et la substance. Selon les circonstances, le premier s’oppose à la seconde ou bien au contraire il la prépare et la renforce. L’accident, c’est la clameur médiatique et la communication autour du “Grenelle de l’environnement”; la substance, c’est ce que signale la chose du point de vue de la conscience française par rapport à la crise systémique du monde.

Quelques mots d’abord sur l’“accident”, d’après le Figaro du 26 octobre:

«Dans cet automne en demi-teinte, Nicolas Sarkozy a trouvé sa bouée verte. Flanqué d'Al Gore, le tout nouveau Prix Nobel de la paix, et du président de la Commission européenne, José-Manuel Barroso, le chef de l'État apparaît comme un défenseur de l'environnement tout aussi convaincu qu'un Jacques Chirac. En acceptant “le principe” d'une taxe carbone, qui était la principale exigence du “pacte écologique” de Nicolas Hulot pendant la campagne électorale, le chef de l'État a joué banco. Hier, il a donc gagné les applaudissements de Nicolas Hulot, ce dernier se félicitant de l'intervention du président de la République: “À ce stade, je lui donne 18 sur 20”, a-t-il salué. Un satisfecit qui n'est pas neutre pour Nicolas Sarkozy, quand il est accordé par l'une des personnalités les plus populaires de France, alors que le président doit lutter contre les inquiétudes grandissantes sur la croissance faible.

»L'un des très proches de Nicolas Hulot, Jean-Marc Jancovici, applaudit des deux mains: “S'il est d'accord sur le principe, cela nous va très bien.” Cet écolo rigoureux n'en revient pas: “Si on m'avait dit que les 180 pages de ce pacte écologique pondu dans un chalet il y a un an aboutiraient finalement à un débat au sommet entre les deux Nicolas, je n'y aurais jamais cru”, s'exclame-t-il. “Nicolas Sarkozy a toujours été sur cette position”, précise son cabinet. “Il a toujours été d'accord pour examiner le principe d'une taxe sur le carbone, mais à condition qu'elle n'affecte pas le pouvoir d'achat des Français”, rappelle-t-on.

»Avant de s'y résoudre, Nicolas Sarkozy a beaucoup hésité. Conscient de la popularité des thématiques environnementales dans l'opinion publique, il ne voulait en aucun cas s'attirer les foudres des Français en amputant leur pouvoir d'achat. En février dernier, il avait confié au Figaro qu'il appréciait surtout Nicolas Hulot pour son émission ‘Ushuaïa’, mais guère pour son aventure d'apprenti présidentiable. “C'est la dernière idée à la mode”, glissait-il ce jour-là, à propos de l'écologie.

»Mais la lecture des sondages et la conviction de certains de ses conseillers, comme sa directrice de cabinet, Emmanuelle Mignon, ont modifié son appréciation des enjeux du problème. Pendant la campagne, il osa même avancer, à propos du réchauffement climatique : “Je pense que l'humanité danse sur un volcan.” Une affirmation aux accents chiraquiens que n'aurait jamais lancée le même Nicolas Sarkozy deux ans plus tôt ! Le candidat Sarkozy a aussi vu dans le “créneau écolo”, pour reprendre une expression qu'il juge “la plus moche de la langue française”, un moyen idéal d'afficher ses divergences avec la Maison-Blanche. Pendant la campagne, il n'a pas manqué de déplorer le conservatisme de George Bush sur ce sujet. Et lors du G8 d'Heiligendamm, en juin, le président tout juste élu avait dit à plusieurs reprises tout le mal qu'il pensait du refus par Washington de signer les accords de Kyoto.»

Pour résumer d’une part et introduire une réflexion sur la substance d’autre part, on signalera deux interventions au cours de l’émission N’ayons pas peur des mots de Samuel Etienne, sur I-Télé, le 26 octobre.

• A propos de la conviction de Sarko sur cette affaire (y croit-il ou prend-il un engagement de circonstance, pour profiter de la popularité du thème?), l’ex-journaliste et conseiller en communications Jean-Luc Mano remarque que cela n’a aucune importance. Qu’il y croit ou pas, Sarko a lancé une machine et il va devoir la suivre, avec conviction ou pas qu’importe. Mano dit que l’événement marque la prise de conscience en France de la formidable gravité de la crise puisqu’il s’agit de la question centrale de notre survie.

• Le journaliste du Figaro Guillaume Perrault a plusieurs fois répété que l’écologie était aussi une valeur de droite, qu’il s’agissait d’une valeur conservatrice; que les décisions du “Grenelle de l’environnement” allaient ouvrir un débat au sein de la droite aussi; que les souverainistes, si faiblement représentés dans l’éventail politique, y trouveraient un terrain très favorable.

Danse sur un volcan

Sarko est passé du «L’écologie, c'est la dernière idée à la mode» de février dernier au «Je pense que l'humanité danse sur un volcan» de la campagne électorale (face-à-face avec Royal?). Mano a raison. Qu’il y ait ou non de la conviction là-dedans n’importe guère, sinon pour la chronique des midinettes; l’homme est irrésistiblement emporté par ce changement de perception, dès lors qu’il l’a entériné par le “Grenelle de l’environnement” et alors que les événements climatiques autant que sa popularité nouvelle dans ce domaine ne lui laisseront plus une seconde de répit dans ce sens. (Evidemment, l’époque est diablement maistrienne, les hommes emportés comme autant de fétus de paille par les événements, – car les événements sont gigantesques…)

Cela réglé, il est vrai que le premier intérêt de l’événement, en France, est d’impliquer la droite française, par le biais du Président et du reste, dans la bataille de l’environnement (thème encore plus vaste que la seule crise climatique, mais qui l’inclut évidemment), dans le sens de la “défense offensive” de l’environnement, c’est-à-dire dans le sens de la perception politique de la crise de l’environnement. Quelle importance, cette implication de la droite française, de cette façon politique, qui est celle que signale Perrault? Grande, très grande, parce qu’elle élargit nécessairement le débat au passé, et à un passé fécond et puissant.

Le paradoxe sur la droite et l'écologie est bâti sur des appréciations faussées. Faire du mouvement libéral qui est le grand instigateur inconscient de la catastrophe qui menace l’espèce un mouvement de droite est une idée typiquement moderniste. Le libéralisme poussé à son extrême comme il l’est est un mouvement déstructurant, absolument adversaire des racines historiques, des traditions comme garantes des structures de la civilisation. C’est la globalisation, qui détruit les racines, les identités et le passé. Quelle que soit l’étiquette dont on le couvre, il devrait apparaître évident que c’est un mouvement par essence adversaire de l’essentiel des valeurs traditionnelles de la droite. Par conséquent, Perrault a raison lorsqu’il insiste pour rappeler que la droite est de ce parti-là de l’écologie et de la protection (conservation) de l’environnement. Cela est largement évident dans la lecture de nombre d’anciens (la défense des Indiens d’Amérique du Nord face au progrès US que devine Chateaubriant, qu’on trouve dans les Mémoires d’outre-tombe, est de cette eau-là). La gauche moderniste – par opposition à une gauche traditionaliste, ou souverainiste, la gauche de Péguy puisque Péguy était à gauche autant qu’à droite, – la gauche moderniste qui a découvert l’écologie dans les années 1960 a parallèlement soutenu toutes les avancées de ce progrès qui est aujourd’hui directement mis en accusation par la catastrophe du cadre universel de l’espèce.

Cette confusion des origines nous conduit par ailleurs, après en avoir fait bon usage, à écarter les étiquettes “droite” et “gauche” pour les identités beaucoup plus fondamentales de la déstructuration contre les structures identitaires et historiques. On trouve évidemment cette opposition dans les débats anciens mais d’une actualité extraordinaire entre modernes et anti-modernes, notamment le courant de contestation de l’américanisation, en Europe, surtout en France, dans les années 1919-1934. L’idée de l’écologie est partout dans la bataille autour du machinisme. Dans son Entre les deux mondes, de 1913 (nous remontons encore plus loin), un livre de réflexions sous forme de dialogues, notre cher Guglielmo Ferreo rapporte cet échange entre sa femme (Gina Lombroso, auteur du formidable Rançon du machinisme dénonçant en 1931 l’américanisation et le machinisme au nom des traditions et de la vieille histoire européenne) et un personnage des dialogues, riche propriétaire argentin représentant le libéralisme, personnage moderniste et absolument fanatique de l’américanisme:

« — Ils produisent, c’est vrai, dit ma femme ; mais ils ravagent aussi. Il ne faut pas oublier que si nous sommes très riches, c’est parce qu’au lieu d’exploiter sagement l’Amérique nous mettons à sac ses mines, ses forêts, ses territoires. Nous faisons un épouvantable gaspillage de ce que les économistes appellent les “capitaux hédonistiques”, je veux dire les richesses naturelles qui ne se renouvellent pas.

» — Nous ravageons, nous ravageons ! C’est bientôt dit, madame. Et puis après ? Même en admettant que ce soit la vérité… non licet omnipuds adire Corinthum… Pardon. Je voulais dire: il n’est pas à la portée de tout le monde de ravager un continent… Nous saccageons les deux Amériques, c’est possible. Ajoutez encore (je n’ai pas peur de l’avouer) que nous saccageons les immenses territoires de la Russie; n’oubliez pas de dire non plus que, avec la grâce de Dieu, nous avons commencé à saccager l’Afrique, et que, dans l’avenir, nous la saccagerons de plus en plus. Tant mieux! Car, à force de saccager, nous devenons riches, entreprenants, intelligents, et nous progressons! Est-il vrai, ou non, qu’aujourd’hui nous sommes les maîtres, en gros, si vous voulez, mais, somme toute, les maîtres de la terre entière…?»

Ce dialogue pourrait être d’aujourd’hui et l’on devine qui dirait quoi. La bataille actuelle est à la fois actuelle et intemporelle.

Il est nécessaire qu’aujourd’hui, un débat comme celui de la crise climatique ramène à des interrogations fondamentales sur le sens politique des engagements des uns et des autres. Si la droite française, ou ce qui en fait figure, débat autour de l’écologie, il y aura bien des surprises dont cette même droite, enfermée dans ses réflexes pavloviens-libéraux appris de l’américanisme, fut bien privée. Cette privation remonte à la fin des débats signalés plus haut, au milieu des années 1930, avec l’imposition brutale et arbitraire dans les débats nationaux des idéologies (fascisme, communisme) qui privent les engagements de leurs nuances fondamentales et enferment dans des étiquettes faussaires. Les souverainistes (toutes étiquettes envolées, droite et gauche) ont une carte à jouer parce que c'est eux qui peuvent rétablir ce lien brisé avec le passé.

Si la France prend conscience de la gravité ontologique de la crise comme cela semble désormais possible, il y aura aussi des surprises, encore plus amples et plus fondamentales. La sensibilité française est la plus capable de saisir toute la mesure de l’enjeu puisque ce pays est à la pointe du développement technologique et moderniste, et pourtant le plus attaché à son passé d’une manière intellectuellement très structurée, avec une réelle philosophie pour justifier cet attachement. Les événements vont renforcer cette philosophie, qui implique la très forte vocation de la mesure et de l’équilibre, autant que la réflexion critique sur la légitimité des civilisations. (Effectivement, les catastrophes qu’est en train d’engendrer cette civilisation pose simplement la question de sa légitimité fondamentale au regard de l’équilibre et de la survivance de l’espèce.)

Au bout du compte et pour nous en tenir aux affaires terrestres, on sait bien que le débat autour de la crise climatique aboutit inéluctablement au débat sur le sens et la forme du progrès tel que nous le développons depuis plus de trois siècles. Nous en avons parlé ici et . Si ce débat devient public, sous la pression des événements (notamment environnementaux) et de l’évolution des psychologies, nous aurons droit à des explications fièvreuses.