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8 novembre 2002 — Parmi les commentaires que nous avons lus de l'élection américaine du 5 novembre, ressort certainement comme un des plus profonds et des plus brillants celui de Hugo Young, le 7 novembre dans le Guardian. Il confirme d'une certaine façon un autre article dont nous avions signalé l'intérêt, celui de Paul Krugman à la veille du scrutin.
Pour rappel : Krugman signalait la polarisation idéologique grandissante aux USA : « Of course, some pundits tell you that not much is at stake in this particular election, that the parties aren't really very different on the issues. I don't know what planet they are living on: in reality, the parties are further apart than they have been since the 1930's. The fact that anyone imagines otherwise is a tribute to the timidity of the Democrats, who are afraid to say what they really think, and the subterfuge of the Republicans, who show a disciplined willingness to pretend to hold positions they actually abhor. »
Ce que nous dit Hugo Young peut se résumer en quelques points :
• Le vote du 5 novembre a donné les mains libres au parti républicain dans tous les centres de pouvoir qui importent. (Outre la présidence et le Congrès, bientôt la Cour Suprême où des juges vont partir à la retraite. Ils seront remplacés par des magistrats républicains de tendance extrémiste.) L'importance de ce vote est essentiellement intérieure. Le parti républicain utilisera le blanc-seing dont il dispose désormais pour appliquer un programme de changement et de réforme complètement radicales.
« Even if the process was messy, the outcome is unambiguous. Now that he controls all the political institutions — House, Senate, White House — Bush can move to infiltrate the judiciary. Dozens of conservative federal judges with lifetime tenure await confirmation they can now expect to get. This will permanently reorient constitutional trends. The slashing of forests and the drilling of wilderness, by timber and oil interests newly let loose, will be still less reversible. The rich men's tax cuts of 2001 will be secured against revision, and other tax cuts added. The 40 million Americans without health insurance can expect to remain that way. Axioms of inequality will be engraved deeper into the pillars of American society. »
• Ce programme ne peut en aucun cas être suivi par aucun parti conservateur européen, au premier rang desquels le parti conservateur britannique, en pleine crise avec un leader (Ian Duncan-Smith) totalement désavoué alors qu'il avait pensé pouvoir remettre le parti à flot en suivant la voie ouverte par GW Bush. «
• Mais la conséquence extérieure de ce vote américain et ce qui s'ensuivra est beaucoup plus grave. Hugo Young estime que la distance sociale et culturale qui existait entre l'Europe et les USA va désormais s'accentuer à très grande vitesse. Il s'agit par conséquence d'une rupture sociale et culturelle.
« The mid-term elections, therefore, lock the America-Europe divide more firmly into place. They define a society, more starkly than at any time in 50 years, that's trending in a different direction. [...] From east to west, in several unexpected places, sometimes marginally but always decisively, American voters have made a statement that separates them from most other mature societies. »
• Pour l'Europe, conclut Hugo Young, et pour le Royaume-Uni, la leçon est particulièrement déstabilisante et grave.
« This was the week, however, when the US declared itself a different country. That's what will leave a historic mark. The capture of the Senate makes possible the advance of materialistic individualism on many fronts. State and community are in retreat. Corporate power, instead of being shamed by its recent crimes, can be expected to advance. This is the Republican way, which America has now undeniably endorsed. A truism often heard is that what happens in California today will quickly reach New York. Its sub-clause says that the political economy of the US will sooner or later make its way east to Europe. The 21st century is beginning quite differently. »
C'est pourquoi nous parlons de “révolution culturelle”, mais sans tambours ni trompettes sur la forme, sauf pour des observateurs comme Hugo Young. De plus en plus, l'Europe se trouve prise entre des engagements politiques et stratégiques qui rendent compte de ses relations passées avec les USA, et peut-être des illusions concernant ces relations passées avec les USA, et d'autre part une réalité qui s'impose à une vitesse extraordinaire, de l'installation d'un système et de conceptions qui lui sont totalement étrangères. Ce n'est même plus de l'unilatéralisme. Les USA sont désormais « a different country », après une décision « that separates them from most other mature societies » Il sera difficile de passer tout cela sous silence, malgré la crainte de nos élites d'être soupçonnées d'“antiaméricanisme”.
Un dernier point en forme d'interrogation, — le point d'interrogation de la situation américaine. Personne ne nie que ce vote du 5 novembre, quoiqu'il entraîne comme changements, a aussi confirmé que ce pays reste divisé à 50-50. Cela signifie que la moitié des USA n'a plus de représentation politique. Comment s'exprimera cette moitié et comment supportera-t-elle un programme qui est l'exact contraire de ce qu'elle réclame ?