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170014 novembre 2007 — Nos lecteurs nous pardonneront de réagir si tardivement mais l’affaire vaut d’en parler. Il s’agit de Ron Paul et de ses formidables $4,2 millions récoltés par donations sur Internet le 5 novembre, en un seul jour. Une dépêche de Fox News du 6 novembre nous apprenait que cette formidable rentrée d’argent a été suscitée par des partisans anonymes de Ron Paul, à l’occasion du “Guy Hawkes Day” et par référence au film V For Vendetta.
«Paul, the Texas congressman with a libertarian tilt and an out-of-Iraq pitch, entered heady fundraising territory with a surge of Web-based giving tied to the commemoration of Guy Fawkes Day.
»Fawkes was a British mercenary who failed in his attempt to kill King James I on Nov. 5, 1605. He also was the model for the protagonist in the movie “V for Vendetta.” Paul backers motivated donors on the Internet with mashed-up clips of the film on the online video site YouTube as well as the Guy Fawkes Day refrain: “Remember, remember the 5th of November.”»
La réaction de Ron Paul a montré une surprise extrême et ravie: «It is amazing, it's even surprising to me, but it's of course very pleasant to know that people are spontaneously coming to us because it was not organized by the campaign. I have not yet talked to or met the individual that organized this, but yesterday's day's fundraising was all done on the Internet and it was all done spontaneously, so something significant must be going on out there in the countryside.»
Passons une petite décade plus tard. Une chronique de Justin Raimundo détaille et comptabilise aujourd’hui la levée de boucliers en train de se faire contre Ron Paul, à droite comme à gauche. C’est sans aucun doute le signe de la peur panique s’emparant de l’establishment, également dans le chef de certains commentateurs à la marge de l’establishment qui privilégient la critique idéologique. Tout ce monde-là, de la droite néo-conservatrice à la gauche idéologiquement stricte et marquée font de Ron Paul un fasciste, un anarchiste, un partisan des terroristes, un gauchiste, une sorte d’Hitler, – au choix.
Ron Paul a désormais pris place dans l’histoire du système comme un phénomène très intéressant. La bataille qui se déroule aux USA ressemble comme deux gouttes d’eau à celle qui opposa, au printemps 2005, le bon peuple de France et l’establishment parisien, les partisans du “non” contre les partisans du “oui”. Aux USA, c’est également le peuple contre les élites, Ron Paul servant d’arme contre les élites. Il y a une globalisation de l’affrontement, avec ses batailles qui n’ont plus aucun rapport avec l’idéologie, la droite, la gauche et ainsi de suite. C’est une bataille entre les forces structurantes et les forces déstructurantes, dans lesquelles les élites, les forces économiques, les citoyens, les communautés et les nations jouent leur rôle qui est de servir d'outils aux forces en action. L’important est de s’y retrouver en abandonnant l’habituel réflexe de lire les étiquettes convenues et d’un autre temps, qui subsistent aujourd'hui pour s'y reconnaître faussement et tromper son monde.
Qu’importe le programme de Ron Paul, – même s’il est intéressant à bien des égards, – il se fait que l'homme politique texan est aujourd’hui embarqué dans l’immense bataille qui déchire notre civilisation. Chacun de ces épisodes ayant ses particularités, nous nous attachons à celle qui, dans le cas de Ron Paul, est apparue le 5 novembre, le “Guy Hawkes Day”. Nous revenons à l’entame de notre propos.
On connaît l’aventure de V For Vendetta, film récemment sorti, s’inspirant d’une bande dessinée fameuse, figurant une Angleterre tombée dans une société correspondant à notre système virtualiste actuelle, caractérisée par le mot “dystopie” (antithèse d’utopie, – William Pfaff utilisait récemment le concept). Quel que soit son contenu idéologique, d’ailleurs extrêmement vague et présenté plutôt d’une manière symbolique, V For Vendetta a été perçu comme une critique radicale du système en place aujourd’hui, – le système mécaniste, nihiliste, américaniste. Le film a lui-même pris valeur de symbole. La journée du 5 novembre et les réactions de 37.000 donateurs en faveur de Ron Paul montrent que le symbole est en train d’être transféré sur Ron Paul.
C’est une évolution pleine d’enseignement. Ron Paul est un tranquille docteur gynécologue, spécialisé dans l’obstétrique (4.000 accouchements), âgé de 72 ans (né le 20 août 1935); son âge canonique, qui serait un handicap fatal pour tout autre candidat, ne semble intéresser personne dans la fièvre qui l’entoure. Ce vieux docteur tranquille, libertarien américain classique, est en train d’émerger comme une terreur, un dynamiteur de l’establishment grâce à deux moyens d’action authentiquement postmoderne:
• Internet, bien entendu, système mis en place pour accélérer la diffusion et la propagation pandémique des thèses et moyens de la globalisation, que ce soit du point de vue économique et du point de vue idéologique; qui s’avère être devenu le principal instrument d’opposition, et, dans le chef de Ron Paul, le seul instrument de promotion et de financement d’une candidature inacceptable et inadmissible pour l’establishment. Cet aspect du succès de Ron Paul est déjà largement documenté.
• La “symbolisation” de la politique, notamment par des références à des événements souvent imaginaires ou fictionnels intervenus hors du champ politique (même s’ils ont des intentions politiques), avec une très forte influence psychologique et de culture de masse. Cette “symbolisation” était également censée être un instrument au service des conceptions postmodernes, notamment pour les techniques publicitaires, de relations publiques, ou de moralisme publicitaire type-BHL héritées de mai 68. L'avantage est qu’en “symbolisant” on s’en tient à des schémas sommaires permettant les déformations utiles et on se garde d’investiguer le fond des politiques fondamentales. L’affaire Ron Paul-V For Vendetta montre que la technique se retourne contre ceux qui l’ont mise en scène et exploitée à l’origine. Peu importe le programme Ron Paul, son appartenance politique; importe seulement que l’homme est fait symbole de la candidature anti-système par excellence, absolument V For Vendetta. Même processus qu’avec Internet, même mise en évidence de la possibilité d’exploitation des armes du système contre le système. C’est l’application à la situation intérieure du système du fameux “effet-blowback” si souvent évoqué pour la CIA (sorte d’“effet-boomerang”, induisant des conséquences indirectes désastreuses d’opérations clandestines et illégales montées par la CIA).
Que va faire Ron Paul? Les deux risques de cette sorte d’aventure, pour ceux qui s’y trouvent engagés, sont d’une part d’être dépassé par elle, d’autre part d’être enivré par elle. Jusqu’ici, Ron Paul a montré une mesure et une tranquillité dignes d’éloge. Il poursuit sa campagne avec opiniâtreté mais refuse de s’embarquer dans les structures habituelles du système (experts, stratèges électoraux, conseillers, publicitaires, RP, etc.) qui investissent comme des mouches le miel (ou autre chose) tout candidat qui commence à rassembler succès populaire et soutien financier à mesure. Il semble avoir compris précisément ce qu’est cette véritable peste, ce système de promotion, de relations publiques et de publicité qui contribue à construire un virtualisme où l’on est prisonnier d’une grossière vision moraliste et de corruption absolue, vénale et psychologique. So far, so good.
Pour le reste, pour la suite, on verra. S’il maintient ce rythme, sans la moindre chance (plus que jamais) d’être désigné comme candidat républicain, si le public l’identifie de plus en plus à V For Vendetta et en fait un Robin des Bois internaute et postmoderne, comme c’est tout à fait possible sinon probable, Ron Paul nous apparaît (plus que jamais, là aussi) inéluctablement promis à choisir d’être candidat indépendant. D’ores et déjà, on peut être assuré que l’année électorale 2008 sera agitée et pleine de surprise. Il est hors de question pour le système d’accepter un Ron Paul président. Mais il y a beaucoup d’événements, depuis le 11 septembre 2001, qu’il était hors de question pour le système d’accepter, et qui se sont imposés. A partir de là, affûtez vos hypothèses, éventuellement comme certains doivent affûter les perspectives les plus extrêmes. Certes, on peut choisir les moyens les plus extrêmes, le système n’a pas froid aux yeux à cet égard; mais une quelconque agression brutale contre un candidat dans la situation de Ron Paul risque d’amener l’un ou l’autre “effet-blowback”, du type “remède pire que le mal”.
Dans tous les cas, Ron Paul a d’ores et déjà bien mérité de la résistance contre le système. (On comprend effectivement que l’essentiel pour l’instant n’est pas le destin politique de sa candidature, mais que sa candidature existe, qu’elle suscite un tel engouement et qu’elle provoque un tel désordre; et, surtout, l’essentiel est qu’elle nous démontre le formidable isolement du système et de ses élites par rapport à la population qu’ils sont censés conduire.) Quel que soit le destin de Ron Paul, l’homme a déjà marqué une avancée significative de la résistance contre le système ; qu’il l’ait voulu ou pas, qu’il l’ait calculé ou non, tout cela n’importe en rien.
Voici l’essentiel pour l’instant… V For Vendetta transcrit dans la réalité, avec Ron Paul mobilisé pour en être le héros, – qui dira encore que nous ne sommes pas dans une époque “maistrienne”?
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