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232116 novembre 2007 — Le jeu de mot est tentant, à cause d’une certaine similitude des noms: à l’antique “victoire à la Pyrrhus” correspond aujourd’hui la postmoderne “victoire à la Petraeus”. Nous avons fait des progrès très très nombreux et somptueusement postmodernes car la “victoire à la Petraeus” vaut largement l’autre, elle la dépasse, elle la pulvérise dans sa signification et dans ses effets.
Le “surge” de janvier 2007 semble réussir, – non, il réussit!, clament tous les partisans humanistes, néo-conservateurs et américanistes de la guerre à outrance. Et de citer les résultats des pertes et des incidents de ces derniers mois, en décrue régulière et significative. Miracle des miracles, grâce à saint-Petraeus descendu de l’Olympe pentagonesque pour régler ce problème irakien qui, il faut l’avouer, devenait irritant.
Et puis, il y a les contestataires, les jamais-contents, les grognards du défaitisme. Ils se retrouvent sur un article du Guardian publié le 10 novembre de Ghaith Abdul-Ahad. Nous citons cet extrait qui parle de la stratégie appliquée par saint-Petraeus.
«It is a strategy that has worked well for the Americans, on paper at least. This week, the US military claimed it had forced the extremist group al-Qaida in Mesopotamia out of Baghdad altogether, and cut the number of murders in the city by 80%. Major General Joseph Fil, commander of US forces in Baghdad, said: “The Iraqi people have decided that they've had it up to here with violence.”
»Critics of the plan say they are simply creating powerful new strongmen who run their own prisons and armies, and who eventually will turn on each other.
»A senior Sunni sheikh, whose tribe is joining the new alliance with the Americans against al-Qaida, told me in Beirut that it was a simple equation for him. “It's just a way to get arms, and to be a legalised security force to be able to stand against Shia militias and to prevent the Iraqi army and police from entering their areas,” he said.
»“The Americans lost hope with an Iraqi government that is both sectarian and dominated by militias, so they are paying for locals to fight al-Qaida. It will create a series of warlords.
»“It's like someone who brought cats to fight rats, found himself with too many cats and brought dogs to fight the cats. Now they need elephants.”»
Le succès de référence de cet article est remarquable. Nous l’avons trouvé en citation à trois reprises, dans trois articles de trois auteurs respectables, qui le présentent comme une impeccable démonstration de la stratégie appliquée par les USA en Irak pour faire taire le bruit, la fureur et le sang, et laisser faire sans trop de bruit, pour le repos des illusions de GW et la foire électoraliste de Washington, et préparer discrètement des lendemains apocalyptiques dont on se tirera sur la pointe des pieds en disant que cette victoire-là méritait bien qu'on fît cette guerre-là.
• Steve C. Clemons, se référant au site Nir Rosen, écrit le 10 novembre, à propos de l’article du Guardian:
«This article is a must-read according to my friend Nir Rosen on what illusory American success in Iraq is based on.
»I find these quotes from the piece illuminating:
»“The Americans lost hope with an Iraqi government that is both sectarian and dominated by militias, so they are paying for locals to fight al-Qaida. It will create a series of warlords.
»“It's like someone who brought cats to fight rats, found himself with too many cats and brought dogs to fight the cats. Now they need elephants.”»
• Le 14 novembre, sur son site WilliamPfaff.com, on trouve dans l’article «Britain, Germany, France and America's Post-Colonial Wars» de William Pfaff ce passage:
«The U.S. Embassy and coalition military command in Baghdad still insist they are preparing Iraqi patriots for representative government, but it is another reality on the ground. One of the Sunni groups now allied with the U.S. army to fight the self-appointed “al Qaeda in Mesopotamia” is described by a report in the November 10 London Guardian. It is a former insurgent warlord’s band, now paid $400 per warrior to keep al Qaeda out of the Ameriya district of West Baghdad. It is a success, having begun by assassinating all the al Qaeda leaders.
»Its chief now controls patronage in the district, and keeps out the Shia-controlled police and army as well. He has on his wall a picture of himself with General David Petraeus. His American military sponsors call him and his followers “concerned citizens” – possibly a case of the old American irony, but these days, and with this administration in Washington, more likely to be spin meant for humorless reporters and American voters.
»In any event, what is happening in Ameriyua in West Baghdad is what the British have done in Basra, except that the British are leaving Iraq and the Americans are not. It is the same thing happening elsewhere as the natural forces of localism and tribalism, and the equally natural development of warlordism and banditry, reestablish order – or a form of order – in war-stricken Iraq.»
• Hier, 15 novembre, on trouvait dans l’article « What Does Iraq's “Good News” Really Mean?» de Khody Akhavi, sur Antiwar.com, ce passage:
«While the strategy has played out well on paper, the tactics of reconciliation are not without their consequences. The new alliances are comprised of political actors who, until fairly recently, fought US troops, and there remains the concern that, by allying with Sunni insurgent groups to fight al-Qaeda, the US is unwittingly arming groups for possible sectarian conflicts in the future.
»A recent Guardian newspaper profile on one of the US-sponsored “Ameriya Knights,” Abu Abed, is illuminating. Abed is one of a new breed of Sunni warlords who are being paid by the US to fight al-Qaeda in Iraq. While he is crucial to the US strategy, his methods – summary beatings and imprisonments – exhibit all the signs of petty criminality.
»“The Americans lost hope with an Iraqi government that is both sectarian and dominated by militias, so they are paying for locals to fight al-Qaeda. It will create a series of warlords,” said a senior Sunni sheikh, according to the report.
»“It's like someone who brought cats to fight rats, found himself with too many cats and brought dogs to fight the cats. Now they need elephants.”»
Certains connaisseurs de la G4G vont jusqu’à proclamer (depuis récemment, on comprend pourquoi): “Money is the ultimate weapon of the 4GW” (dito, pour vaincre les sauvages adeptes de la G4G). C’est une thèse séduisante mais c’est une thèse coûteuse, et pas seulement en dollars, – parce que c’est une thèse qui confond allègrement les moyens et la fin, jusqu’à ignorer la substance des choses.
(“Money is the ultimate weapon…”, dans tous les cas les Américains ne l’ont jamais ignoré. Ils s’y sont mis aussitôt comme l’on sait. Dès l’invasion de l’Irak, en mars-avril 2003, ils avaient “acheté” un certain nombre de généraux de la Garde Républicaine de Saddam. On dit également que Petraeus lorsqu’il prit son commandement en janvier 2007 disposait d’une ligne de crédit de $1-$2 milliards pour “les commissions et autre stuff” (la corruption). Pas cher payé pour une guerre de $3.500 milliards. On découvrira vite, effectivement, que la colonne vertébrale du “surge” de janvier 2007 est bien le fric. On se demande quelle décoration, avec l’aigle de la Grande République tenant dans ses serres terribles le sigle $ en forme d'éclairs sans doute, marquera cette victorieuse campagne de janvier 2007.)
Ce qui est fait en Irak aujourd’hui est l’ultime pas de l’Irak-selon-les-Américains (formule extensible à d’autres pays, bien entendu), c’est-à-dire l’Irak vers le chaos. C’est le chaos initial dompté, avec le marché mis en mains aux fauteurs/victimes du chaos, les bandes, les tribus, les potentats locaux, les ex-Al Qaïdas reconvertis, etc.: nous vous donnons les moyens de vous organiser, pour mieux “organiser” le chaos à votre avantage. La “victoire à la Petraeus” est une façon de brûler les étapes vers l’état de chaos complet qui achève la destruction de toutes les structures souveraines, l’Etat, le bien public, etc.; une façon de passer directement de l’Irak-nation à la parcellisation, en brûlant l’étape de la partition. Bravo! devraient dire les adeptes de la “creative destruction”. Ils sont ainsi plus que jamais virtualistes; quant à leur perspicacité, on verra plus tard…
Le résultat n’est pas une terre idéale pour le libre-échange, la corruption capitaliste et ainsi de suite. Le résultat est la fin de toute espèce d’espoir d’organiser quoi que ce soit, y compris un marché libre pour la corruption et les bénéfices à l’occidentale. Ce n’est pas demain la veille qu’on verra en Irak une exploitation avantageuse et juteuse des pétroles irakiens, malgré toutes les bases que l’US Army pourra établir en Irak, et l’ambassade monstrueuse qui domine le tout. C’est la fin de tout espoir d’occidentalisation-globalisation de l’Irak, – ou bien est-ce la révélation de la véritable formule de l'occidentalisation-globalisation? Désormais le pétrole sera contrôlé indirectement par des bandes. Ce contrôle ressemblera à celui de l’alcool par les gangs type-Capone durant la prohibition. C’est en effet une sorte d’ordre, comme les USA ont l’habitude, que toutes leurs structures favorisent. C’est une organisation type “Under World”, ou Cosa Nostra (nom que se donnait cette organisation, comme équivalente US de la Mafia sicilienne), ou “crime organisé”, ou “Syndicat du crime”, etc. On sait que Cosa Nostra organisa les grandes villes US en “familles” à partir des années 1930, sous la direction de Charles Lucky Luciano (qui collabora avec les forces US à la fin de la guerre pour le contrôle de la Sicile puis de l’Italie). Ces gangs, où régnaient ordre et hiérarchie, contrôlaient toutes les grandes activités illégales du crime (rackett, prostitution, drogue, trafic d’alcool, d’armes, etc.); ils n’admettaient pas de liquidations en-dehors de leurs équipes de tueurs, ni d’empiétements territoriaux, etc. Le modèle fait florès. L’Irak deviendra une sorte d’Irak-Cosa Nostra.
La déstructuration atteint son stade ultime en Irak. C’est pour cette raison qu’une mécanique s’est mise en marche, comme si la déstructuration avait compris qu’elle pouvait passer au stade supérieur, le compte de l'Irak étant réglé. Des événements plus ambitieux s’organisent: les projets de la Turquie de frappe puis d’invasion de la région kurde d’Irak, l’embrasement en cours du Pakistan, etc. La déstructuration prend ses aises mais elle se révèle évidemment ennemie féroce des envahisseurs occidentaux. Comme si la G4G atteignait son ultime stade: retourner contre le “déstructurateur” (terme à adopter et à conserver) sa propre arme de la déstructuration.
Que l’argent et la corruption soient l’instrument de tout cela, qui peut s’en étonner? La “victoire à la Petraeus” est exactement à l’image de ce système, de cet artefact de nation (la grande République), de cette modernité fardée comme une fille pour faire croire aux derniers sursauts de sa jeunesse, de cette civilisation monstrueuse et finissante. Ainsi soit-il.
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