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3 décembre 2007 — On avait annoncé la résolution affirmée de Hollywood de représenter, au travers de plusieurs films, la réalité épouvantable de la guerre en Irak. Il y avait même eu des déclarations, notamment celles du réalisateur Brian de Palma (auteur d’un de ces films), présentant ces films comme une démarche délibérée de déconstruire la réalité virtualiste de la guerre construite par l’administration GW, pour la remplacer par la réalité. Hollywood jouait absolument à contre-emploi, l’“usine à rêves” devenant l’“usine pour sortir du rêve”. C’est un échec complet (financier s’entend, ce qui est fort proche de l’essentiel pour Hollywood et tout le reste).
Il nous semble qu’on puisse affirmer qu’en aucun cas la qualité des films puisse être une cause de cet échec. Ces films ont été projetés, visionnés en Europe, certains ont été distingués d’une façon ou l’autre dans diverses manifestations. Leur échec si complet n’a rien à voir avec leur qualité cinématographique, tout avec leur signification politique.
Plusieurs rapports sur cette situation ont déjà été faits. Ce 2 décembre, The Observer s’y attache à son tour. La sanction est évidente.
«Americans may be divided on many subjects but they seem to agree on one thing: they will not buy tickets to see this year's crop of war films. Rarely have film critics and moviegoers, conservatives and liberals, been in such agreement - the big-screen lecturing that underscores Hollywood's approach to Iraq war-related films has rendered this crop of multimillion-dollar movies with top-star casts a critical and financial flop.
»Oscar-winning director Paul Haggis's In the Valley of Elah, about a father investigating the death of his son in Iraq, has taken just $6.5m in two months; the political drama Lambs for Lions starring Tom Cruise and Meryl Streep, and directed by Robert Redford, has been called 'the most inert, predictable and unnecessary political film this year'; Rendition, starring Reese Witherspoon and Jake Gyllenhaal, a $50m thriller, has taken less than $10m since it was released in October.
»Even films that are not war-themed but touch on Middle East issues have suffered. The Kingdom, starring Jamie Foxx and Jennifer Garner, about an FBI squad targeting Saudi terrorists, has made less than $7 million. Prospects for Brian De Palma's Redacted, on general release in the US this weekend, look similarly dire.
»Critic Michael Medved said “it could be the worst movie I've ever seen”, but Bill O'Reilly, the Fox News pundit, went much further by urging filmgoers to boycott it. He called it “vile” and warned that it could get American troops killed. Filmgoers have delivered their own verdict: on limited release to 15 cities last weekend, Redacted took $25,000 at the box office. The story about the rape and murder of an Iraqi girl by US troops appeals neither to conservatives nor to liberals, who say it is bad movie but good propaganda.»
Pour mieux préparer et documenter notre propos de commentaire, il nous a paru intéressant de compléter ces nouvelles de “Hollywood-la-subversive” par une autre référence, à un sondage Associated Press-Yahoo! qui a eu lieu du 2 au 12 novembre. Les résultats et les commentaires en sont rapportés par AP-Yahoo! le 25 novembre.
L’un des résultats de ce sondage est classique puisqu’il s’agit du jugement très pessimiste, courant aujourd'hui, que le pays, l’Amérique, est, selon l’expression consacrée, “sur une mauvaise voie”. (S'y ajoute l'espoir, qu'on peut juger fallacieux mais qui n'illustre aucun déviation psychologique, que l’on espère que l’élection de 2008 pourra y mettre bon ordre): «There is a widespread unease—shared by 77 percent—that the country has meandered off in the wrong direction. Nearly all Democrats and more than six in 10 Republicans think the country has taken the wrong course. And although almost half express interest and hope in the upcoming elections, a third voice frustration—particularly Republicans.»
Pourtant, à côté de ce mécontentement sans surprise, on trouve, au niveau personnel une satisfaction assez répandue des personnes interrogées pour leur sort personnel. L’idée est reprise par le texte («Happy in their personal lives, Americans worry about country») et exposée sous forme anecdotique dans les trois premiers paragraphes.
«Julie Murray says life is good. Yet gasoline prices are crimping her grocery budget, she can't afford a larger house, and she says President Bush is not focused enough on people's problems at home.
»“My husband and I are happy,” said Murray, 46, a homemaker from Montpelier, Miss. “We just wish we could buy more into the American dream.”
»Like Murray, most in the U.S. say they are personally happy and feel in control of their lives and finances, according to an extensive Associated Press-Yahoo! News survey on the mood of voters. Beneath the surface, though, personal and political discontent is bubbling.»
C’est évidemment ce contraste significatif et peut-être étrange qui retient notre attention dans cette enquête d’opinion. Il ne semble y avoir qu’un rapport très ténu entre la situation de la nation et les situations personnelles des gens interrogés.
Nous plaçons en parallèle d’équivalence ces deux constats :
• D’une part, une majorité d’Américains qui sont contre la guerre en Irak telle qu’elle se déroule aujourd’hui et qui manifestent un désintérêt profond, un rejet de toute représentation de cette guerre. On lui préfère, signale le texte, des films faussaires à la gloire des USA libérateurs.
• D’autre part, des Américains ultra-majoritairement pessimistes sur l’avenir du pays, contre le système, etc., et pourtant qui se jugent heureux, qui vont même jusqu’à se référer à cet icône de la pensée virtualiste optimiste qu’est l’American Dream («We just wish we could buy more into the American dream.»)
Nous tentons d’interpréter ces diverses situations en prenant une approche “majoritaire”. Il est évident que nombre d’Américains échappent à ce classement et à cette explication que nous proposons. Nous tentons d’esquisser des traits psychologiques majoritaires, – car il s’agit bien entendu de psychologie, – affectant de façon irrésistible une partie importante (majoritaire) de la population, la plus dépolitisée, la plus inculte, la moins inclinée à apprécier les conditions de vie actuelles d’une façon critique.
Nous voyons dans ces comportements qui ne sont paradoxaux qu’en apparence l’extrémité de l’individualisme où le système a conduit les citoyens, et le trait psychologique de l’inculpabilité tel que nous l’avons défini.
Le sort des films hollywoodiens sur l’Irak semble montrer que nombre des citoyens US qui sont défavorables à la guerre refusent d’en connaître les conditions. Ils sont donc défavorables à la guerre plus parce qu’elle a mal tourné qu’à cause de la guerre elle-même, essentiellement parce qu’elle pourrait leur donner dans ces conditions un sentiment individuel de culpabilité que leur trait d’inculpabilité repousse absolument. Ils ne sont pas intéressés par les réalités de cette guerre (puisque c’est bien ainsi que les films d’Hollywood sur le sujet ont été présentés). Cette tendance est complètement soutenue par les médias et les critiques MSM, qui condamnent ces films plus en raison du sujet et du traitement du sujet qu’à cause de leurs qualités ou de leur absence de qualité (à moins que le refus de prendre en compte le virtualisme mensonger représentant la guerre soit une absence de qualité). Les jugements les plus extrêmes de critiques populaires de la droite extrémistes vont de «it could be the worst movie I've ever seen» jusqu’à l’accusation d’une responsabilité de ces films dans la mort de soldats US.
Le sondage AP-Yahoo! complète ce tableau en constatant que les citoyens US ne se sentent ni solidaires du système américaniste, ni liés à ce système, ni victimes ou complices de ce système. Leur individualisme est tel que les liens avec la vie politique collective sont rompus les uns après les autres. On attend certes des résultats importants de l’élection présidentielle, mais on les regarde souvent comme on regarde une compétition sportive, sans le moindre sens de la tragédie (et de ses conséquences) que constitue la décadence du système et dans laquelle on serait engagés, victimes ou complices. (Ce sentiment de détachement existe chez les démocrates surtout: «More Democrats than Republicans say the 2008 contest is unusually important, and they are likelier to describe themselves as excited, interested and hopeful.»)
Dans tous les cas, nous sommes conduits au constat de l’extraordinaire efficacité du virtualisme aux USA dans la mesure où il correspond parfaitement au trait d’inculpabilité de la psychologie américaniste, où il l’accentue, – dans le sens où le virtualisme n’agit pas comme propagande (sur l’opinion) mais sur la psychologie. C'est la définition fondamentale du virtualisme par opposition à la propagande. Le virtualisme doit être défini par ses effets sur le processus psychologie conduisant au jugement et non sur le jugement lui-même.) C’est une circonstance extraordinaire dans la mesure où un trait d’une psychologie collective très particulière, se déplaçant dans une univers représentatif étranger à la réalité et donc définissant un destin collectif très spécifique aboutit à l’accentuation de l’individualisme et à l’approfondissement de la rupture avec le destin collectif…
(Mais encore faut-il voir si l’on peut parler de “destin collectif” avec les USA, et c’est la question essentielle que pose ce gigantesque artefact historique. L’Amérique peut-elle être considérée comme une nation au sens historique et spirituel du terme, et ainsi arguer d’un destin collectif fondamental? On n’oubliera pas que la question de “l’âme de l’Amérique” [l’Amérique en tant que nation] était posée et débattue avec grand pessimisme par nombre d’essayistes et d'intellectuels et européens dans les années 1920, pour aboutir le plus souvent à une réponse négative. Dans sa Psychanalyse de l’Amérique, Keyserling jugeait que l’Amérique ne s’était pas encore forgée une âme mais qu’elle était sans doute sur la voie de le faire. Cela était écrit en 1927. Puis il y eut le choc de la Grande Dépression qui dispersa les fondements de cette prévision. Plutôt que lui “forger une âme”, cet immense choc divisa irrémédiablement l’Amérique, notamment au travers du remède qu’appliqua Roosevelt. [Un gouvernement au pouvoir très étendu, un interventionnisme public.])
Ces réactions des citoyens US obscurcissent encore plus l’avenir quant à l’évolution de la situation selon d’éventuels événements graves ou déstabilisants. Les attitudes décrites montrent un refus complet de la réalité. A cet égard, le virtualisme a bien fonctionné, mais peut-être un peu trop bien. Les réactions d’une population refusant si complètement la réalité devant l’évolution d’un système qui fait de même sont absolument imprévisibles, d’autant que ce refus commun de la réalité (de la population et du système) ne garantit absolument des réactions similaires mais introduit un élément de formidable instabilité puisque chacun s’accorde du virtualisme-à-la-place-de-la-réalité selon ses perceptions, ses intérêts, ses frustrations propres.
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