Hillary-la-Forteresse

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Hillary-la-Forteresse


6 décembre 2007 — Travaillant comme d’habitude “en équipe”, le Financial Times (FT) et le commissaire européen pour le commerce Peter Mandelson expriment la même inquiétude angoissée, la même indignation furieuse, après l’interview de Hillary Clinton dans le même FT, le 3 décembre. Le FT titre son éditorial du 4 décembre: «Hillary Clinton is wrong on trade». Le 5 décembre, Peter Mandelson qualifie les déclarations de Clinton de «disappointing sign of the times». Ces termes mesurés montrent effectivement l’inquiétude angoissée, l’indignation furieuse et la coordination des déclarations du FT et de Mandelson, pour exprimer un sentiment de panique qui commence à gagner les milieux ultra-libéraux anglo-saxons, – en d’autres termes, le centre inspirateur de la globalisation du monde. Les USA, eux, en sont le moteur irrésistible. Si le moteur embraye et s’élance dans une autre direction, que reste-t-il de nous?

Quelques points évidents:

• Jusqu’à nouvel ordre et en faisant l’hypothèse que les choses se déroulent aux USA dans un certain ordre malgré la tempête générale qu’on y observe, Hillary Clinton a toutes les chances d’être désignée candidate démocrate et de l’emporter en novembre 2008.

• L’actuelle administration, paralysée par sa folie néo-conservatrice et la position d’incroyable faiblesse où la débâcle de ses dernières années l’a mise, est aujourd’hui impuissante à soutenir la politique générale de globalisation.

• La nouvelle présidente “quasiment-élue” est donc attendue comme celle qui va remettre en marche la machine grippée de la globalisation. En effet, les milieux qui animent la globalisation, et le couple FT-Mandelson en l’occurrence, ne voient pas d’autre issue à la crise du monde que la relance de cette globalisation dont il peut être aisément démontré qu’elle en est la cause principale. Logique inattaquable, indeed.

…Pour cette raison, l’interview d’Hillary, où le FT avait mis un grand espoir d’un signe enfin positif de relance du processus, est venue comme un choc au moins aussi fort que la NIE 2007 pour les partisans de l’attaque de l’Iran.

L’éditorial du FT du 4 décembre suffit pour décrire le malheur où se trouvent aujourd’hui le camp de la globalisation où campe le couple FT-Mandelson. Au coeur de la crise qui se développe partout, la candidate démocrate qu’on espérait potentiellement la plus favorable au libre-échange Puisque l'on supposait qu’elle aurait choisi la même orientation que celle de son mari dans les années 1990, proclame au contraire : “le feu est à la maison, je préfère appeler le pompier disponible plutôt que de l’alimenter”. En d’autres mots, même si le mot n’est pas dit: le protectionnisme, nom affectueux donné au pompier de service. (Ne craignez rien, on trouvera bien un mot qui fâche moins: de “néo-protectionnisme” , de “nationalisme économique” ou “patriotisme économique” à-la-Villepin-Sarko, au fair trade pour garde une effluve de free trade, le catalogue est fourni.)

Voici quelques passages de l’éditorial du FT qui, malgré la mesure des termes employés, dissimule bien mal l’extrême anxiété qui le caractérise. Si le prochain président des USA est bien une présidente, Hillary en l’occurrence, le mouvement contre la globalisation déjà bien entamé va accélérer et devenir absolument irrésistible.

«“I agree with Paul Samuelson, the very famous economist, who has recently spoken and written about how comparative advantage, as it is classically understood, may not be descriptive of the 21st century economy.”

»That was Hillary Clinton telling us in an interview published yesterday why she wants a “time-out” on trade liberalisation. This pause ought to apply, she said, not just to the bilateral deals she has already questioned, but to the Doha round of multilateral trade talks as well. “[S]pecifically with Doha and with these large global agreements, again we have to see what works and what doesn't.”

«Even with forthright US leadership, the prospects for the Doha round are poor. Without it, they are nil. What a sad prospect, that under a new Clinton presidency the Doha round might fail because of American disenchantment with trade – and that one of the great economists of the 20th century, who has taught generations of students why trade is good, should be invoked to sanctify that disaster.

(…)

»Like the other Democratic presidential candidates, Mrs Clinton is making “economic anxiety” a main theme of her campaign. That is good politics, especially with the economy slowing – and measures to assuage the concerns of middle America are warranted. Of these, universal healthcare is the most important and most welcome. But the slide toward protectionism that Mrs Clinton's views invite would be a setback for American living standards, since cheap imports keep prices low. For the developing countries whose best chance of prosperity is through trade, her new thinking would be worse than a setback. It would be a calamity.»

Hillary comme un FDR postmoderne & virtualiste?

Dissipons les malentendus. Cet interview au FT est capital, parce que le FT c’est le FT et qu’Hillary sait bien qu’il s’agit d’un essentiel porteur de message au reste du monde, essentiellement vers les centres inspirateurs de la globalisation. Donc, aucun doute sur l’importance du message, qui a du être travaillé à la virgule près.

Dans son interview Hillary cite 1929. Certes, la citation n’est pas définitive ou décisive mais elle est, pour nous et pour notre interprétation, caractéristique:

«If you look at the statistics – and I see this in the real lives of people – the typical family inflation-adjusted income actually declined $1,000 dollars over the last six years and yet productivity actually rose by 18 per cent. So here are people working harder and getting nothing for their efforts. So who is benefiting? Well corporations are because corporate profits are at record highs. But so are the top ten per cent of households because all income gains in 2005 – the last year I could find numbers for – went to the top 10 pc of households while the bottom 90 per cent, - we don’t usually think of the “bottom” 90 pc – actually saw their incomes decline. This is the highest level of income inequality we have seen since 1929.»

A partir de cette citation symbolique de 1929, nous proposons une analogie pour caractériser l’intervention de Hillary Clinton. Sans aucun doute, cette intervention nourrit une hypothèse essentielle d’un tournant de la politique officielle des USA vers le protectionnisme. Si l’on se réfère aux réalités protectionnistes d’ores et déjà existantes dans les structures même des USA, une telle affirmation aurait essentiellement une résonance politique. Elle se référerait plus à ce qu’on nomme du “nationalisme économique” ou, plus encore, — c’est-à-dire plus large: du “nationalisme populiste”. Celui-ci se nourrirait des restes de la guerre contre la terreur et de la résurgence du protectionnisme face à la prédation de la globalisation. Le résultat se nomme isolationnisme, ou, disons en forgeant une nouvelle expression pour la circonstance: du “national-isolationnisme”.

Dans ce cas, Hillary retrouverait un de ses rôles favoris du temps de la première présidence Clinton (Bill): l’accent mis sur l’aspect social jusqu’au populisme “à l’américaine”, qui est de droite comme de gauche (d’où la référence par ailleurs à un “nationalisme populiste”). Que retrouverait-on comme personnage de référence, dans cette situation de mélange d’isolationnisme et de populisme, après une période catastrophique? Franklin Delano Roosevelt, bien sûr, l’homme qui vainquit la Grande Dépression dont le détonateur est en 1929. Hillary devient, selon cette imagerie, une sorte de FDR postmoderne, avec la référence automatique à ce héros de la geste démocrate qui sauva l’Amérique en 1933 en en faisant une forteresse isolationniste temporaire fonctionnant grâce à l'interventionnisme étatique. Hillary Clinton espérerait ainsi conjurer la catastrophe GW Bush en transmutant la substance de cette catastrophe pour retrouver le terrain économique et social. La période post-9/11 jusqu’à 2008 aurait été une énorme Grande Dépression dont elle tirerait le pays.

Puisque les événements vont très vite et que toutes les analogies sont permises si elles sont historiquement structurées, osons quelques questions, ou hypothèses, audacieuses.

• Un autre texte de commentaire du FT, le 3 décembre, sous le titre révélateur de «It's all about the economy for Clinton», met en évidence un changement extraordinairement rapide aux USA, dans tous les cas pour les démocrates et selon l’analyse qu’en fait le FT: la guerre contre la terreur remplacée par l’économie. («Conventional wisdom says that if the US economy takes a nosedive it would benefit the Democratic nominee in next year's presidential election. As the Democratic frontrunner, Hillary Clinton is as aware as her rivals of the fact that US voters now cite the economy as their chief concern – ahead of the Iraq war and the threat of international terrorism.»). D’où cette question effectivement impensable il y a trois mois: l’élection de 2008 se jouera-t-elle sur l’économie?

• Si Hillary parvient à effectivement se placer dans ce nouveau courant et à jouer l’élection comme une sorte de “FDR postmoderne”, elle pourrait certes remporter l’élection, mais ne risque-t-elle pas de retrouver l’Histoire à front renversée? C’est-à-dire FDR élue avant la Grande Dépression plutôt qu’en son cœur et pour mieux la terrasser? Car la catastrophe économique reste encore à se réaliser dans toute sa plénitude aux USA...

• Qu’en est-il alors de la guerre contre la terreur, des engagements US outremer et des projets impériaux? Une telle posture politique ne risque-t-elle pas, même si elle fait élire Hillary, de diviser le pays d’une façon encore plus radicale qu’il l’a été jusqu’ici?

• ... Dans ce cas, paradoxe du paradoxe, elle redeviendrait un FDR conforme à l’Histoire. Si FDR a effectivement sauvé l’Amérique en 1933, il l’a aussi divisée comme elle ne le fut jamais sauf durant la Guerre de Sécession, d’abord jusqu’en 1937, et, au-delà, jusqu’aux années 1960 (voir notre rubrique Extrait du 5 septembre 2007, «Le soleil noir de la “Beat Generation”»). Et, cette fois, la division de l’Amérique s’exprimerait de façon beaucoup plus radicale et beaucoup plus rapide qu’avec FDR. Toute la haine extraordinaire concentrée par la droite radicale US et d’autres contre Hillary trouverait un exutoire absolument explosif.