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224223 janvier 2008 — Un rapport imposant circule actuellement d’une capitale transatlantique à l’autre, de Washington à Londres, et à Bruxelles. C’est le travail de cinq anciens officiers généraux de pays de l’OTAN ayant occupé des fonctions importantes dans leurs pays respectifs, et certains, la majorité d’entre eux, dans l’OTAN. Le rapport est “sponsoré” par le Marshall Fund, institut transatlantique et courroie de transmission habituelle de l’influence US en Europe. Il est extrêmement alarmiste et affirme la nécessité de l’emploi “en premier” du nucléaire pour l’OTAN, en cas de besoin.
La curiosité de ce rapport est d'abord l’espèce de rebondissement de l’“intérêt” qu’il provoque.
• Il est d’abord présenté à Bruxelles le 16 janvier et fait l’objet notamment d’un rapport de l’AFP, dont la substance est reprise par Defense News le 17 janvier. L’accent est alors mis exclusivement sur l’aspect du rapport qui recommande l’établissement d’une direction commune OTAN-UE.
«Five prominent former western defense chiefs are urging NATO and the European Union to set up a top level political body to coordinate the response to security threats around the world.
»In a report to be presented in Brussels Jan. 16, the generals propose that the two bodies create a “steering directorate” to supervise the fight against threats to their common interests, including terrorism.
»The top brass — from the United States, Britain, France, Germany and the Netherlands — say their approach would help improve transatlantic cooperation and tie the United States more tightly to its European allies.
»”We propose, as a first step towards a new and wider transatlantic bargain, the establishment of a U.S.-EU-NATO steering directorate at the highest political level,” said the report, to be promoted by the German Marshall Fund think-tank.»
• Cinq jours plus tard, le rapport est présenté en grand apparat dans le Guardian (en date du 22 janvier), comme s’il s’agissait d’une nouveauté remarquable. Cette fois, tout l’accent est mis sur la proposition que font les auteurs du rapport, que la doctrine de l’OTAN devienne celle de la première frappe nucléaire préventive, – de ce point de vue, une copie conforme de la stratégie élaborée par l’administration Bush.
«The west must be ready to resort to a pre-emptive nuclear attack to try to halt the “imminent” spread of nuclear and other weapons of mass destruction, according to a radical manifesto for a new Nato by five of the west's most senior military officers and strategists.
»Calling for root-and-branch reform of Nato and a new pact drawing the US, Nato and the European Union together in a “grand strategy” to tackle the challenges of an increasingly brutal world, the former armed forces chiefs from the US, Britain, Germany, France and the Netherlands insist that a “first strike” nuclear option remains an “indispensable instrument” since there is “simply no realistic prospect of a nuclear-free world”.
»The manifesto has been written following discussions with active commanders and policymakers, many of whom are unable or unwilling to publicly air their views. It has been presented to the Pentagon in Washington and to Nato's secretary general, Jaap de Hoop Scheffer, over the past 10 days. The proposals are likely to be discussed at a Nato summit in Bucharest in April.
»“The risk of further [nuclear] proliferation is imminent and, with it, the danger that nuclear war fighting, albeit limited in scope, might become possible,” the authors argued in the 150-page blueprint for urgent reform of western military strategy and structures. “The first use of nuclear weapons must remain in the quiver of escalation as the ultimate instrument to prevent the use of weapons of mass destruction.”
»The authors – General John Shalikashvili, the former chairman of the US joint chiefs of staff and Nato's ex-supreme commander in Europe, General Klaus Naumann, Germany's former top soldier and ex-chairman of Nato's military committee, General Henk van den Breemen, a former Dutch chief of staff, Admiral Jacques Lanxade, a former French chief of staff, and Lord Inge, field marshal and ex-chief of the general staff and the defence staff in the UK – paint an alarming picture of the threats and challenges confronting the west in the post-9/11 world and deliver a withering verdict on the ability to cope.»
Le document contient d’autres propositions particulièrement radicales, elles aussi rapportées par le Guardian:
• L’abandon de la règle de l’unanimité pour la règle de la majorité dans les prises de décision au sein de l'OTAN, notamment pour lancer des opérations militaires.
• L’impossibilité pour un pays-membre qui ne participe pas à une opération de l’OTAN de mettre son veto à cette opération.
• L’abandon de passer par l’autorisation de l’ONU pour décider des actions extérieures, quand «une action immédiate est rendue nécessaire pour la protection de quantités importantes d’êtres humains».
• L’abandon du système des autorisations nationales pour l’emploi de forces nationales dans tel ou tel secteur, comme c’est le cas actuellement en Afghanistan.
Différents autres remarques et commentaires tendent à rendre encore plus dramatique et urgent le contexte où ce document est publié. On peut encore citer le Guardian :
»“Nato's credibility is at stake in Afghanistan,” said Van den Breemen.
»“Nato is at a juncture and runs the risk of failure,“ according to the blueprint.
»Naumann delivered a blistering attack on his own country's performance in Afghanistan. “The time has come for Germany to decide if it wants to be a reliable partner.” By insisting on “special rules” for its forces in Afghanistan, the Merkel government in Berlin was contributing to “the dissolution of Nato”.
»Ron Asmus, head of the German Marshall Fund thinktank in Brussels and a former senior US state department official, described the manifesto as “a wake-up call“. “This report means that the core of the Nato establishment is saying we're in trouble, that the west is adrift and not facing up to the challenges.”
»Naumann conceded that the plan's retention of the nuclear first strike option was “controversial” even among the five authors. Inge argued that “to tie our hands on first use or no first use removes a huge plank of deterrence”.
(…)
»Robert Cooper, an influential shaper of European foreign and security policy in Brussels, said he was “puzzled”. “Maybe we are going to use nuclear weapons before anyone else, but I'd be wary of saying it out loud.”»
Et ainsi de suite… Ce florilège d’appréciations, de réactions, etc., laisse une curieuse impression, un mélange de dramatisation intense, un peu comme l’on connut dans certaines des pires crises nucléaires de la Guerre froide, une espèce de description d’une OTAN idéale comme la rêverait un général type-LeMay, capable de dégainer-nucléaire au premier frémissement islamo-machinchouette, et en même temps une impression d’assez grand désordre. Ce document est présenté deux fois à 5 jours d’intervalle, chaque fois par des médias importants, chaque fois sous une annonce sensationnelle différente (qu’est-ce qui importe? Un “condominium” OTAN-UE ou la doctrine de la frappe nucléaire préventive?). L’UE est présentée ici comme le partenaire indispensable de l’OTAN (et vice et versa, certes), là (Guardian) elle est présentée comme l’obstacle qu’il faut écarter : «…an end to EU “obstruction” of and rivalry with Nato.»
Par ailleurs, on connaît la fine équipe. On connaît le parcours de Naumann, déjà signataire d’un papier du même genre. On se demande ce que Lanxade vient faire dans cette galère, sinon assurer ses vieux jours d’une certaine respectabilité, toutes illusions perdues… L’entreprise fait partie des habituelles poussées d’influence transatlantiques, mais cette fois dans une étrange cacophonie des déclarations et des tactiques d’influence.
Un premier commentaire, pour nous, d’une source européenne devant la parution de l’article dans le Guardian après l’analyse de l’AFP, c’est : «Ils [les généraux + l’amiral] ont un bon agent de relations publiques» Il y a l’affirmation selon laquelle le document sera examiné au sommet de l’OTAN à Bucarest (enfin, “peut-être”: «The proposals are likely to be discussed at a Nato summit in Bucharest in April»). Cette affirmation fait ouvrir des yeux ronds quand elle ne fait pas sourire. L’affirmation que les Américains pourraient soutenir ces propositions et embobiner l’OTAN toute entière dans une telle entreprise fait en général tourner les talons de scepticisme lassé à vos sources.
Tout cela est baigné dans une atmosphère absolument tragique qui, considérée objectivement, fait un peu tragique pompier. Affirmer qu’il faut songer d’urgence à employer le nucléaire en premier un mois et demi après la NIE 2007 et deux jours après l’effondrement des marchés boursiers sonne assez étrangement. Les cris d’orfraie concernant le sort de l’OTAN en Afghanistan, ou bien que l’OTAN ne résistera pas à un échec en Afghanistan, tout cela n’est pas non plus très nouveau ni très original. Pourtant, les quatre généraux et l’amiral ont l’air d’en être profondément affectés. Une source otanienne nous dit avec scepticisme, pour contraster avec l’avis de Ron Asmus qui nous parle d’un “cri d’alarme” dont il semble croire qu’il pourrait être suivi d’effets, qu’il s’agit d’une «des ultimes manifestation de la vieille garde otanienne»… Doit-on faire s’équivaloir “the core of the Nato establishment” avec “la vieille garde otanienne”?
Il y a une sensation extrême de l’inflation des mots et des possibilités, – autant de la part des cinq vieux officiers étoilés qui travaillent pour de riches think tanks clinquants d’américanisation et voient la fin du monde derrière la Libye ou à côté de l’Iran, que de leurs critiques qui y voient un complot dont les ficelles sont tirées par un Robert Gates qui aurait fait tomber son masque de “gentil” avec ses critiques des capacités militaires des alliés. (Certaines réactions scandalisées aux déclarations de Gates, notamment et curieusement britanniques, montrent également une extrême sensibilité à toutes ces interprétations journalistiques. Gates a aussitôt démenti que ses critiques aient pu être perçues comme vraiment critiques : «On the heels of recommending a new U.S. troop deployment to support NATO operations in Afghanistan, U.S. Defense Secretary Robert Gates is “disturbed” that a news story published today made it seem like he was criticizing America’s NATO partners in Afghanistan for lacking essential counterinsurgency skills, a Pentagon spokesman told reporters Jan. 16.»)
De tout cela, que retenir d’important? Justement, rien ne paraît vraiment important, ou plutôt il semble qu’on ne sache plus vraiment ce que c’est que quelque chose d’“important”. Insister pour des dépenses militaires supplémentaires pour les pays de l’OTAN, comme faisait Naumann il y a 2 ans, et avec quel succès, en citant l’exemple du Pentagone, – lorsqu’on voit ce qu’il advient d’un Pentagone survitaminée aux paquets-cadeaux de centaines de $milliards, – est-ce si important et cela signifie-t-il quelque chose? Lorsqu’on parle de l’OTAN en Afghanistan, il est vrai que l’Organisation y est embourbée de telle façon qu’une “victoire” est de plus en plus improbable ; d’autre part, comment concevoir une “défaite” de l’OTAN? Cela a-t-il aujourd’hui un sens, “défaite“ ou “victoire”? Où est l’important dans tout cela? L’OTAN et tous ceux qui plaident sa cause se révèlent comme son parrain américaniste, comme l’Occident en général d’ailleurs, à la fois invincible et impuissant, – ou, si vous voulez, impuissant et invincible… Effectivement, dans ce cas il est difficile de savoir ce qui est important et ce qui ne l’est pas.
D’ailleurs, l’OTAN, cela existe-t-il encore? Son caractère militaire dépassé, extraordinairement dépassé, est un boulet difficile à traîner lorsqu’on prétend être le gendarme du monde alors que même un Premier ministre britannique suggère de faire tenir ce rôle par l’ONU. Les agitations de nos vieux généraux (plus l’amiral français, parce qu’il devient nécessaire d’avoir un Français dans toute entreprise d’intox otanienne qui se respecte), plus qu’un cri d’alarme angoissé concernant le sort funeste qui menace l’OTAN, ressemblent à un cri d’alarme angoissé pour nous convaincre que, oui, l’OTAN existe encore. Comme si l’on pouvait dire, dans un jeu de mots absolument imbécile: tant qu’il y a de l’alarme, il y a de l’espoir.
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