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6 février 2008 — Continuons donc avec entêtement dans nos analyses, à propos de la “folle campagne”. La campagne des présidentielles US 2008 est exceptionnelle à nombre de points de vue. Loin d’être “le cirque habituel”, comme tendent à en faire nombre d’analyses d’observateurs dissidents qui savent que le système a plus d’un tour dans son sac, elle serait plutôt un “cirque inhabituel” qui tend à montrer les incertitudes du système qui pourrait un jour se prendre les pattes dans le sac où il a ses tours.
En aucun cas il n’est question de mettre en doute que nous nous trouvons devant l’habituelle procédure du parti unique avec ses deux branches, la valse du fric, ses candidats différents et adversaires par leurs ambitions mais proches par leurs programmes, – lesquels doivent rester dans les normes autorisées, – tout cela caractéristique du système. Il est simplement question de rechercher la (les) circonstance(s) qui montrerai(en)t que le système se trouve confronté à des situations imprévues où il ne contrôle plus tout à fait l’ensemble des choses.
(Il serait avisé de toujours se rappeler que l’URSS a “implosé”, selon le terme consacré, dans les limites bien bornées du système qui l’avait structurée, avec son parti unique intact jusqu’au bout et ainsi de suite. Il le serait d’autant plus, avisé, que, système pour système, la comparaison URSS-USA ne fait plus craindre aujourd’hui l’accusation de sacrilège. Le système US a fait ses preuves à cet égard depuis quelques années.)
Le principal constat à faire, c’est l’énorme retentissement de cette campagne, – preuve par le retentissement de ce Super Tuesday. Compte tenu du contexte (Bush, les guerres catastrophiques, les crises intérieures, le dollar qui s’effondre, la crise immobilière et financière, la crise budgétaire, la récession, etc.), on peut admettre facilement que cette ardeur de l’observation et de l’information ne salue pas le triomphe du système mais s’attache plutôt à la curiosité de voir comment il va s’en sortir, – s’il s’en sort.
Il est remarquable que cette journée, ou cette nuit du Super Tuesday a été presque vécue comme une journée/une nuit d’élection présidentielle finale. Des journaux étrangers (en France, Le Monde, Le Figaro, etc.) avaient ouvert sur leur site une rubrique donnant la progression des résultats dans les Etats concernés, – cela, bien qu’il fut admis que ce Super Tuesday ne serait pas décisif.
L’excellent Tom Engelhardt nous donne (le 5 février sur son site TomDispatch.com) une chronique un tantinet désabusée sur ce si spécial Super-Tuesday. Il nous parle du spectacle formidable que nous offrent ces élections, de l’intérêt passionné mais également ambigu qu’elles soulèvent; avec leur casting au-delà de toutes les espérances, le black semi-black, la candidate aussi dure que l’acier dont son bonhomme de mari en fer blanc n’est même pas fait, l’ancien pilote de la Navy rescapé des geôles nord-vietnamiennes qui chante «Bomb, bomb, bomb Iran» sur un air des Beach Boys...
Le Super-Tuesday était d’abord un spectacle, — «...as if this were November 4th.»
«By the time you read this, you'll probably already know more about the immediate American political scene than I do. You may know whether Barack Obama, John McCain, Hillary Clinton, or Mitt Romney was the Eli Manning (or Tom Brady) of politics. Maybe you'll have stayed up as network news and cable outfits analyzed the election into the morning hours as if this were November 4th.
»That, in itself, will be unprecedented. In 2004, the networks relegated (somewhat less) Super Tuesday to intermittent news updates. This time, with Charles Gibson anchoring ABC News' five hours of coverage, it will be another “historic occasion” in the “election of our age.” There's already been the Huckabee ambush in Iowa, the McCain return from the politically dead in New Hampshire, the fall of America's Mayor in Florida, and round-the-clock Obamania, not to speak of endless media and pollster mis-predictions, which only provided yet more riveting stories for the race of the century.
»Let's face it, for media and candidates alike Primary 2008 has been Survivor, The Amazing Race, American Gladiator, The Apprentice (“You're fired!”), and American Idol rolled into one – and a ratings wonder as well in which nothing fails. Two testy opponents meet elbow to elbow in a debate in Hollywood – with the camera flicking to the star-studded audience as if it were the Oscars… Gasp! Is that really George from Seinfeld? – and no sparks fly; yet the story has wings anyway. Barack and Hillary were cordial! Were “a black man and a white woman” the “perfect future running mates”? Could they team up as “a Democratic dream ticket”? Or would they be back at each other's throats, just the way John McCain and Mitt Romney have been?
»It couldn't matter less, not when everything in Campaign 2008 glues American eyeballs to screens without a writer in sight. Who needs on-strike vendors of fiction when a teeming crew of stand-up pundits is eternally on hand to produce political fictions at a moment's notice? Can anyone deny that more of them have been predicting, projecting, suggesting, insinuating, bloviating, and offering authoritative conclusions than at any time in our history? If that isn't “historic,” what is, even if so many of their predictions prove wrong in the morning light?
»It's been feeding-frenzy time in medialand — and it's your enthusiasm off which the media's been feeding.»
Plus loin, Engelhardt ne dissimule plus la dérision que fait naître chez lui le spectacle de ces élections. «Think, in this context, of the import of that affirmative call-and-response chant Barack Obama so often uses with crowds of young supporters at his rallies: “Yes, we can…!” “Yes, we can…!” At my age (63), I tend to be struck by the lack of objects in Obama's uncompleted sentences: Yes, we can… what exactly?» La même exclamation de la campagne et des supporteurs d’Obama amène le sarcasme et l’ironie amère de Mark Steel, dans The Independent d’aujourd’hui (et si c’est Obama qui est nommé, qu’on sache bien que tous les autres ont droit au même traitement…)
«Barack Obama, apparently, has been the symbol of hope. But that could be quite distressing, because his entire campaign has revolved around the slogan “Yes we can.” I'm all for keeping political ideas simple, but he's reduced them to Bob the bloody Builder. Maybe he's planning to steal other catchphrases from children's TV characters, so his next campaign adverts will go “Barack Obama – flobalob lob obalob weed.”
»In truth Obama is even more vacuous than Bob, because he doesn't even say what it is we can, whereas Bob is unequivocal that it's the issue of whether we can fix it. But they're all as ridiculous…»
A la lecture des dernières lignes ci-dessus, on serait conduit à croire qu’il n’y a pas grand’chose à espérer des candidats, de leurs discours, de leurs “visions”, des électeurs et de leurs illusions, et de tout le reste. Au reste, il serait singulier, – a priori et à moins de surprise, – d’en attendre quoi que ce soit. La machine est bien huilée. Il faut donc séparer le bon grain de l’ivraie pour tenter de sortir des événements quelque commentaire qu’on voudrait de quelque intérêt.
On connaît tous les résultats du spécial Super-Tuesday, annoncé par tous nos présentateurs-TV européens avec une voix énamourée, comme s’ils annonçaient la retransmission de la remise des Oscars. On sait au moins une chose: rien n’est joué, la bagarre sera longue, les divisions s’accentuent (notamment entre les deux démocrates, par rapport à leurs électorats respectifs qui se polarisent de plus en plus en classes sociales et d’âges, et en groupes raciaux). Même le parti républicain n’est pas uni derrière l’éventuelle candidature McCain. Le Monde nous fait aujourd’hui un compte-rendu honnête sur cette situation, en se référant aux analyses des journaux US.
Il est donc peu utile, à ce stade de la compétition, de s’apesantir sur des analyses et des supputations à propos des candidats eux-mêmes et de leurs chances respectives, de leurs idées s’ils en ont, de leurs tendances et programmes. La forme même de la campagne est un facteur plus intéressant. Les divisions existent et se confirment, les affrontements aussi, et la tension de la campagne est extraordinaire. Tous les éléments sont réunis pour faire des présidentielles 2008 une saison inhabituelle de la politique aux USA, une saison peut-être sans précédent. En ce sens, les événements électoraux rendent fidèlement compte de la crise qui secoue les USA. La machine est bien huilée mais ne dissimule pas, pour qui sait lire, la tension de la situation politique.
Une chose importante est en train de plus en plus d’être affirmée. La division politique de la société US, consécutive à une présidence Bush qui a radicalisé cette société dans tous les sens, est en train de s’inscrire dans le processus électoral. Chaque Etat qui vote pour les primaires accentue la déstructuration, déjà bien avancée avec l’administration GW, d’un des principes essentiels du système qui est la nécessité du consensus, de l’accord bipartisan sincère et sans équivoque dans les bornes conformistes de ce même système. Chaque jour qui passe accentue la probabilité que le président (la présidente) qui sortira de cette bagarre sera un élu à la légitimité faible, et qui portera ce poids dès sa prestation de serment. Même la rhétorique pompeuse, sympathique mais trop dépourvue de substance d’un Obama aura, d’ici là, s’il était le candidat démocrate, perdu tout son attrait dans la bataille finale avec le républicain.
Cela signifie qu’il n’y aurait pas rupture par rapport à la fin de la présidence Bush mais continuité et aggravation de la situation d’illégitimité qu’a installé cette même présidence, – décidément hors du commun par son immense médiocrité et l’immense importance des effets qu’elle a imposés à la situation politique US. (Le mot de Charles Kupchan pour la politique extérieure US pourrait être repris pour la politique intérieure: «President Bush sped up history and made what would have taken a couple of decades happen in just a few years.») Ce serait un événement formidable, dans la mesure où cette élection 2008 devrait être, ou aurait dû être l’acte fondamental de rupture avec cette présidence, pour permettre au système de retrouver son assise.
Ce commentaire vaut pour le cas où tout se passerait sans surprise dans le processus en cours, c’est-à-dire dans le cas le plus favorable du point de vue du système. Le facteur aggravant de ce constat est que, néanmoins, une surprise est également possible. La situation est si peu commune qu’un événement inattendu ou imprévu peut survenir et modifier toutes les perspectives. La machine bien huilée ne pourrait pas nécessairement l’empêcher, de la même façon qu’elle a déjà montré ses limites dans certaines situations (notamment en s’avérant incapable de stopper l’involontaire oeuvre de déstructuration de GW Bush).
La machine est effectivement bien huilée mais elle est si fortement affaiblie. Sans doute l’huile est-il désormais d’une qualité douteuse.