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346514 mai 2008 — Une semaine durant, nous avons exulté. Enfin, alea jacta est, – ce serait Obama. Pendant deux semaines, auparavant, nous avions balancé : Hillary a gagné en Pennsylvanie mais est-ce suffisant pour qu’elle s’impose? Auparavant, pendant un gros mois, Obama était devenu inéligible, impossible à envisager, décidément trop vert et trop, – comment dit-on? Trop “vrai”? (“Bittergate” gorbatchévien.) Auparavant encore, Hillary avait perdu toutes ses chances, avec ses manœuvres grossières, ses attaques personnelles, son incapacité à faire la différence, et Obama ne faisait pas un pli… Et ainsi de suite, en remontant au début de tout, où, en une semaine, de l’Iowa le 3 janvier au New Hampshire le 7 janvier, nous eûmes tout et le contraire de tout.
• Il y a une semaine, Gerard Baker, qui n’est pas précisément un “obamiste”, nous disait, presque épuisé et soulagé, presque exalté finalement: enfin, c’est fait, ce sera Obama (dans le Times du 7 mai)…
« But beneath the headlines, this was clearly a triumphant night – and perhaps even a decisive one — for Mr Obama. (…)
»A third reason for Mr Obama to celebrate Tuesday night was that the political momentum has clearly shifted back to the Illinois senator. He has had a terrible last two months. He lost three straight primaries — in Texas, Ohio and Pennsylvania. He appeared to be sinking in a mire of ranting reverends and condescending comments about the white working-class. Most worryingly, Mrs Clinton seemed to be having some success in convincing people that the liberal, slightly aloof Mr Obama might not be able to win a general election contest.
»But his victory in North Carolina and the impossibly close outcome in Indiana have righted the boat.
»A few more primaries remain — beginning next week in West Virginia. But the real struggle now moves to the minds of the super-delegates. These party grandees have been steadily moving into Mr Obama's camp in the last month even as his campaign has begun to stall.
»After his very strong showing in Tuesday’s primaries, that movement is likely to become a stampede. An end to this apparently interminable contest is in sight at last.»
• Aujourd’hui, changement de ton. Hillary gagne en Virginie Occidentale, et elle gagne d’une façon remarquable, d’une façon significative ; “she wins big”, dans la proportion de deux contre un (autour de 65% contre 35%)… Le même Times, de constater aussitôt, c’est-à-dire aujourd’hui, de concert avec Hillary…
«Hillary Clinton declared today that she will “never give up” in her battle against Barack Obama after a landslide victory in West Virginia's primary which nevertheless failed to loosen his stranglehold on the Democratic nomination.
»Mrs Clinton's huge victory in one of the whitest and most rural states in America nevertheless increased concerns about Mr Obama's ability to win over working class swing voters, after yet another contest in which lower-income white voters defiantly turned their backs on him.
»Despite an almost impossible task before her to win the nomination, Mrs Clinton immediately exploited those doubts. She said she would take the battle against Mr Obama all the way to the final contests on June 3. “I am even more determined than ever to carry on this campaign until everyone has had a chance to make their voices heard,” she said.
»She added, in a message to super-delegates: “Tonight, in the light of this overwhelming victory in West Virginia... to everybody still making up their minds, I am in this race because I believe I am the strongest candidate to lead our party in 2008 and the strongest president to lead our nation starting in 2009.”»
• Précisions aussitôt : ce n’est pas pure rhétorique d’une acharnée qui ne veut pas lâcher prise. Le Guardian nous détaille un peu plus les conditions de la victoire d’Hillary, qui font effectivement réfléchir, – c’est-à-dire, qui devraient effectivement faire réfléchir, éventuellement des “super-délégués”? «The arithmetic is now so firmly against Mrs Clinton that it would take a miracle for her to win the nomination», écrivait le 7 mai Gerard Baker ; certes, mais il y a les gens, les votants, leurs motifs, leurs intentions, dont la Virginie Occidentale vient de donner à nouveau un aperçu de leur relativité imprévisible (par rapport à ce qui était évident le 7 mai) :
«The [West Virginia] primary was one of his [Obama’s] worst performances yet among white, working-class and poor voters, who make up the bulk of those casting their ballots in West Virginia. Based on last night's figures, Obama would struggle to win West Virginia, a swing state, in November.
»According to the exit polls, race was a major issue, with voters affected by the the row over Obama's former pastor, Jeremiah Wright. Voters were also upset over rising petrol prices.
»In a worrying sign for Obama of the extent of the damage done to the Democratic party by his battles with Clinton, the exit polls suggested that 35% of Clinton supporters would vote for McCain in the November general election rather than Obama.»
D’une façon très curieuse, très étrange, cette primaire de Virginie Occidentale, en continuation du psychodrame que nous avons vécu du côté démocrate depuis exactement le 3 janvier, nous confirme que nous sommes bien dans des temps eschatologiques. Même pour ce domaine qui ne nous semble pas catastrophique, le jugement est justifié; nous voulons dire, si nous nous référons à cette définition pratique et concrète, et excellente en tous points, que donne Roger Garaudy de l’eschatologie (à côté de la définition théorique : «Etude des fin dernières de l’homme et du monde»):
«L’eschatologie ne consiste pas à dire: voilà où l’on va aboutir, mais à dire: demain peut être différent, c’est-à-dire: tout ne peut pas être réduit à ce qui existe aujourd’hui.»
L’élection primaire de Virginie Occidentale ne signifie pas la fin de l’espoir pour ceux qui se sont enflammés pour Obama, qui voient un espoir dans ce candidat… Mais, après tout, dans le sens que Paul Valéry donnait au concept humain qu’il y a dans le mot “espoir”. Dans La crise de l’esprit d’avril 1919, il écrivait: «l’espoir n’est que la méfiance de l’être à l’égard des prévisions précises de son esprit.» C’est-à-dire que cette élection US, où nous avons tant de certitudes (effondrement de l’administration GW Bush, déroute républicaine en marche, victoire évidente du parti démocrate), est également un océan d’incertitudes dont nous n’avons pas une seule clef. Devant ces incertitudes, les prévisions assurées vacillent, elles sont assénées un jour puis s’affadissent jusqu’à paraître présomptueuses puis complètement surréalistes une semaine plus tard. “L’arithmétique est maintenant si fermement du côté d’Obama…” clame, péremptoire, Gerard Baker le 7 mai. Mais nous ne sommes pas dans des temps arithmétiques. Nous n’avons plus aucune prise sur l’avenir, même dans un processus si complètement contrôlé, manipulé, orienté, qu’est le processus électoral américaniste.
Il ne s’agit, dans nos considérations, ni d’un pronostic, ni d’un choix, ni d’une préférence de notre part, mais d’un constat. Peu importe, dans le cadre de ce commentaire, Obama ou Hillary, leurs intentions, leur potentiel. Ce qui nous importe pour l’heure est bien le spectacle de ce temps historique, et ce qu’on peut en sortir en fait de considérations.
Il y a, de la part des tenants du système, une sourde angoisse à constater leur perte de contrôle de “ce temps historique”; qu’un Gerard Baker, si farouchement partisan du système, pro-républicain, pro-atlantiste, anti-Obama à la lumière de ses propres obsessions anti-gauchistes, qui devrait se réjouir de l’imbroglio démocrate, en vienne à affirmer (le 7 mai) péremptoirement et vraiment avec soulagement que, at last, c’est Obama qui l’emporte, – voilà qui indique a contrario l’inquiétude du commentateur. Cette angoisse ne concerne pas le choix de candidat mais la maîtrise d’un processus que ce pro-américaniste distingué juge essentiel, – la maîtrise, c’est-à-dire le contrôle du processus électoral US… Il n’est plus question de choix politique mais de la mécanique du système qui, dans le cas de Baker, implique une espèce de répulsion d’en laisser le contrôle à l’humeur de l’électorat, fût-elle proche de son sentiment (fortement anti-Obama en Virginie Occidentale, un Etat-clef de l’élection parce qu’un des “swing states”, en balance entre les deux partis).
La défaite d’Obama en Virginie occidentale fait renaître les “vieux démons” qui ont du déjà se réveiller une demi-douzaine de fois depuis le 3 janvier, et qu’on jugeait “arithmétiquement” liquidés depuis le 7 mai. Dans ce cas, “vieux démon” classique : Obama est Noir (demi-Noir, mais non, personne n’y croit…) et les électeurs blancs, malgré tout, voyez-vous… Du coup Hamlet est toujours parmi nous (“Obama or not Obama”?) et Hillary repart en guerre, sans vergogne comme elle nous y a habitués. (Hamlet, c’est aussi, non c’est d’abord le parti démocrate : oui, Obama semblerait irrésistible pour la nomination; mais si le “réflexe raciste” des électeurs blancs, ajouté à d’autres facteurs, pousse 35% des électeurs d’Hillary à refuser de voter Obama lorsque ce sera Obama versus McCain?)
Si nous sommes tentés par l’ “esprit eschatologique” qui implique une “lecture eschatologique” du temps historique et, par conséquent, des présidentielles US de 2008, c’est que les événements y poussent. D’abord, l’ “esprit eschatologique”, ce n’est pas l’attente nécessaire d’une catastrophe (même si bien des facteurs en cours vous y font songer); prévoir une catastrophe, c’est le contraire de l’“esprit eschatologique” puisque la définition que nous en donne Garaudy est justement de dire que cet état d’esprit implique d’accepter l’idée que des facteurs et des données en cours, hors de notre contrôle, hors de notre compréhension, impliquent que la prévision est devenue impossible. Si l’on considère ce seul cas des présidentielles 2008, il faut admettre qu’effectivement les événements accumulent les inconnus. En plus d’une élection cruciale, après une période de complète déstructuration de la puissance US, de l’emballement et de l’éclatement du pouvoir à Washington, de l’enlisement dans des aventures extérieures et de l'apparition de crises internes, on ajoute ce facteur également sans précédent de la possibilité d’un candidat noir qui pourrait bien donner un président noir (ou d’une femme prétendant à la présidence, – autre facteur inconnu).
Quel étrange machination le destin nous a-t-il réservé en ajoutant aux incertitudes objectives de la situation de 2008 des incertitudes passionnelles comme celle qui renvoie à la question raciale, avec le cas du candidat le mieux placé pour l’emporter, et “pourtant” Africain-Américain, avec cette menace d’une réflexe raciste d’électeurs blancs, le premier mardi de novembre 2008? (A l’inverse, oseriez-vous écarter Obama? Il est en tête et des dirigeants de la communauté noire, africaine-américaine pour faire conforme, ont affirmé qu’une telle mesure provoquerait une terrible réaction des électeurs noires, lors de l’élection, peut-être pire encore…)
Comment va faire Hamlet? La logique dirait enfin: mettez-les ensemble (le “dream ticket” Obama-Hillary). On sait que cette logique a des perspectives également déstabilisantes. L’“esprit eschatologique”, qui n'a que faire de la logique, s’interdit de vous en dire plus…