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154617 mai 2008 — Bush a-t-il obtenu une “concession” des Saoudiens? On a vu récemment que l’un des objectifs du président US était bien d’obtenir une augmentation de la production de la part de l’Arabie Saoudite. Le but des USA est incroyablement sommaire, dans l’environnement de crise systémique globale qui se précise de jour en jour: obtenir une baisse du prix de l’essence à la pompe pour cet été, pour améliorer le climat électoral et diminuer l'accélération de la pression de la crise économique sur le citoyen US. On ne peut rêver plus court terme.
Répétons notre question : Bush a-t-il obtenu une “concession” des Saoudiens? Sans doute la réponse tient-elle du fameux adage du verre à moitié vide et du verre à moitié plein. Quelques exemples chez les Britanniques, qui suivent l’affaire de près du point de vue saoudien (les USA ne voyant ces éventuelles tractations que du point de vue intérieur US):
• Le Times de Londres, aujourd’hui, dit que oui: «Saudi Arabia has disclosed, during a visit to the Kingdom by George Bush, that it has lifted oil production to its highest in two years.» Le Financial Times est d’accord, aujourd’hui également:
«Saudi Arabia said on Friday that it was increasing its oil production to its highest level in two years, bowing to intense US pressure after the price surged to a fresh record of almost $128 a barrel.
»The announcement of a boost to output by about 300,000 barrels a day came after a plea by George W. Bush, US president, to King Abdullah of Saudi Arabia in Riyadh.
»The kingdom’s oil output would hit 9.45m b/d by June, Ali Naimi, the country’s oil minister, said after the meeting. Saudi Arabia last produced at that level in March 2006. It said the move was needed to compensate for lower output from other countries in Opec.»
• Le Guardian, d’aujourd’hui encore, dit que non. Son titre:
«Frustration for Bush as pledge to Saudis fails to win oil concession». Le passage du texte concernant la nouvelle concerne un commentaire ambigu du conseiller à la sécurité nationale de GW Bush: «US expectations for good news on oil had been low. The Saudis are bound by agreement with the rest of Opec. “What they're saying is ... Saudi Arabia does not have customers that are making requests for oil that they are not able to satisfy,” said the US national security adviser, Stephen Hadley.»
• Une dépêche Associated Press, relayée par RAW Story, du 16 mai au soir aux USA (ce matin pour nous), confirme la version du Guardian, en reprenant la déclaration de Hadley et en l’interprétant dans ce sens. Cela impliquerait que l’augmentation de pompage de 300.000 barils/jours impliquerait une mesure d’ores et déjà prise avant la visite de Bush.
«The White House said Friday that Saudi Arabia's leaders are making clear they see no reason to increase oil production until customers demand it.
»President Bush was in the oil-rich country to appeal to King Abdullah for greater production to help halt rising gas prices in the United States. But his national security adviser, Stephen Hadley, said Saudi officials stuck to their position that they already are meeting demand. Hadley told reporters, “What they're saying to us is ... Saudi Arabia does not have customers that are making requests for oil that they are not able to satisfy.”»
• Finalement, tout cela n’est peut-être que beaucoup de bruit pour rien. Un article du New York Times, toujours de ce jour, nous informe que cette décision d’augmentation de pompage des Saoudiens, et, surtout, la décision (vendredi) de Washington de suspendre les importations de pétrole pour les réserves stratégiques US, n’ont eu aucun effet sur le marché, c'est-à-dire sur le prix du pétrole.
«Bowing to pressure from Congress, the Energy Department said Friday that it would temporarily suspend a program to fill the nation’s strategic oil stocks. (…)
»The decision on the oil stocks came the same day that Saudi Arabia announced a modest increase of 300,000 barrels a day in its oil production as President Bush visited the oil-rich kingdom.
»But oil traders dismissed the news from Washington and Riyadh and focused instead on the continuing tensions between growing energy demand and limited supply growth.
»“You’re getting more oil on the market so you’d think this would be a reason for prices to pull back down,” Thomas Bentz, a senior energy analyst at BNP Paribas in New York, said. “But sometimes the market doesn’t react to fundamentals, especially when it’s in a bullish mode.”
»Crude oil futures rose to a record of $126.29 a barrel, up $2.17, on the New York Mercantile Exchange on Friday.»
• Presque plus importants dans la hiérarchie des nouvelles que l’annonce de la réaction des Saoudiens, mais bien sûr après la révérence faite devant le verdict du sacro-saint marché, les commentaires sur les pronostics de plus en plus insistants selon lesquels on se dirige à grande vitesse (fin 2008-2009) vers le baril à $200. Les prévision de Goldman-Sachs sur cette augmentation semblent de plus en plus s’installer comme une certitude.
Il y a quelques jour, le très respecté Martin Wolf avertissait ses lecteurs qu’il importait de ne pas se laisser abuser par les nouvelles à courte vue. Il observait que l’envolée du prix du pétrole due en apparence à la spéculation devait être pris dans sa complète réalité, dans sa réalité structurelle, – justement, comme une réalité à peine anticipée par les spéculateurs du marché. Wolf, adepte de “la vérité des marchés” expliquait que les susdits marchés ne faisaient qu’anticiper une réalité inéluctable, qu’ils nous servent au fond, si vous voulez, de système d’alarme:
«Here are three facts about oil: it is a finite resource; it drives the global transport system; and if emerging economies consumed oil as Europeans do, world consumption would jump by 150 per cent. What is happening today is an early warning of this stark reality. It is tempting to blame the prices on speculators and big bad oil companies. The reality is different.»
Mais après avoir exonéré du blâme principal “les spéculateurs et les grosses méchantes compagnies pétrolières”, après nous avoir justement averti qu’il s’agit d’une crise systémique de première ampleur, Wolf nous propose comme remèdes quelques aimables prescriptions homéopathiques sans s’attarder de savoir s’il n’y a pas quelque chose de substantiellement pervers dans ce système qui précipite cette crise du pétrole, – précipitation per se et non pas seulement à cause des “spéculateurs et des grosses méchantes compagnies pétrolières” (même si les uns et les autres font tout de même partie intégrante du système et participent à la mécanique générale de perversion). Il s’agit de l’habituelle paralysie par impuissance de la raison moderniste et occidentale. L’entame est belle : soyons sérieux, la crise est plus grave que “les spéculateurs et les grosses méchantes compagnies pétrolières”, – mais aussitôt, freinage des quatre fers, – car qui irait jusqu’à dire qu’une crise aussi grave a sa cause dans l’évidence qui nous aveugle, dans le fondement même du système, dans le système lui-même? Certainement pas Martin Wolf, – dans tous les cas, pour le moment?
Pourtant les événements de ces derniers jours ont fait avancer la “géographie de la crise”, ou bien “le puzzle de la crise” au-delà de ce que Martin Wolf nous dit. Ce qui est en train de se passer à la fois dans l’analyse et, surtout, dans la perception de la psychologie, c’est un processus d’intégration de différentes crises systémiques parcellaires en un ensemble intégré. La perception nous avertit de cela, à mesure que le commentaire évolue.
• Le texte du New York Times place la crise du pétrole beaucoup plus dans la perspective du marché, que dans celle, plus logique et plus directe mais aussi plus cloisonnée, de la production (décision des Saoudiens) et de la consommation (décision sur les importations pour les réserves stratégiques). La crise du prix du pétrole est de plus en plus intégrée dans les soubresauts du système financier. Il y a une cause conjoncturelle (les spéculations) mais le résultat est de découvrir que les deux crises, – celle du pétrole et celle du système financier, – sont deux branches partmi d’autres d’un tronc central.
• L’on sait par ailleurs que cette réaction du système financier et boursier vaut pour beaucoup par rapport à l’effondrement du dollar. Là aussi, le lien direct est fait entre la crise du dollar qui est la crise de la puissance US et la crise du prix du pétrole. Le 28 avril, le Times rapportait cette réaction du président de l’OPEP:
«The president of Opec, the cartel of oil-producing countries, has given warning that the price of crude could hit $200 a barrel, sparking fears that rising fuel costs will force more businesses into bankruptcy. Chakib Khelil, the Algerian Energy Minister and president of Opec, said that the falling value of the US dollar would continue to drive up oil prices as investors sought to store their wealth in other assets.»
• L’on sait que les inquiétudes de Washington concernant le prix du pétrole sont liées de plus en plus directement à la crise économique US. L’inquiétude des dirigeants US ne porte plus tant sur le prix du pétrole que sur les effets du prix du pétrole sur le coût du combustible de consommation courante, donc sur la situation économique des citoyens des USA. La dégradation continue de cette situation, à laquelle le prix du pétrole participe de plus en plus, aggrave les perspectives sociales, donc l’équilibre intérieur des USA, et menace de transformer de plus en plus la crise financière et économique en crise globale US avec une forte dimension sociale. Comme d'habitude, le spectre de la Grande Dépression veille.
• L’on pourrait ajouter un “déjà vu”, que la guerre en Irak, qui peut être définie comme une autre manifestation de la crise systémique de la puissance US, ou de la puissance occidentale, joue un rôle direct dans la crise économique US et qu’elle a bien entendu un rôle dans la crise du pétrole. Là encore, des branches de la crise systémique centrale sont liées entre elles.
Ce que nous voyons s’effectuer est bien la perception d’un puissant mouvement d’intégration de crises systémiques de divers domaines. Les liens entre elles sont perçus comme de plus en plus fermement établis, jusqu’à la possibilité d’une transmutation de ces différents éléments en un phénomène central. Le mouvement converge vers la réalisation, en termes presque cinématographiques puisqu’on pourrait aussi bien parler d’une “mise en scène” naturelle de la crise systémique générale, celle qui se trouve derrière ces divers remous jusqu’ici tenus séparés les uns des autres par les manœuvres inconscientes (de nature) de cloisonnement du système.
Il est évident que cette crise systémique centrale existe dans toute son intégration, on dirait presque par la nature du système, c’est-à-dire potentiellement dès l’origine. Mais l’essentiel est notre perception, – la réalisation de l’existence de cette crise dans toute son ampleur intégrée. La communication joue un rôle fondamental, aussi bien chez les acteurs de la crise, comme les spéculateurs, que chez les observateurs de la crise, des commentateurs aux dirigeants politiques, jusqu’aux citoyens eux-mêmes.
La rapidité du processus est stupéfiante. Cela est effectivement moins du à des “réalités” économiques dont on se demande ce qu’elles sont vraiment quand on mesure la valeur objective de la “science” économique, qu’à l’accélération de la perception à cause du phénomène de la communication. Effectivement encore, c’est la psychologie qui est visée et touchée principalement par ce phénomène d’une très grande puissance et d’une rapidité extrême. Toutes les prévisions sont balayées et, plus que jamais, un esprit eschatologique est nécessaire pour embrasser la situation.
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