$200 le baril comme si vous y étiez

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$200 le baril comme si vous y étiez

Les prévisions concernant le prix du pétrole ont de la peine à suivre le rythme d’augmentation de la chose. L’annonce par Goldman-Sachs d’un baril à $200 pour très bientôt ne surprend plus personne et ne soulève aucune contestation. Il faut se rappeler avec quel scepticisme, quelle avalanche d’ironies diverses, avaient été considérées, dans les premiers mois de 2005, les prévisions jugées “catastrophiques” de certains experts. Ainsi en fut-il d’une prévision de deux experts français selon lesquels un baril à $380 ne serait pas impossible en 2015. Aujourd’hui, cette prévision apparaitrait modeste, voire irréaliste.

$380 le baril en 2015, est-ce possible ? C’est non seulement possible mais c’est probable et c’est probablement dépassé, et cela paraîtra sans doute, lorsque nous serons en 2015, si nous sommes encore là, comme bien timoré. L’appréciation des deux experts était basée sur des données prospectives chiffrées, de type économique. Elle ne tenait pas compte, ce qui se comprend, du facteur psychologique. Aujourd’hui, il nous semble que le facteur psychologique joue à plein, illustré par cette remarque de Arjun Murti, l’expert de Goldman-Sachs qui prévoit les $200 : «Mr Murti said the energy crisis could be coming to a head as a lack of adequate supply growth was becoming apparent» (c’est-à-dire : “la crise de l’énergie pourrait approcher le point de fusion parce que l’insuffisance de production pour soutenir la croissance est en train d’apparaître”).

Il semble donc qu’on puisse désormais envisager que le prix du pétrole a quitté la zone de la spéculation pour entrer dans la zone de l’inéluctabilité de la crise. (La spéculation joue toujours un rôle, mais dans l’orientation donnée par la crise; elle est plutôt manipulée par la tendance générale vers la crise que manipulatrice de mouvements désordonnés.) Du coup, la psychologie anticipe cette crise et l’important n’est plus tant le prix du pétrole que la disposition du pétrole. Le président de l’OPEP, prévoyant lui aussi fin avril la marche vers les $200, s’appuyait notamment sur la multiplication d’options de contrats à $200, c’est-à-dire anticipant cette augmentation et, du même coup, la précipitant («The number of oil option contracts betting on oil hitting $200 a barrel in December has tripled since the beginning of the year»)

Notre psychologie serait donc en train de passer de la perception de la crise du prix du pétrole à la perception de la crise de l’insuffisance du pétrole, en route vers la crise de l’épuisement du pétrole. C’est notre tendance même à la prévision (le contraire de l’esprit eschatologique) qui nous pousse dans cette voie au travers de la multiplication des mesures appréhendant l’augmentation prévue et qui, dans le vain espoir d’éloigner ou d’écarter une crise d’approvisionnement, en fait la précipite par le renforcement direct et indirect de cette perception de la crise… Et, bien entendu, nous passerions de la crise conjoncturelle (prix du pétrole) à la crise systémique (insuffisance puis épuisement). Nous serions tentés d’écrire que peu importent les réalités économiques, commerciales ou géologiques, dès lors que la crise est entrée dans notre tête. La puissance de la communication, on le sait ou l’on devrait en être convaincu, sculpte la “réalité” à l’image de notre perception.

 

Mis en ligne le 17 mai 2008 à 15H21