Les sanctions et la “différence” UE-USA

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La question générale des sanctions, “arme” affectionnée par les USA contre les pays qui ne suivent pas leur voie diplomatique et économique, a montré durant le sommet de Bruxelles de singulières différences entre l’Europe et les USA lorsqu’il s’agit de passer aux actes politiques concrets. Cela s’est vu dans deux domaines extrêmement sensibles, où les USA espéraient fermement un alignement européen, et où ils ne l’ont pas eu, sans la moindre ambiguïté, d’une façon qui exprime une forte défaite diplomatique en raison des déclarations et des prises de position publiques.

• Les sanctions contre l’Iran. GW Bush avait demandé à Gordon Brown au début de la semaine qu'il ramène du sommet de Bruxelles des sanctions européennes contre l’Iran d’un nouveau type, dans le domaine du pétrole et de l’énergie. Brown, pressé de toutes parts pour montrer que les “relations spéciales” existent encore, avait promis, – d’ailleurs, sous les quolibets des conservateurs, l’accusant de céder stupidement aux pressions US en faisant des promesses intenables. Tout cela s’est vérifié. Le sommet de Bruxelles n’a même pas discuté la possibilité de telles sanctions sur le pétrole et le gaz (alors que des sanctions au niveau bancaire, prévues depuis longtemps, sont en cours de finalisation). Le ministre des affaires étrangères suédois Carl Bildt : «We're now waiting for what the Iranians will say. Solana has delivered them a letter and the Iranians, I think, will give it a serious considération. There is no rush…» Même les Français ne sont pas du tout pressés, contrairement à l’activisme dialectique de Sarko lors du passage de Bush à Paris le 13 juin. («Nous attendons [la réponse des Iraniens]», selon Pascale Andréani, porte-parole du ministère des affaires étrangères.) Les Européens mesurent les conséquences catastrophiques potentielles de telles actions sur le prix du pétrole, notamment si les Iraniens ripostaient en réduisant leur production.

• Le 18 juin, fort habilement à propos et montrant qu’ils étaient informés du sommet de Bruxelles et de son ordre du jour, les USA avaient pris les devants. Le porte-parole du département d’Etat, Tom Casey, déclara donc à propos des sanctions contre Cuba : «Nous ne sommes pas favorables à ce que l'UE ou qui que ce soit d'autre allège ces sanctions à ce stade. J'espère que [...] tous nos amis et alliés dans le monde éviteront de prendre des mesures qui pourraient apparaître comme accordant davantage de légitimité à un régime dictatorial dirigé par un membre de la famille du dernier dictateur ou lui laissant croire que l'oppression de son peuple est plus acceptable qu'avant.» Le sommet a, au contraire, décidé de lever les sanctions. Les Espagnols ont mené l’affaire, contre l’opposition des pays de l’ex-Europe de l’Est menés par les Tchèques, avec l’amical soutien de Washington. Le ministre des affaires étrangère espagnol a indiqué que diverses dispositions étaient prises pour suivre l’évolution de la situation des droits de l’homme à Cuba, pour des réévaluations éventuelles, «mais ce qui ne sera pas réévalué c'est l’imposition des sanctions puisque celles-ci sont définitivement levées.» Que dit le ministre du fait que l’UE ne suit pas les conseils des amis de Washington? Une lapalissade sympathique : «Les USA ont leur politique vis-à-vis de Cuba. Nous ne la partageons pas… Au bout du compte, il y a nos intérêts et l’autonomie de notre politique étrangère.»

Cette affaire des sanctions est la démonstration de la complexité des questions européennes et des questions autour de la politique extérieure de cet étrange artefact à peine politique qu’est l’UE. Ce qui est le plus évident dans cet épisode, c’est que lorsque l’Europe rencontre des difficultés centrales qui la divisent gravement (le référendum irlandais), elle est paradoxalement plus “forte” vis-à-vis des USA. Mais ce paradoxe est logique. L’UE était d’autant moins inclinée à céder aux pressions des USA qu’elle a besoin de réaffirmer ce qu’il lui reste d’unité pour tenter de corriger l’effet désastreux du désaccord central. D’où cette curieuse conclusion: c’est une Europe qui va mal qui est le plus apte à résister aux USA, et même d’une façon assez leste, comme le montre la remarque du ministre espagnol. A cela, on ajoutera la remarque restrictive annexe que, dans le concert européen, les nouveaux pays de l’Est sont vraiment à part. Ils échappent totalement aux réflexes de solidarité européens même les plus primaires et leur allégeance aux USA, souvent du type comptable et selon des méthodes héritées de l’univers bureaucratique du temps du communisme, est sans fard, sans dissimuler, du type renvoyant effectivement aux méthodes du temps du Pacte de Varsovie. A terme, c’est entre ces pays-là et le reste de l’UE qu’aucun compromis sur les questions de politique extérieure et de sécurité ne pourra être trouvé, à moins d’une rupture radicale et affichée de leur part avec les USA (ou de certains d’entre eux dans tous les cas, – on pense à la Pologne suite à l’affaire de la BMDE).


Mis en ligne le 21 juin 2008 à 11H43