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796Le pur et vrai capitalisme, essence même de l'“anglo-saxonisme”, est menacé par le puritanisme dissimulé au cœur de l’américanisme, – voilà le sens de la chronique de Carl Mortished, du Times, aujourd’hui. Mortished dénonce les mesures contre les spéculateurs que le Congrès US prépare ou commence déjà à prendre, ou suscite ici et là, soutenu par Obama qui prévoit lui aussi de telles mesures dans son programme. Il s’agit du pétrole et de son prix, dont on sait qu’il (le prix) ne cesse de monter. Mortished dénonce l’antique et hideux puritanisme, à nouveau à l’assaut de notre liberté à tous.
«Those pilgrim puritans are at it again, threatening to ban, regulate and smother all forms of risk-taking. After adultery, booze, ciggies and online poker, Americans have invented a new vice and its home is New York's Mercantile Exchange. Goaded by a pack of opportunistic United States senators who seek to ride the wave of public rage about fuel prices, the Commodities and Futures Trading Commission (CFTC) is preparing a report on the role of speculators in the crude oil futures market.
»Think about that for a moment. The regulator of a market that enables investors to bet on future oil prices is to investigate the role that speculation, that is to say betting, plays in that market.»
Cette chronique est citée ici parce qu’elle est exemplaire du désordre de leur monde, du désordre des esprits, du désordre de l’idéologie qui tient le monde sous son joug impitoyable. Il est vrai que Washington, qui est naturellement La Mecque du capitalisme, est aujourd’hui pris d’une fièvre de régulation pour tenter de stopper la fièvre du prix de l’or noir, laquelle est due (un peu, beaucoup, passionnément? Qui le sait sinon Dieu?) à la fièvre de la spéculation. Mortished décrit la chose avec la fièvre du croyant qui découvre la trahison du dogme par ceux-là même qui sont censés le défendre. Sa conclusion est à la fois désespérée et héroïque : puisqu’il n’en reste qu’un pour protéger le dogme, c’est-à-dire la City de Londres, ce sera donc la City de Londres. (Cela est écrit dans le pays où, il y a quatre mois, le gouvernement a nationalisé à grands frais fastueux et à perte la Northern Rock pour la sauver de la faillite où ses excès divers conduisaient inéluctablement cette banque. Mortished et la City de Londres ont laissé faire en détournant pudiquement les yeux.)
Voici la péroraison du dernier des Justes, – car vous ne manquerez pas de remarquer que cette péroraison a bien plus à voir avec la Cité de Dieu, avec la Foi elle-même, avec le zèle théologique du Croyant, – qu’avec une affaire de gros sous. La spéculation, en vérité, est une question métaphysique.
«The good thing about futures markets is that they offer a small angle on the unknowable world to come. That explains why some Americans find it abhorrent. The early British settlers who founded the Plymouth Colony in contemporary Massachusetts were Puritans, fundamentalist Christians who believed in the absolute sovereignty of God and the utter depravity of human beings, other than those destined for salvation.
»It is a world view incompatible with financial markets where the future is not ordained but random and chaotic, a place where bad things happen to God-fearing people. It is interesting that the congressional attack on financial speculators is repeated in identical language in Saudi Arabia, a nation in thrall to a slightly different puritanism. American puritanism still bursts forth in moments of political and economic stress when libertarian capitalism confronts the moral straitjacket of the fearful and devout.
»With threats to regulate London's oil market, the puritans are having their revenge against the British state that forced them to flee in the 17th century. Congress wants to close the “London loophole”, forcing London's oil market to abide by US regulations on limits to trading. Senator Barack Obama, the Democratic presidential candidate, is making similar threats to regulate oil markets. London is emerging as the last bastion of lightly regulated capitalism as America rails against evil financiers. A nation consumed by fear of foreigners, puritanical self-doubt and effete introspection cannot be the standard-bearer of global capitalism. It is left to Britain. It's a tough job but someone has to do it.»
Il est étrange et lumineux à la fois de constater combien, effectivement, tout ce débat autour du prix du pétrole se déroule de plus en plus dans une atmosphère pressante et religieuse. La crise systémique générale, dont la question du prix du pétrole est l’illustration du jour, se déroule au cœur de la métaphysique du capitalisme. C’est une crise de la Foi, entre les orthodoxes, implacables défenseurs de la Foi intégrale et les réformistes, épouvantables machinistes de mesures qui mettent en cause l’intégralité de la Foi. Etrange débat, montrant combien notre système qui vous fait la leçon sur la raison, le réalisme, la réalité, sur la droiture mesurée d’une vision scientifique du monde, contre les critiques et les jugements qui font la part trop belle aux valeurs dédaignant l’économisme et sa juste mesure, se réfère en réalité à une Foi ardente, un zèle religieux sans barrière.
Nous arrivons ainsi effectivement au cœur de leur crise systémique. Les uns et les autres n’ont plus, pour défendre leurs causes respectives, que des arguments complètement extérieurs à leur logique économique et financière interne dont ils nous assurent pourtant qu’elle suffit à mener et à satisfaire le monde. Les uns et les autres montrent, chacun à leur tour, une face de la crise qui nous frappe tous, qui est la crise de leur système. Les régulateurs choisissent soudain d’affirmer les limites de la spéculation qu’ils sont censés protéger et favoriser, pour tenter d’empêcher que le prix du pétrole ne mette à sac leur économie et ne suscite la colère du sacro-saint consommateur, dont on s’avise qu’il est aussi, périodiquement, un électeur. Les théoriciens dénonçant les gardiens du dogme devenus traîtres au dogme, au nom de la conservation de la pureté de la Foi et parce que Dieu sait toujours reconnaître les siens, réclament qu’on laisse les prix faire ce qui leur plaît, selon la loi anarchique des spéculateurs, car quelque part on sait bien qu’ils retrouveront la Main de Dieu qui guide les marchés. Ainsi le monde poursuit-il sa route, guidé par la lumière clignotante, intermittente et divine des choses économiques et financières. Qui dira, après cela, que notre civilisation n’a pas de sens?
Mis en ligne le 25 juin 2008 à 06H06
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