Mandelson-FDR tend une globalisation sociale aux USA (et à la France, pardi): faisons un “new deal

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C’est un intéressant et étrange article de commentaire que nous donne, dans Le Monde du 24 juin, le commissaire européen au commerce Peter Mandelson. L’article est directement perçu, du côté des institutions européennes, comme un coup d’envoi sans crier gare dans l’entreprise de réparation des relations transatlantiques que l’UE veut lancer avec le nouveau futur président des USA. Mais “étrange”, pourquoi donc?

Qui ne connaît Mandelson? Un dur de dur, façon Financial Times, ami de Blair et homme de la globalisation (qui est obstinément traduit dans ce texte, à partir de l’anglais globalization, par “mondialisation”, malgré toute la souffrance que nous avons déjà dite à voir ainsi, inutilisée, la richesse de la langue française). Eh bien, le dur s’attendrit. Sans doute est-ce la présence de la France, ou de la présidence française de l’UE, ou ce que vous voulez du même genre? Mais Mandelson, soudain, devient un délicieux propagandiste d’une protection sociale et affectueuse des citoyens du monde globalisé. Cela est d’autant plus nécessaire qu’il n’y a plus de centre… (Est-ce un lapsus? Lorsque Mandelson écrit: «Le “monde atlantique” n'est plus le centre de l'univers économique, parce qu'il n'y a plus de centre...», il pourrait avoir écrit : “Il n’y a plus de centre de l’univers économique parce que le ‘monde atlantique’ n’est plus au centre”, – parce que, voyez-vous, à part le monde atlantique, qui voulez-vous qui soit au centre du monde économique? Le monde devra donc faire avec, – sans le “monde atlantique” comme centre du monde, c’est-à-dire le monde privé de centre, dont on espère qu'il garde tout son sens pour autant.)

Voici donc le commissaire au commerce transformé en bon docteur, en une sorte de FDR internationaliste et transatlantique, qui chante la gloire de l’Etat protecteur des braves et pauvres gens, notamment américains. Car ce texte, même s'il est publié à Paris, est bien destiné à Washington. En voici la péroraison.

«L'idée d'une incompatibilité entre la mondialisation et l'intervention de l'Etat dans le domaine de la protection sociale est un mythe politique qui a la vie dure, surtout aux Etats-Unis. Les données de l'OCDE concernant les vingt dernières années montrent que, lorsqu'ils encouragent la flexibilité du marché du travail, favorisent des niveaux élevés d'éducation et les reconversions, aident les femmes et les seniors à rester dans la vie active, les Etats très actifs sur le plan social sont beaucoup mieux armés que les autres face à la mondialisation. Les Etats les plus compétitifs de l'OCDE consacrent également des dépenses considérables aux biens publics et n'ont pas peur d'aider leurs citoyens à affronter les risques économiques majeurs de la vie – en particulier le chômage et les problèmes de santé.

»Les pays scandinaves et les Etats-Unis ont tiré des bénéfices similaires de la mondialisation du point de vue de la richesse et de la compétitivité, mais ils les ont distribués différemment. Dans quelle culture politique la mondialisation est-elle mieux acceptée ? Un Suédois sur dix estime qu'elle est mauvaise pour son pays. Cinq Américains sur dix sont du même avis. Les Etats-Unis ne sont pas les seuls à devoir relever ce défi : nombre de modèles sociaux européens sont encore loin de répondre aux attentes. Aux Etats-Unis comme en Europe, les partisans du progrès social doivent remettre à l'honneur les arguments du New Deal qui militent pour que les gouvernements aident les citoyens à s'épanouir dans des économies ouvertes, au lieu de les laisser sans défense face à celles-ci.

»Les Etats qui protègent leurs citoyens ne doivent pas pour autant être protectionnistes. L'Europe et les Etats-Unis sont beaucoup plus à même de continuer à profiter de la mondialisation que nous ne semblons le penser. Et ils ont beaucoup plus à perdre en abandonnant l'ouverture économique que nous ne l'imaginons parfois. Le monde doit entendre le message suivant de la bouche du président Obama ou du président McCain : la mondialisation a besoin de l'Amérique. L'Amérique a besoin de la mondialisation.»

La démarche du commissaire est étonnante lorsqu’on a à l’esprit sa personnalité, son passé, ses conceptions, la coupe superbe de ses costumes.

• L’implicite mais puissante référence historique de Mandelson, avec son idée de nouveau-“new deal”, c’est FDR et 1933. Surprise: le monde globalisé aurait-il besoin d’un “new deal” comme l’Amérique, au bord de la désintégration, en avait eu besoin de toute urgence en 1933? Les choses vont donc si mal?

• Mais, en plus, proposer ce “new deal” à l’Amérique, quasiment au nom de l’Europe, cela signifie-t-il que le commissaire au commerce considère que l’Amérique de 2008 vaut effectivement celle de 1933? L'Amérique va-t-elle si mal?

• …Tout cela, avec un clin d’œil à la France, avec ce panégyrique venu du commissaire européen au commerce de l’Etat salvateur, – de l’Etat-providence, non? Les relations entre la France et l'UE vont-elles si mal?

Et là-dessus, énorme cerise sur le gâteau, l’affirmation que tout cela colle à merveille avec le refus absolu, la condamnation sans appel du protectionnisme. Contradiction? Eh bien, la plaidoirie est si habile, si étrange et même ardente par moment, qu’on finirait par y croire. Enfin, pourquoi n’y pas croire? Vaste problème, laissons-le là.

Une autre observation s’impose. Il y a ce fait que Peter Mandelson se fend d’une telle argumentation à destination des USA, dans un journal de grand prestige et de grande diffusion, à Paris alors que le gouvernement français va assurer la présidence de l’UE à partir de mardi prochain. Il s’agit d’un signe très révélateur. Mandelson, fin politique, sent bien qu’il est temps effectivement d’affirmer tout ce que, jusqu’ici, la globalisation dédaignait superbement et mettait systématiquement à l’index. De ce point de vue, le texte s’adresse aussi bien aux candidats aux présidentielles US, qui ont effectivement développé une rhétorique populiste, qu’aux électeurs irlandais, qu’au gouvernement français qui affirme des positions protectionnistes pour protéger certaines valeurs économiques françaises traditionnelles. Il s’agit bien de l’argument de l’avocat d’une globalisation conduite à composer, sur la défensive, qui se couvre du manteau de la vertu sociale pour “sauver les meubles”, – tenter d’endiguer le courant protectionniste qui touche diverses parties du monde, – nombre de pays européens comme les Etats-Unis eux-mêmes.

Du point de vue de la politique européenne, nous retrouvons là la curieuse situation mise en évidence au dernier sommet de Bruxelles, où l’on vit trois factions s’affronter (les partisans d’une Europe politique, avec Sarkozy-Merkel, les libre-échangistes, avec Mandelson, les partisans d’un élargissement de préférence à l’approfondissement, avec les pays d’Europe de l’Est). Ces trois fractions ont pourtant en commun un pro-américanisme affirmé, par conséquent toutes trois partisanes d’un rapprochement avec les USA dès janvier 2009, avec le nouveau président aux USA. Mais ces différences sur les questions de politique générale, qu’on retrouve avec cette plaidoirie de Mandelson tentant de rapprocher le libre-échangisme de l’intérêt et de la défense des citoyens, font s’interroger sur le fond: sur quel programme se rapprocher des USA? Selon quelles conceptions? Et, d’ailleurs, avec quels USA, selon le président qui sera élu et la situation que ce nouveau président trouvera? Cette combinaison “new deal”-anti-protectionnisme, c’est habile, c’est presque le signe d’une belle âme et la démonstration d’une vertu convaincante. Mais c’est de la théorie, du brio pur. Se référer au “new deal” en repoussant le protectionnisme, c’est en prendre bien à son aise avec l’histoire qui est la clef de notre situation présente, même si c’est soutenu par des clins d’yeux économiques et rassurants.


Mis en ligne le 26 juin 2008 à 04H32