Le fil à la patte

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Le fil à la patte

28 juin 2008 — Il faut bien le dire, une source proche de l’OTAN rapportait pour nous, il y a quelques jours, quelques remarques concernant l’OTAN et la politique des USA dans ce cadre. On voit par ailleurs, sur le Bloc Notes du 27 juin, quelques considérations à propos de l’élargissement de l’OTAN et de l’Ukraine. Ces remarques ont un rapport avec ce F&C, où l’on observe l’influence anti-russe déstabilisante, radicalisante et “pousse-au-crime” des tendances américanistes, et plus précisément, et sans aucun doute, des USA eux-mêmes.

Puis il y a ce passage…

«Notre source nous explique également que, d’un point de vue plus européen et moins aligné sur les américanistes, qu’on trouve tout de même au sein de l’OTAN, on considère, notamment à la lumière de l’épisode ci-dessus, que l’élargissement est à la fois “un enjeu très important et un important facteur de division au sein de l’Alliance”. S’il n’y avait les Américains, cet enjeu de l’élargissement n’existerait pas parce que l’Europe ne s’y attacherait pas une seconde, parce que l’Europe ne cherche pas une confrontation avec la Russie et que l’élargissement a de fortes chances d’y conduire. Il y a une certaine grogne chez certains Européens à cet égard, et l’on peut dire que la mauvaise atmosphère du sommet de Bucarest sur ce sujet perdure. En conséquence, observe encore notre source, “l’avis souvent rencontré à l’OTAN est qu’il n’y aura guère de nouveauté sur l’élargissement, lors des réunions ministérielles de l’OTAN en décembre”. Cette prévision est d’autant plus justifiée, bien sûr, que les USA, en pleine transition du pouvoir, seront sans politique définie active en général, et sur ce sujet particulièrement.»

C’est effectivement de l’attitude des USA vis-à-vis de la Russie que nous voulons parler. Très récemment, un fonctionnaire européen de haut niveau, revenu d’une visite aux USA, observait, à propos des perspectives de l’attitude US vis-à-vis de l’OTAN:

«Il y a bien un facteur constant, c’est la politique anti-russe de Washington. Elle ne dépend pas d’une administration, de cette administration. S’il y a une administration démocrate, la politique anti-russe se poursuivra à peu près au même rythme, avec les mêmes attributs comme l’élargissement pour faire pression sur la Russie. Il y a vraiment une grande majorité à Washington dans ce sens, donc au Congrès, à cause de la “déception” éprouvée par les Américains….»

On parle ici, sans aucun doute, d’une attitude sentimentale, la “déception” venant de ce que les USA (Bush) avait cru comprendre de Poutine lorsque le président US avait gravement expliqué après une rencontre au sommet qu’il avait vu dans l’âme de Poutine qu’il s’agissait d’un homme de bien (une sorte d’Américain, si l’on veut). La “déception” US vient de ce que la Russie a refusé son auto-américanisation par la voie suggérée d’une démocratisation “à l’américaine” (comprenant notamment l’alignement sur les grandes tendances américanistes). Ce refus s’est concrétisé par le discours de Poutine à Munich, le 10 février 2007, et c’est sans doute là que la “déception” s’est transformée en une politique anti-russe irréversible.

D’où l’argument logique qu’il soit fort à craindre que les USA poursuivront, dans l’éventualité d’une administration démocrate, la politique qu’il poursuive actuellement, faite d’arrangements tactiques temporaires qui n’interfèrent en rien dans une “stratégie” de provocation anti-russe par tous les biais possible. (Nous nommons cela “stratégie” bien qu’il s’agisse en réalité d’une tendance irrépressible, qui n’implique aucun plan structuré mais simplement le désir de détruire par tous les moyens possibles mais prudents la structure qui est en place aujourd’hui en Russie.) L’élargissement de l’OTAN entre dans cette “stratégie”, et cela explique qu’on n’écoute pas vraiment Tymochenko lorsque celle-ci vient parler devant l’aréopage de l’OTAN pour expliquer que l’Ukraine ne tient pas à entrer dans l’OTAN. Le réseau anti-missiles BMDE fait également partie de cette “stratégie”, même s’il s’agit d’abord d’une tactique destinée à gonfler les bénéfices du complexe militaro-industriel.

Tout cela fait partie de la même cuisine, conduite par la “déception” des cœurs tendres de Washington. Cela implique que la question des relations de l’Europe avec la Russie, qui est directement liée à la situation au sein de l’OTAN et à la politique russe de cette organisation, sera avec le futur président un point d’antagonisme constant entre l’Europe et les USA, et un point central de désaccord au sein de l’OTAN. On peut même dire que la situation sera pire qu’actuellement, à cause de l’espérance déçue qu’avec le nouveau pressent la politique russe des USA changerait.

Poutine, une déception amoureuse

On aurait tort d’écarter cette explication “sentimentale” de la politique anti-russe si chaotique des USA, par le biais ou pas de l’OTAN. Cette “politique anti-russe” est effectivement chaotique, balançant entre des actions de provocation (BMDE, élargissement de l’OTAN à marche forcée) et de subversion type-postmoderne (machination des “révolutions de couleur”), et des arrangements tactiques nécessaires (voltefaces temporaires sur ces mêmes BMDE, accord avec la Russie sur l’Afghanistan, etc.). Elle répond aux excès du sentiment et au court terme des intérêts, sans plan bien défini sinon le sempiternel appel à la démocratie (à la démocratisation).

Là aussi, on aurait tort de ne voir qu’une simple propagande. En parfaits virtualistes, les dirigeants américanistes ont besoin de “croire” en leurs propres valeurs, même si ces valeurs sont évidemment corrompues par une pratique faussaire et par les innombrables “coups tordus” (“dirty tricks”) qui sont le fait des différents centres de pouvoir de Washington. (D’ailleurs, nul, à l’intérieur du système de l’américanisme, n’est censé connaître tous ces “dirty tricks”, d’une agence à l’autre, d’un service de renseignement à l’autre, d’un bureau de relations publiques à l’autre, ce qui permet de les accueillir parfois comme des “divines surprises”.) Par conséquent, il y a un fond de sincérité incroyable dans les plaidoiries US pour la “démocratisation” de la Russie, contre les manipulations du pouvoir et des urnes, alors que les USA sont le champ idéal d’application de ces pratiques depuis l’origine.

Républicains et démocrates, c’est la même chanson. Les guerres ne datent pas de l’Irak-2003 et l’attaque du Kosovo est une affaire purement démocrate, contre laquelle les républicains, alors très vertueux sur le chapitre de la restriction d’une politique étrangère agressive, s’élevèrent. Les machinations ne datent pas de 9/11, et elles furent souvent bien plus nettes et bien mieux tracées, sans soulever la moindre émotion. (Qui se souvient d’April Gaspie, ambassadrice US à Bagdad, donnant un feu vert de facto à Saddam pour l’invasion du Koweit, le 25 juillet 1990, et les USA alertant le monde contre l’Irak une fois l’invasion faite, 7 jours plus tard? Il est vrai que Gaspie fut >sacrifiée sur l’autel des convenances.) Mais cet activisme sans la moindre vergogne est si bien cloisonné, si bien compartimenté entre les différents centres du pouvoir, qu’il n’interfère jamais durablement sur les bons sentiment. Même dans les affaires les plus corsées, il y a donc une part non négligeable de ce même sentiment; et, dans le cas envisagé ici, cette sacrée “déception” que les “amis” choisis ne se soient pas auto-américanisés, qu’ils n’aient pas par eux-mêmes (une fois réalisée leur auto-américanisation) suivi la voie qu’ils devaient suivre. Avant Poutine, ce fut le cas de Milosevic, et peut-être de Saddam après tout.

La civilisation américaniste est arrivée à mettre en place une telle structure systémique, bureaucratique, automatisée en un sens, que l’action produite est quasi entièrement déterminée par des “paramètres” pré-enregistrés sans véritable souci des situations et des effets extérieurs. Il n’existe plus de canal permettant une consultation de références telles que l’expérience, même au plus court terme, la situation réelle, les caractères humains existants, l’événement dans la réalité, l’enchaînement des causes à effets. Les politiques, dans le système de l’américanisme qui se conçoit lui-même dès son origine comme un monde clos, sont déterminées et “machinées” à partir de ces paramètres qui précèdent l’événement et lui sont parfaitement indifférents. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’histoire des USA et l’histoire de sa politique extérieure, la même tendance ayant été active dès l’origine; c’est dans ce cadre qu’il faut tenter de comprendre la politique russe des USA; ce sera bien entendu une politique suivant le même schéma d’élaboration que toutes les autres. L’aspect rationnel de cette politique étant confiné au fonctionnement de la machine, la réalité n’a plus d’effets que sur les sentiments, les émotions, les réactions spontanées du cœur, toutes ces choses qui sont d’habitude tenues à distance de l’élaboration d’une politique. Il est par conséquent complètement logique d’accepter l’explication de la “déception” dans ce cas, comme celle d’un sentiment de frustration d’une illusion amoureuse déçue; l’illusion fut elle-même entretenue à partir des paramètres internes du système et nullement à partir de la situation réelle (en Russie).

En ce sens, l’attitude des USA vis-à-vis de la Russie depuis 1991 est celle d’un amour déçu. L’épisode Eltsine, ce sympathique ivrogne corrompu jusqu’à la moelle, avait fait illusion en laissant le champ libre aux prédateurs capitalistes venus de Wall Street et des grandes universités US, – ce qui s’appelle mettre une nation à l’encan, vendre les restes de l’Histoire à la criée, – alors que l’opération était décrite avec sincérité comme l’accession à la liberté économique, à la prospérité et à la démocratie. Le successeur d’Eltsine les a “déçus” après avoir fait illusion. Il n’est de pire frustration que celle d’un cœur déçu, lorsque ce cœur est celui d’un esprit sans noblesse et sans raison, – ce qui est le cas de nos lascars qui ont laissé tout cela aux soins de la machine.

Pour cette raison qui est celle du “cœur que la raison ignore”, il nous paraît assuré qu’effectivement la “politique” russe des USA ne changera pas avec le prochain président. (On pourrait dire cela, sans doute, de toute politique extérieure aujourd'hui, le seul champ intéressant et sujet à d’éventuels changements étant le champ intérieur où la réalité pèse trop fortement pour ne pas forcer épisodiquement à une prise en compte, et pousser même à demander des comptes à la machine.) Elle sera toujours guidée par les seuls sentiments, aussi chaotique, aussi incontrôlable et incompréhensible à nos esprits. S’il nous reste quelque raison, nous devrions en user pour distinguer qu’effectivement la déraison existe au cœur de cette puissance, et non pas pour transformer cette déraison en une raison cachée, calculatrice et machiavélique. Malheureusement, le monde, aujourd’hui, à l’ombre des USA, est d’une simplicité terrifiante.