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1414Le 14 juillet, le quotidien du Salon de Farnborough, le Daily Flight Bulletin, a publié un court article rapportant une intervention stupéfiante de brutalité du Lieutenant Général Charles “CR” Davis, de l’USAF, présenté comme “a JSF programme executive”. Le quotidien publié pour le Salon par le respectable hebdomadaire Flight International en est tout remué. Il présente cette intervention de cette façon: «…an unusually candid, exclusive interview on the eve of the Farnborough Air Show»; que fait Davis? «Davis blasted Boeing executives for making what he believes are grossly inappropriate statements about the health of his acquisition programme.»
Davis attaque Boeing avec violence pour ce qu’il juge être des attaques scandaleuses de Boeing contre le JSF, essentiellement, suppose-t-on, parce que Boeing ose s’imposer comme concurrent du JSF sur certains marchés étrangers (Danemark, Australie) que ce même Davis juge péremptoirement être des “marchés captifs” par définition acquis au JSF. Il s’agit, dans le chef de Boeing, de proposer le F/A-18E/F Super Hornet. (D'autre part, le Super Hornet est utilisé par la Navy comme alternative préventive à des manquements possibles du JSF. Cela ne renforce pas la popularité de Boeing dans la bureaucratie du JSF.)
Dans le chef de Davis, si on le comprend bien, le Super Hornet apparaît comme une sorte de casserole antique avec la prétention stupéfiante de concurrencer le JSF.Boeing attaque le JSF parce que le Super Hornet est un tocard en perdition. «Boeing is “spreading lies and half-truths” about the F-35 Joint Strike Fighter (JSF) programme in a “desperate and disgraceful” effort to bolster domestic and foreign sales of its F/A-18E/F Super Hornet… […] “If Boeing has to say something negative about JSF to sell their aircraft, that tells me there is something wrong with their aircraft,” Davis says.»
Il y a aussi cette intervention, également stupéfiante, qui semble avancer que Davis attend illico presto que Boeing vienne lui présenter ses excuses, un genoux en terre, pour ses affirmations pavées de “mensonges” et de “demi-vérités”: «Davis says he has neither contacted Boeing executives about his accusations, nor does he intend to. Asked if he was waiting for Boeing to initiate contact, he quickly replied: “Yes, I am.”»
D’où vient cette fureur du général Davis? De la lecture de la presse, comme vous et moi, où l’on imprime effectivement les calomnies de Boeing. «Davis said he has read two recent articles – one in the US press and one in the foreign press – quoting Boeing executives saying the JSF programme would likely be delayed again and further exceed development costs by more than $10 billion.» On comprend cette fureur, de la part d’un défenseur d’un programme qui a montré une si grande régularité dans le dépassement des prévisions de coût et de délais. La chose est cruellement rappelée dans les articles, Boeing rappelant que les Super Hornet ont été livrés à l’heure dite et au coût annoncé, tandis que le JSF a augmenté de 50% et a accumulé un retard de 18 mois depuis les contrats signés en 2001-2002. Mais comment peut-on comparer l’incomparable! hurle Davis; c’est-à-dire, comment comparer quelque chose à l’incomparable JSF? On revient au jugement porté plus haut sur le tocard antique qu'est le F/A-18E/F.
«Davis responded that the F-35's record cannot be compared to the F/A-18E/F. The F/A-18E/F is based on an existing airframe and re-used the avionics of the original aircraft. “That's the baseline they're measured against. How hard is that?” Davis asked.»
Interrogé par le même quotidien, Tom Bell, un dirigeant de Boeing présent à Farnborough, reste prudent même si certains lui voient un sourire ironique. Des calomnies anti-JSF? Il n’est pas au courant. Simplement, il musarde après avoir rappelé les cas australien et danois (l’Australie a acheté des Super Hornet, le Danemark l’évalue) : «People with greater insight than I are looking at the offerings available. Let people draw their own conclusions about why.» Quant à la valeur du Super Hornet, si gravement mise en cause par Davis: «I think characterizing the F/A-18E/F as a just a simple programme is maybe a little simplistic in and of itself. Boeing is very proud of delivering increased capability at decreased costs and delivering real capability to the warfighter now.»
C’est une fameuse passe d’armes, du genre rarement vu dans le monde feutré du complexe militaro-industriel où les querelles se vident derrière les murs épais des conseils d’administration et des bureaux des hauts fonctionnaires du Pentagone. Elle mesure la tension du climat qui règne dans ces milieux, pour diverses raisons pour le cas exposé ici, qui s’entrecroisent et s’alimentent les unes les autres. Il n’est pas indifférent, dans le cas présent, que l’affaire implique d’un côté l’USAF en même temps que le JSF, de l’autre Boeing en même temps qu’un concurrent peut-être “illégal” du JSF. Plusieurs points peuvent être mis en évidence à cette lumière.
• La nervosité de l’USAF vis-à-vis du JSF, qui la pousse à des positions extrêmes, y compris dans sa défense peut-être paradoxale. L’USAF est en crise et le JSF également. L’USAF est aujourd’hui contrainte (par la direction civile du Pentagone) de mettre une sourdine dans son soutien pour le prolongement du F-22 et de soutenir à fond le JSF. L’USAF ne peut faire autrement que s’incliner car, si le F-22 est liquidé, il ne lui reste plus que le JSF. Elle n’aime pas beaucoup le JSF mais elle est désormais obligée de le défendre pour la survie de son statut de première force aérienne du monde, et elle le fait d’une façon d’autant plus radicale. (L’article sur le JSF dans Air Force Magazine de juillet 2008 est typique à cet égard. D’un côté, on s’acharne à dire que le JSF ne vaut pas le F-22, pour continuer à soutenir le F-22; de l’autre, c’est un panégyrique du JSF, pour soutenir le JSF si le F-22 est définitivement perdu…)
• Du point de vue de la bureaucratie du JSF, dont l’USAF est partie prenante, Boeing a trahi une consigne non-dite mais impérative en intervenant comme concurrent du JSF. Cette idée s’inscrit dans la paranoïa générale de la bureaucratie du JSF, tétanisée à l’idée qu’on puisse empiéter sur le domaine sacrée du JSF, qui couvre à peu près toute la planète, et, par ailleurs, inquiète des problèmes sans nombre du JSF. Face à cela, Boeing ne veut pas céder, se sachant soutenu par l’U.S. Navy (le Super Hornet est l’avion central de la Navy), qui n’aime que moyennement le JSF et qui a pourtant d’excellents rapports avec Gates (notamment l’amiral Mullen, président du JCS, complément indispensable de Gates dans l’effort du Pentagone pour contrôler la crise iranienne).
• L’hostilité de l’USAF pour Boeing est aujourd’hui palpable et extrême, depuis l’affaire du programme KC-45 et de la “victoire” de Boeing, par GAO interposé. L’USAF ne peut prendre Boeing de front dans ce domaine, à cause du soutien de Boeing au Congrès en général, à cause de la prudence de Gates qui ne veut plus rien faire contre Boeing dans ce domaine. Mais tous les moyens pour l’USAF de mettre en cause Boeing dans d’autres domaines sont bons. Il se trouve que l’affaire JSF-Super Hornet est utilisée dans ce sens, avec d’autant plus d’alacrité que le JSF est devenu le darling de Gates dans son opposition au F-22.
Mis en ligne le 16 juillet 2008 à 09H52