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25 janvier 2003 — Nous serions bien avisés de toujours garder, quoiqu’on pense de lui, une réserve de la plus grande admiration possible pour Tony Blair : cet homme parvient pour l’instant à résister avec une constance rare aux tensions de son très, très, très, très grand écart entre USA et Europe.
Le Guardian publie ce matin un article à sensation. La chose est présentée de façon très affirmative, sans les réserves qui accompagnent les nouvelles non vérifiées. Vu ces nouvelles, on pourrait croire que le Guardian a bénéficié de fuites au ministère de la défense (Ministry of Defence, MoD), — ce qui ne serait pas surprenant si l’on considère les tensions et les frustrations que doivent connaître les fonctionnaires de ce ministère, dans tous les sens, avec une politique si radicale et si contrastée.
Que dit le Guardian ?
• Blair est affolé de la gravité de la querelle Europe-USA (surtout les USA contre la France et l’Allemagne).
• Il craint d’en subir les contrecoups, d’être assimilé aux Américains et d’être isolé en Europe.
• Catastrophe pour Blair : sa politique, que nous nommons “du grand écart”, est d’être engagé avec les USA et aussi d’être engagé avec les Européens, — et d’être le pont entre les deux, avec les avantages que cela suppose. Mais s’il est rejeté par les Européens, parce que trop engagé avec les US ? Et particulièrement rejeté par la France, son partenaire privilégié dans le domaine européen qui compte pour Blair, la défense ?
• Cette perspective catastrophique est en train de se concrétiser. D’où, annonce le Guardian, des mesures d’urgence pour se rapprocher des Français (des Européens), — et du sérieux : le futur porte-avions britannique commandé (la semaine prochaine) au Français Thalès, l’interopérabilité établie avec les Français pour les porte-avions, un centre de lutte commun contre le terrorisme proposé aux Français, l’extension du rôle des forces européennes en Bosnie et en Macédoine, etc.
... Tout cela, rendez-vous dans 10 jours, au Touquet, au sommet franco-anglais remis d’une date précédente (suite à un “froid” Blair-Chirac).
« With the US administration hurling insults at the French and Germans, Mr Blair believes a breakdown in relations between the US and Europe would be disastrous. It would also place him in a quandary as he seeks to exploit his special relationship with the US and convince European leaders that Britain's destiny lies in Europe.
» Mr Blair is planning to strike deals with the French on cooperation over terrorism designed to rival the Anglo-French deal on defence struck at St Malo in 1998. He is also looking at an agreement for EU forces to take over the peacekeeping role in Macedonia once Nato quits at the end of the year. Plans are also being discussed for greater cooperation on military hardware, including making future aircraft carriers compatible for French and British forces.
» The British government is expected to decide next week whether to place a multi-billion pound order for its next aircraft with BAE Systems or Thales, a French company with extensive British interests.
» The defence secretary, Geoff Hoon, expressed sympathy for Thales indirectly last week by asserting that BAE was not a British company, and Thales is seen as the likely winner. »
Cette évolution de Tony Blair est-elle concevable ? Si l’on accepte sa thèse des deux engagements, du grand écart, elle est non seulement concevable mais impérative ; au plus Blair s’engage avec les Américains, au plus il doit s’engager avec les Européens. C’est une étrange situation, complètement surréaliste, à la mesure de l’irréalité de ce double engagement dans l’évolution actuelle, — car voilà Blair plus que jamais obligé d’être dans la deux camps puisque les deux camps s’affrontent ! Lirréalité de la politique de Blair répond évidemment à l’irréalité de la situation générale. En 1997-98, quand il a mis au point cette politique du grand écart en s’engageant en Europe (sommet de Saint-Malo) alors qu’il restait traditionnellement engagé avec les USA, certains (dont lui, certes) pouvaient encore croire que cette gageure des deux engagements parallèles était possible ; mais aujourd’hui, alors que les deux parallèles tendent à devenir antagonistes ?
Dans tous les cas, on sera rapidement fixés sur l’évolution annoncée par le Guardian. Premier rendez-vous : la semaine prochaine, avec le choix probable du contractant pour le futur porte-avions. Si Thalès est choisi, comme on le dit beaucoup, la présentation du choix par le gouvernement britannique sera, en plus de ce choix, une indication précieuse.