Les copains d'abord

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Les copains d’abord


31 janvier 2003 — Ils sont tous là, ou presque, — les “copains d’abord” de GW Bush. Huit dirigeants européens qui s’engagent dans un soutien public affirmé aux projets américains, tout cela pour la paix, pour l’Europe, pour les relations transatlantiques, et on en passe.

L’initiative vient de l’Espagnol Aznar, décidément en passe de devenir l’allié privilégié de GW en Europe, peut-être en train de supplanter Tony Blair. C’est Aznar qui a lancé l’affaire, directement sur la suggestion des Américains, et notre première estimation est que les Britanniques n’ont pas tellement apprécié une initiative à laquelle ils devaient pourtant souscrire, parce qu’elle met en évidence la division de l’Europe au moment où ils aimeraient pouvoir resserrer les rangs européens et ne pas trop s’éloigner des Franco-Allemands à cause de leur engagement US. (Ainsi dirons-nous, si notre estimation est juste, que la lettre est le dernier en date des cadeaux empoisonnés des copains états-unis de Blair, directement à Tony Blair. Mais les copains états-uniens, bien entendu, ne se sont aperçus de rien, notamment des conséquences secondaires désagréables pour leur allié privilégié dont ils n’ont cure, eux ils foncent.)

Aznar serait donc le correspondant n°1 des Américains en Europe, la vraie “petite main” des parrains. Il est possible que cela lui coûte son poste de futur président de la Commission, puisque c’est son ambition chuchotée. Mais, après tout, nous ne sommes pas en mal de burlesque dans cette tragédie, et cette conséquence n’est pas du tout assurée ; et Aznar à la tête de la Commission, après ce qu’il a fait, achèverait bien le destin de cette institution européenne qui n’a cessé de rater l’accomplissement de sa véritable ambition en choisissant toujours le mauvais adversaire, au mauvais moment. Aznar venant à la tête de la Commission achèverait d’enterrer tout rôle politique pour cette Commission.

Parmi les autres signataires, il y a Berlusconi. Rien à dire, sinon, comme le disait un ministre européen des affaires étrangères en levant les yeux au ciel, qu’avec « Berlusconi, il n’y a rien à faire, il est fasciné par les Américains ». Il n’empêcher, cet engagement berlusconien, c’est de la parade, tout comme sa fascination doit trop aux paillettes de ses chaînes TV pour avoir quelque profondeur, et l’Italie reste imprévisible et capable en d’autres circonstances de rallier le camp opposé. Les autres sont des comparses, des trouvailles de fortune. Quant aux nouveaux de l’Europe de l’est, qu’en dire sinon ce qu’on en dit désormais sempiternellement, — ils sont désespérément fidèles à l’image caricaturale qu’on fait d’eux.

Une seule absence notable : les Néerlandais. Ils sont en période de formation du gouvernement, certes. Mais leur abstention signifie que l’engagement pro-US n’est plus, chez eux, du domaine des “affaires courantes” (il reste un gouvernement en place pour cela), qu’une telle initiative doit être soumise à débat, que les socialistes, presque aussi forts que les chrétiens-démocrates depuis les élections, ne l’entendent pas de cette oreille lorsqu’il s’agit des relations avec les USA aux dépens de l’Europe.

Bien, — le mot de Villepin pour définir la lettre des 8 est aimable mais un peu court, et presque caricatural à force d’être un peu court : « une contribution au débat en cours ». Avec cette lettre, ces gens ont signifié ce qu’ils pensaient et croyaient de l’Europe et de ses solidarités nécessaires. (Leur démarche n’est pas un simple rééquilibrage des Franco-Allemands : ces derniers se situent par rapport à l’ONU et par rapport à la guerre, les huit se situent par rapport à l’Amérique puisque les relations transatlantiques sont explicitement avancées comme une des causes de leur démarche. Il y a différence de substance, d’un point de vue des relations internationales, et de l’autonomie et de la souveraineté de l’Europe.) Voici ce qu’en dit le Times de Londres dans son commentaire parfaitement partisan, où le mot « calculated » nous paraît bien inapproprié, on le verra aux conséquences (ou alors : miscalculated ?).


« Eight European leaders today call on the Continent to stand united with America in the battle to disarm Iraq, while warning the UN that its credibility is on the line.

» In a calculated rebuff to France and Germany — denounced by America last week as “old Europe” — the leaders of Britain, Spain, Italy, Portugal, Hungary, Poland, Denmark and the Czech Republic have combined to make an unprecedented plea in The Times for unity and cohesion. They say the transatlantic relationship must not become a casualty of President Saddam Hussein’s threats to world security.

» “Our strength lies in unity,” they argue, adding that Monday’s UN weapons inspectors’ report confirmed Saddam’s long-established pattern of “deception, denial and non-compliance”. »


Le résultat de cette lettre peut-être apprécié selon ces quelques remarques :

• Les divisions européennes apparaissent au grand jour, ce qui est la meilleure chose du monde (tout comme c’est une excellente chose de voir les 10 nouveaux d’Europe de l’Est constamment désignés comme des “agents de l’Amérique”, puisqu’ils proclament eux-mêmes qu’ils le sont et agissent comme tels). Rien ne vaut la réelle mesure des enjeux, la réelle position des uns et des autres. Comme on dit : on se compte, et cette lettre est une de ces choses qui ne sera pas oubliée. Cette prévision fait partie de notre « contribution au débat ».

• Cette lettre ne sera pas oubliée parce qu’elle apparaît (et l’on y verrait la patte américaine) comme un camouflet délibéré aux structures et personnalités européennes : le conseil des ministres, qui s’était manifesté unitairement deux jours plus tôt, Solana la veille, qui déclarait son opposition à la guerre, les Grecs (président), qui n’ont été avertis de rien, etc.

• Autre excellente chose : les rapports avec les USA deviennent la principale pomme de discorde en Europe affichée, connue et officiellement reconnue. C’est la mesure enfin affichée que l’Europe ne peut se définir qu’en fonction de ses relations avec les USA. C’est là qu’on dira si vous êtes un bon ou un mauvais Européen, selon la vision que vous avez. Là aussi, on se comptera.

• Pratiquement, la lettre va accélérer des tendances déjà concrètement perceptibles de regroupement partiel, notamment en un “noyau dur”, “Europe à géométrie variable” et compagnie, et cela sur le problème essentiel : défense et politique étrangère. A terme, l’OTAN pourrait bien ne pas y survivre (alors qu’elle aurait survécu à une Europe de la défense complète) ; là aussi, “contribution” des huit. Là aussi, les Britanniques vont complètement détester.

• Qui a raison, qui a tort ? (Entre les huit pro-US et les anti-guerres.) La réponse est-elle dans les sondages, ou, autrement dit : s’agit-il de démocratie ou d’une « Burlesque of A Democracy » ? En même temps que ces gens publiaient leur lettre, un sondage européen donnait : 82% des Européens de l’Ouest et 75% des Européens de l’Est opposés à la guerre. Interrogé là-dessus, le ministre britannique du Trésor Brown a répondu rudement que « la question de la guerre contre l’Irak est trop importante pour être laissée aux opinions publiques ». Vous savez ce qui nous attend : après avoir réglé son compte à Saddam, il faudra songer, chez nous, à prononcer d’urgence la dissolution du peuple, comme Brecht le conseillait sarcastiquement aux dirigeants de RDA après les émeutes de juin 1953.